Soins de santé
Les compléments alimentaires ont-ils une véritable plus-value pour notre santé ou servent-ils d’abord à engraisser les sociétés qui les produisent ? Les meilleurs nutriments sont d’abord ceux qui se trouvent dans notre assiette, rappellent les experts.
Publié le: 16 février 2021
Par: Sandrine Warsztacki
8 min
Photo: © iStock
Dans Soleil vert, film d’anticipation tourné à l’aube des années 70, les humains ont arrêté de manger, l’absorption d’une pilule leur permettant de subvenir à l’ensemble de leurs besoins nutritionnels journaliers. Sans glisser dans le scénario de science-fiction, le marché des compléments alimentaires entretient ce fantasme. Un comprimé pour améliorer la mémoire, une capsule pour doper la concentration, une autre pour garder une peau lisse et une chevelure flamboyante… "On vit dans une société de l’instantané, du tout, tout de suite. On cherche la pilule magique qui répondra à nos besoins sans que nous n’ayons plus à nous tracasser de rien, observe Sylvie Copine, médecin-nutritionniste sur le site Sainte-Élisabeth du CHU UCL Namur. Mais en principe, une alimentation équilibrée et diversifiée suffit amplement à apporter tous les nutriments dont notre corps a besoin. Mangeons d’abord équilibré, des produits frais et de saison, les moins transformés possible."
Consommés de façon intelligente et raisonnable, tous les compléments alimentaires ne sont certainement pas dénués d’intérêt. Certains peuvent même être prescrits sous forme de médicaments pour traiter des pathologies. Mais la première source doit toujours et avant tout rester une alimentation diversifiée, rappelle également le Conseil supérieur de la Santé qui a étudié les habitudes alimentaires et les causes de décès en Belgique pour édicter des recommandations alimentaires simples : manger des céréales complètes, des fruits, des légumes frais et une petite poignée de graines ou de fruits à coque tous les jours, plus des légumineuses au moins une fois par semaine.
Cian déteste les fruits et les légumes, la verdure le rebute. À 13 ans, ce jeune Américain commence à perdre la vue. Il faudra trois ans aux médecins pour comprendre le lien entre sa maladie mystérieuse et son alimentation gravement carencée. Quelques simples comprimés de vitamine A permettront de sauver l’œil qui lui reste.
Changement de décor. Nous sommes en 1913, un froid glacial balaie l’Antarctique, où Douglas Mowson et Xavier Mertz en sont réduits à manger leurs chiens de traineau pour survivre. Suite à quoi les explorateurs… décèdent. La vitamine A présente en de grandes quantités dans le foie des animaux a provoqué une hypervitaminose toxique.
À travers ces deux exemples extrêmes, le physicien australien Derek Muller, auteur d’un documentaire fouillé sur les vitamines démontre à quel point ces molécules, à la fois source de vie, mais potentiellement toxiques à haute dose, sont puissantes. Ainsi, la vitamine D, qui contribue à la calcification des os et au bon fonctionnement du système immunitaire (voir encadré) peut, en surdose, entraîner des troubles neurologiques et des problèmes rénaux. Les antioxydants, dont les effets bénéfiques sur la prévention des cancers ont été démontrés, perdent leur pouvoir protecteur, voire, peuvent favoriser les phénomènes d’oxydation au-delà d’un certain taux. Chez les fumeurs, la complémentation en bêta-carotène, vitamine pourtant si utile pour le maintien de la vue et des tissus cellulaires, augmente le risque de cancer du poumon...
Heureusement, les dosages des compléments alimentaires (acides gras, vitamines, minéraux, micro ou macro-nutriments) sont bien encadrés par les autorités sanitaires. En Belgique, la mise sur le marché de ces produits doit faire l’objet d’une notification auprès du SPF santé publique, qui en contrôle l’origine et le contenu. Depuis les années 2000, les assertions publicitaires sont également encadrées par la législation. Plus question de vanter les mérites d’un complément sans en avoir apporté la preuve scientifique …
"Il y a une trentaine d’années, on trouvait un peu de tout et n’importe quoi sur le marché, le cadre législatif a permis d’évoluer dans le bon sens", se félicite Jean Neve, professeur en pharmacologie et en nutrition à l’ULB, également président du Conseil supérieur de la Santé. L’expert invite toutefois à rester vigilant face à certains praticiens qui "vendent des produits sous le manteau ou prescrivent des méga-doses". Sans mâcher ses mots, il pointe la collusion entre certains nutritionnistes, des laboratoires d’analyse et des fabricants de compléments. "On vend aux gens des analyses inutiles et coûteuses (NDLR certaines prises de sang non remboursées coûtent jusqu’à 400 euros). C’est une triade mafieuse dont le but est de faire consommer des analyses et des pilules miracles." Membre de la Société belge des médecins nutritionnistes, Sylvie Copine plaide pour un encadrement de la profession. Si le titre de diététicien s’obtient à l’issue d’une formation de trois ans et celui de médecin-nutritionniste après une spécialisation universitaire, "n’importe qui en revanche peut suivre une soi-disant formation sur Internet et mettre une plaque nutritionniste sur sa porte pour compléter ses fins de mois". Des formations derrière lesquelles on retrouve parfois… des fabricants de compléments.
Les premières recherches sur la nutrition démarrent après 1850. Successivement, on découvrit les protéines, les glucides, les lipides, les fibres, les minéraux, les vitamines. Ce qui permit de lutter contre des maladies liées à des carences graves comme le rachitisme (vitamine D) ou le scorbut (vitamine C), presque éradiquées aujourd’hui dans nos sociétés développées. Avec l’émergence des maladies chroniques (diabète, accident vasculaire et cérébral, cancer, etc.), vint le temps des recommandations diététiques : le gras, le sucre, le sel et une série d’autres aliments jugés malsains sont progressivement mis au banc des accusés. À partir des années 1990, la nutrition se focalise ensuite sur les aliments à promouvoir : fibres, acides gras oméga-3, bêta-carotène, antioxydants, etc. "Mais force est de constater qu’à travers le monde, et en dépit de la mise sur le marché de quantité d’aliments fonctionnels censés améliorer notre santé, la prévalence des maladies chroniques non transmissibles n’a pas diminué mais au contraire explosé ", écrit Anthony Fardet, chargé de recherche à l’université de Clermont Ferrand sur The Conversation.
Car l’alimentation est bien plus que la nutrition. Si les compléments alimentaires reproduisent fidèlement des molécules qui existent à l’état naturel à partir de procédés chimiques (on peut, par exemple, produire des vitamines à partir de combustibles fossiles), les bénéfices ne sont pas identiques. Les interactions entre les nutriments sont complexes et, à dose équivalente, un nutriment sera mieux absorbé dans un “vrai repas” (effet matrice). "On essaie de faire d’une molécule le Saint Graal alors que la richesse de notre alimentation c’est la diversité", observe Sylvie Copine. Plus globalement, l’acte de cuisiner, le plaisir de se poser à table, de partager un moment convivial, contribuent également à nous maintenir en bonne santé. “Le nutritionnisme a scientifisé à l’extrême et déconstruit l’acte alimentaire en supprimant progressivement la multi-dimensionnalité protectrice de cet acte quotidien", conclut Anthony Fardet.
Des études ont montré que les patients souffrant du Covid, en particulier dans ses formes graves, étaient plus souvent carencés en vitamine D. De là, à conclure que la prise de compléments en vitamine D pourrait jouer un rôle dans la lutte contre la pandémie, il y a un pas que les experts belges du Conseil supérieur de la Santé se gardent bien de franchir. Dans un avis qui vient d’être publié, le Conseil rappelle que "aucune des études disponibles ne démontrent que l'administration de vitamine D à dose modérée ou plus élevée puisse prévenir d’une manière ou d’une autre le Covid-19 ainsi que l’évolution vers des formes plus graves de la maladie". Le taux de Vitamine D est aussi lié au mode de vie : les personnes âgées, moins actives ou qui s’alimentent mal, sont plus souvent carencées. Corrélation n’étant pas causalité, ces groupes sont aussi plus représentés dans les patients du Covid pour bien des raisons. Pour pouvoir prouver l’efficacité de la vitamine D contre le Covid, des essais cliniques sérieux doivent être menés.
Les effets de la vitamine D sur le renforcement de l’immunité sont avérés. Si l’alimentation est une bonne source de vitamine D (poissons gras, œufs, fromage, viande), une des spécificités de cette hormone est d’être aussi produite par l’action du soleil sur la peau. Résultat, en hiver, 80% de la population belge en manque et des compléments peuvent effectivement se révéler utiles pour combler cette carence. Dans le cadre de son avis sur le Covid plus spécifiquement, le Conseil de la Santé recommande pour les sujets dont le statut en vitamine D est souvent faible (personnes âgées institutionnalisées, femmes enceintes, personnes à la peau foncée et/ou certains végétariens), de procéder à l’évaluation de leur statut en vitamine D et, en fonction des résultats, de prendre de façon régulière 10 à 20 microgrammes (400 à 800 UI) de vitamine D par jour.
En 2020, les ventes de vitamine D ont augmenté de 80% selon les chiffres du syndicat des compléments alimentaires en France. “En période de crise, il est tentant de s'accrocher à des solutions rapides et miraculeuses, mais elles sont presque toujours trop belles pour être vraies, mettent en garde les experts belges. Des nutriments et de nombreux autres produits naturels sont souvent évoqués parce qu'ils donnent l'illusion d'être inoffensifs. Hélas, on assiste parfois à une exploitation éhontée de cette aspiration bien compréhensible. ”
L’avis complet du Conseil supérieur de la Santé est consultable en ligne