Soins de santé
Pour clore sa série consacrée aux inégalités sociales de santé, En Marche s’intéresse à la question de l’alimentation et, plus précisément, aux effets des aliments ultra-transformés sur la santé. Proposés à des prix souvent alléchants, ces produits aggravent les risques d’obésité et de maladies chroniques.
Publié le: 06 janvier 2021
Par: Stéphanie Bouton
7 min
Illustration: ©Yasmine Gateau
Plats préparés, snacks, sodas, soupes en poudre... Le Belge moyen tire environ un tiers de son énergie journalière de produits alimentaires ultra-transformés. Selon une étude récente de Sciensano, l’alimentation ultra-transformée étant meilleure marché que l’alimentation peu ou pas transformée, elle est privilégiée par les familles disposant d’un faible revenu qui choisiront bien souvent une alimentation conforme à leur budget. Mais ces mets industriels, riches en sel, graisses saturées et nombreux additifs entraînent une consommation plus faibles de fruits, de légumes, de légumineuses et de céréales complètes. Lorsqu’ils sont consommés en grande quantité, ils peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé.
Les aliments ultra-transformés ne se résument pas à la malbouffe traditionnelle comme les burgers, les collations sucrées ou les frites. Cette nourriture industrielle représente un gros pourcentage de l'offre actuelle en supermarché, y compris dans les rayons diététique, bio ou végétarien.
Dans son livre intitulé Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai, Anthony Fardet, docteur en sciences et chargé de recherche en alimentation préventive, énonce trois règles simples pour reconnaître les aliments ultra-transformés :
> Ils contiennent une longue liste d’ingrédients (généralement plus de cinq) : huiles hydrogénées, gluten, protéines hydrolysées, isolats de protéines de soja, sucre inverti (mélange de glucose et de fructose obtenu par hydrolyse du saccharose), lécithine de soja, amidon de riz, sirop de glucose…
> Ce sont des produits artificiels fabriqués par l’Homme à partir d’une recombinaison d’ingrédients : ces aliments ne sont pas fournis tels quels par la nature.
> Ils sont tellement transformés qu’on ne discerne plus l’aliment d’origine.
Ils se caractérisent aussi par leur marketing : emballages colorés et attractifs, présence de personnages de dessins animés pour séduire les plus jeunes, ajout de mentions type "enrichi en…", "céréales complètes", "riche en…" donnant l’illusion d’aliments bons pour la santé.
"Ils surfent sur tout ce qui est tendance : appellations "local", "bio", blé "français", "végan"… Mais l’intérêt pour les industriels, c’est le goût et non la nutrition. Prenez l’exemple du steak végétarien, très à la mode, qui colonise les rayons des supermarchés. Vous avez l’impression d’acheter un produit sain alors qu’on y retrouve une quantité non négligeable de farines, de sucre, d’additifs et d’épaississants !" avertit le Dr Beck, endocrinologue et diabétologue au CHC MontLégia. "On est clairement dans une alimentation plaisir ! Leur souhait consiste à réitérer l’achat la fois suivante : le volet nutritionnel n’est pas la priorité !"
Emballage attrayant, goût agréable, prix relativement bas… Ces produits ont plus d’un argument pour séduire le consommateur. Malheureusement, ils sont généralement enrichis en sel, en graisses saturées ou en sucre et plus pauvres en vitamines et en fibres, fait remarquer le Dr Beck : "La qualité nutritive de ces aliments est moindre mais la charge calorique est plus importante. Avec leur teneur en sucres simples et en amidons raffinés, ce sont des aliments qui sont vite digérés et stockés sous forme de graisse. Ils entraînent une augmentation de la masse corporelle et abdominale et une résistance à l’insuline. Leur consommation est associée à des risques d’obésité, de diabète et de cholestérol."
De nouvelles études renforcent les arguments de travaux précédents liant la consommation d’aliments ultra-transformés à un risque accru d'hypertension artérielle, de cancer, de mortalité, de symptômes dépressifs et de troubles fonctionnels digestifs. Selon une étude de l’organisme public de recherche français Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), une augmentation de 10 % de la proportion d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire est associée à une augmentation de 12 % de risque de maladies cardiovasculaires.
L’étude ne permet pas à elle seule de conclure à un lien de cause à effet, mais l'association est statistiquement significative en tenant compte des autres caractéristiques des participants. À statut tabagique, niveau d'activité physique et poids équivalents, les personnes qui consomment plus d’aliments ultra-transformés développent plus de maladies cardiovasculaires.
Faut-il pour autant les bannir de notre alimentation ? "Il ne faut pas être alarmiste. Une consommation ponctuelle ne va pas faire bondir le risque d’accident cardiaque, tempère le Dr Mathilde Touvier (directrice de recherche Inserm). C'est la consommation régulière qui importe."
Selon Sciensano, la consommation d’aliments ultra-transformés est encore plus élevée chez les enfants. "Ils sont naturellement attirés par ces produits et il faut reconnaître que le marketing est très bien fait", admet le Dr Beck. "Bien souvent, les parents sont dans la répression par rapport à ce type d’aliment, ce qui entraîne des frustrations chez les enfants. Le problème est différent chez les adolescents, mais bien présent. Ils ont une alimentation beaucoup plus déstructurée et sont dans le plaisir rapide et immédiat : ils sautent le petit-déjeuner mais dînent avec un sandwich, un fastfood ou un cornet de pâtes…"
Afin de stimuler des habitudes alimentaires saines, principalement pour les familles avec moins de moyens financiers, Sciensano appelle les autorités belges à suivre les recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) pour la création d’un environnement alimentaire de qualité. L’Institut belge de santé souhaite réglementer la publicité sur les produits malsains destinée aux enfants, stimuler une alimentation équilibrée à l’école et introduire des mesures fiscales visant à décourager les mauvais choix alimentaires et à encourager les bons.
Plusieurs facteurs influencent nos choix en matière alimentaire, mais devoir choisir entre une alimentation de qualité et son portefeuille ne devrait pas en faire partie.
"Le plaisir de l’alimentation peut passer par autre chose que ce que l’industrie alimentaire nous pousse à croire à gros renfort de marketing. Il importe de repartir de l’aliment de base pour pouvoir gérer ce qu’on met dans nos plats. Il faut retrouver le plaisir de cuisiner ensemble, de manger ensemble, à table, et sans écran. Nous mangeons trop souvent comme nous consommons des articles sur Facebook : trop vite !"
À quelques jours des fêtes de fin d’année, les propos du Dr Beck tombent à pic. Et si, durant les congés, puisque nous ne serons pas tenus de cuisiner pour un grand nombre de convives, nous prenions le temps de cuisiner des aliments frais, locaux et de saison ?
Le Nutri-score est un étiquetage nutritionnel coloré qui classe de A à E les denrées alimentaires selon un calcul mathématique. Mais il ne prend pas en compte les additifs et le caractère ultra-transformé du produit.
Pour connaître le niveau de transformation d’un aliment, deux classifications ont été développées : Nova, la plus utilisée, et Siga. Reconnu comme un outil légitime par l’OMS, le système Nova classe les aliments en quatre groupes, du pas ou peu transformé à l’ultra-transformé. Le classement Siga va encore plus loin dans la division en créant des sous-groupes (de 1 à 7).
Ces outils sont à la disposition du consommateur pour l’aider à choisir plus facilement, mais ne doivent pas occulter l’importance d’une alimentation variée et équilibrée.
"L’alimentation "low cost" a en fait un coût exorbitant !" s’indigne Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial de l'Onu sur le droit à l'alimentation (2008-2014) et co-président du Panel international d'experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food). "80 % des coûts en soins de santé dans I'Union européenne sont consacrés au traitement des maladies chroniques non-transmissibles (diabètes, maladies cardio-vasculaires, cancers gastro-intestinaux) dans le développement desquelles nos régimes alimentaires ont un rôle décisif"*, souligne-t-il. Une somme vertigineuse : "Il y a quelques années, on estimait le coût des maladies non transmissibles à 700 milliards d’euros par an, soit plus ou moins 5 % du PIB européen", précise le rapporteur spécial de l’Onu. "Il est urgent d’investir dans une alimentation plus diversifiée et de qualité. C’est important pour la santé publique et pour réduire la croissance des coûts en soins de santé mais aussi pour l’économie locale, l’environnement et la justice sociale".
* En cause : les pesticides utilisés dans I'agriculture conventionnelle, les emballages, les hormones de croissance dans l'élevage industriel ou les préservateurs.