Soins de santé
Que souhaiter à la sécurité sociale pour son 80e anniversaire ? Pour répondre à cette question, nous avons échangé avec deux économistes, une syndicaliste et un représentant du patronat. Leurs propos se complètent, se nuancent, divergent parfois, mais tous partagent une conviction : renforcer cette institution est essentiel pour relever le défi du vivre ensemble.
Publié le: 14 novembre 2024
Par: Joëlle Delvaux, Julien Marteleur, Sandrine Warsztacki
5 min
Photo: © AdobeStock - la sécurité sociale nous protège mutuellement face aux aléas de l'existence
Le 30 décembre 1944, un arrêté-loi posait les fondations de notre sécurité sociale. Aux grands mouvements sociaux et idéaux d’après-guerre ont succédé la mondialisation, les mutations du marché du travail, les années néolibérales... La société de 2024 est devenue plus individualiste et, paradoxalement, nous bénéficions plus que jamais de ces dispositifs de solidarité dans notre quotidien.
Certains verront le verre à moitié vide : la pauvreté persiste, le décrochage des jeunes en âge de travailler et la précarité des familles monoparentales inquiètent, l’accès aux soins de santé reste inégalitaire. D'autres, davantage de raison de se réjouir : la Belgique jouit d’une couverture sociale et d’un système de soins solides !
La comparaison avec les pays où les systèmes de santé et de retraites sont laissés aux lois du marché est sans équivoque : la couverture est plus inégalitaire et coûteuse. "En Amérique du Sud, les fonds privés explosent leurs budgets publicitaires, c’est autant d’argent qui n’est pas investi dans les pensions", prend pour exemple Etienne de Callataÿ, économiste à l’université de Namur et à la London School of Economics.
La sécurité sociale contribue aussi à la résilience de nos sociétés, plaide de son côté Pierre Reman, ancien directeur de la Faculté de politiques économique et sociale de l’UCL : "Les pays dotés d’une sécurité sociale robuste traversent les crises avec moins de dégâts économiques et sociaux". Lors de la crise financière de 2008 ou du Covid, des dispositifs comme le droit-passerelle et le chômage temporaire ont permis de limiter la paupérisation et de faciliter la reprise économique.
Pourtant, ce bouclier social est de plus en plus vu comme une charge, un frein à la compétitivité des entreprises, voire à la motivation des travailleurs. "À l’origine, la sécurité sociale était perçue par les interlocuteurs sociaux comme un instrument de juste redistribution des richesses pour assurer la prospérité socio-économique du pays", rappelle Anne Léonard, Secrétaire nationale de la CSC. Quel contraste !
Les coûts liés au vieillissement de la population auraient rendu le système insoutenable ? Le défi était prévisible depuis les années 90 ! En 2001, un fonds pour le vieillissement a été créé, mais jamais financé… De même, investir dans la prévention en santé aurait permis d’atténuer les coûts des maladies chroniques. Et demain, d'autres défis tout aussi prévisibles pour nos systèmes de santé et de protection sociale nous attendent avec la crise écologique.
Illustration (c): Marion Sellenet
Les débats sur l’âge de la retraite, la fiscalité, la durée du chômage, l’activation des personnes en incapacité de travail, etc., sont devenus autant de sujets d’actualité inflammables sur le plan politique. Mais la vraie question, dans le fond, est sans doute ailleurs "Nous produisons bien assez de richesse en Belgique pour financer la sécurité sociale si nous le souhaitons, assure Pierre Reman, mais voulons-nous encore redistribuer cette richesse de manière équitable ? Et quel sens voulons-nous donner à cette richesse: ?" Voulons-nous une croissance axée sur le bien-être et des emplois de qualité, ou une croissance à tout prix, qui alimente les caisses mais crée autant de coûts cachés en matière de social, d’environnement et de santé ?