Soins de santé
Fléau de notre temps, la sédentarité tue plus que le tabac. Cet été, En Marche vous propose d’explorer les bénéfices d’un mode de vie plus actif. Premier épisode : les liens méconnus entre activité physique et santé mentale et cérébrale
Publié le: 04 août 2021
Par: Candice Leblanc
8 min
Photo: Le sport bon pour le corps, mais pas aussi pour la tête - © iStock
Ça n’étonnera personne : la pandémie de Covid-19 n’a pas fait du bien à notre santé mentale ! En Belgique, le nombre de personnes déclarant souffrir d’anxiété ou de dépression a doublé depuis le début de la crise. Les jeunes sont particulièrement touchés. Selon la dernière enquête de Sciensano, un gros tiers des 18-29 ans interrogés sont atteints de troubles anxieux et/ou dépressifs. En mars dernier, 46 % estimaient leur existence (très) peu satisfaisante. À titre de comparaison, en 2018, ils n’étaient que 11,5 % à porter un tel jugement sur leur existence…
Certes, la crise sanitaire et son lot de restrictions et d’incertitudes expliquent une partie de ce malaise. Mais d’autres chiffres peuvent être mis en regard de ces statistiques sur la santé mentale : ceux du niveau d’activité physique.
Tout d’abord, il convient de différencier sport et activité physique.
La frontière entre les niveaux d’intensité est ténue et dépend aussi de la condition physique de la personne. Un petit jogging demande davantage d’effort à une personne obèse qu’à un sportif de haut niveau! Quoi qu’il en soit, l’Organisation mondiale de la santé préconise de consacrer minimum 150 minutes par semaine à une activité d’endurance d’intensité – au moins – modérée. Soit une demi-heure d’exercice par jour, cinq jours sur sept.
Soyons honnêtes : nous ne sommes pas nombreux à respecter cette recommandation ! Le Covid-19 semble toutefois avoir eu un effet positif : en mars dernier, 34 % de la population belge adulte atteignait le "minimum syndical" des 150 minutes, contre 30 % en 2018. Cela dit, les chiffres varient d’une tranche d’âge à l’autre… et pas forcément comme on se l’imaginerait à priori.
Il y a trois ans, 42 % des jeunes adultes bougeaient assez. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 34 %. Soit un chouïa moins que les séniors qui, en revanche, sont plus nombreux à se dépenser qu’avant la crise : 35 % aujourd’hui contre 20 % en 2018 ! Plus surprenant encore, alors que les deux tiers des jeunes restent assis ou couchés plus de huit heures par jour, seul un quart des aînés en fait autant. Or, il se trouve que ces derniers souffrent nettement moins de troubles anxieux et dépressifs. Bref, les jeunes bougent moins et souffrent (mentalement) plus que les séniors.
En mars 2021, Quel pourcentage de personnes... | 18-29 ans | 65 ans et plus |
faisaient 150 minutes d'excercice physique d'intensité modérée par semaine? | 34% | 35% |
restaients assises plus de huit heures par jour? | 63% | 26% |
souffraient de troubles anxieux ? | 34% | 9% |
souffraient de troubles dépressifs ? | 38% | 10% |
À peu près tout le monde sait que la sédentarité et le manque d’exercice sont mauvais pour la santé physique, notamment pour le cœur. Par contre, les effets négatifs d’un mode de vie trop passif sur notre santé mentale et cérébrale sont moins connus. "Des recherches sont en cours pour comprendre exactement comment la sédentarité agit sur notre cerveau, commente la Dr Ksenija Udovenko, assistante en psychiatrie adulte aux Cliniques universitaires Saint-Luc et professeure de danse. De nombreuses études attestent déjà des effets positifs de l’exercice physique sur l’activité cérébrale et la santé mentale. Par exemple, on sait que faire du sport réduit la fréquence et l’intensité des attaques de panique (1). Il a également été démontré qu’une activité physique régulière et suffisante est aussi efficace qu’une cure d’antidépresseurs sur les dépressions légères, voire modérées, et surtout sur les troubles de l’adaptation, très répandus dans le contexte actuel. Il s’agit de symptômes émotionnels ou comportementaux (tristesse, baisse d’énergie, angoisses, etc.) qui se manifestent en réponse à une situation stressante. Se (re)mettre au sport quand on souffre de troubles de l’adaptation contrecarre ces symptômes et peut les empêcher d’évoluer vers une véritable dépression."
Les mécanismes par lesquels l’exercice physique agit sur l’activité cérébrale sont nombreux et complexes. Ils sont notamment physiologiques et biochimiques. En effet, notre cerveau sécrète en permanence une série de substances (hormones, neurotransmetteurs, enzymes, etc.) qui activent ou inhibent ses activités. Faire de l’exercice agit sur plusieurs d’entre elles.
La mélatonine est "l’hormone du sommeil". La lumière du jour – ainsi qu’une exposition tardive aux écrans – l’inhibe, ce qui nous maintient éveillés. En revanche, elle est sécrétée par le cerveau en l’absence de luminosité ; pendant la nuit, en hiver ou en intérieur, par exemple. 'L’insomnie et le manque de sommeil font le lit de presque tous les troubles mentaux, rappelle la Dr Udovenko. Raison pour laquelle je recommande les activités physiques en plein air et en journée. La saine fatigue qui en découle nous détend et nous aide à mieux dormir. En revanche, mieux vaut éviter de faire du sport dans les trois ou quatre heures précédant le coucher, afin de ne pas perturber l’endormissement. Il ne faut plus non plus s’exposer au moindre écran au minimum une heure avant d’aller au lit."
Administré régulièrement, ce cocktail d’hormones et de neurotransmetteurs est une vraie cure de jouvence pour notre cerveau ! D’ailleurs, l’activité physique a des effets protecteurs contre les maladies neurodégénératives. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une protection absolue comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Des sportifs en sont atteints alors que des personnes très sédentaires ne les présenteront jamais. Cependant, être physiquement actif tout au long de la vie retarde de plusieurs années l’apparition des symptômes. Même déclarés, bouger reste bénéfique. Dans la maladie de Parkinson (2), par exemple, qui se caractérise par la mort progressive des cellules qui produisent et stockent la dopamine, stimuler celles qui restent en faisant du tango (si si !) ou du taï chi agit positivement sur la lenteur, l’équilibre et la marche. Sans parler de l’estime de soi…
Car il ne faut pas sous-estimer l’effet psychologique de l’exercice. "Quand nous faisons du sport, nous savons que nous faisons du bien à notre corps, conclut la Dr Udovenko. Et en améliorant notre endurance, notre force et/ou notre souplesse, nous améliorons aussi l’image que nous avons de nous-mêmes. Toutes les disciplines ne conviennent pas à tout le monde, mais il n’y a pas de contre-indication absolue à l’activité physique, ça n’existe pas! Quels que soient notre âge et notre état de santé, il y a forcément une activité que nous pouvons pratiquer, et avec plaisir.” De plus, faire de l’exercice est aussi l’occasion de sortir, de voir du monde, de sociabiliser… Et après un an et demi de bulles sociales et de repli sur soi, nous en avons tous bien besoin!
(1) Une attaque de panique est un épisode soudain de peur intense ou d’anxiété très forte, associée à des symptômes physiques (palpitations, sueurs froides, etc.).
(2) Cette maladie neurologique dégénérative se manifeste par des troubles moteurs : tremblements, raideurs, lenteur, troubles de la marche, etc.
Pour les personnes qui ne sortent (presque) plus de chez elles, se remettre en mouvement n’est pas chose aisée… mais c’est possible. Il faut y aller progressivement, en se fixant un objectif à atteindre chaque jour ou chaque semaine.