Alimentation

La bonne odeur du pain rassemble

Au départ de deux ingrédients simples, de l'eau et de la farine, les civilisations ont réussi à décliner la recette du pain de tant de façons différentes qu'il est impossible de les recenser toutes. Aliment rassembleur, d'origine ancestrale, le pain a beaucoup d'histoires à raconter.

Publié le: 02 septembre 2021

Mis à jour le: 17 septembre 2024

Par: Sandrine Cosentino

8 min

pain

Photo: ©Alain Féaux 2021

Les visages s'éclairent à la vue des miches distribuées à la fin de la représentation. Les spectateurs auraient bien voulu plonger les mains dans la farine de la Ferme Baré à Balâtre, enfoncer leurs doigts dans les pâtons moelleux, manipuler la grande pelle en bois. Ce spectacle boulanger "Le Four à bois, la caravane passe !" donne la parole au levain, invite les spectateurs à rêver puis à gouter. Les trois acteurs, Jeannine Gretler, Léa Brooking et Jean-François Piazza ont réussi le pari fou de proposer une pièce de théâtre à la fois pédagogique et poétique sur le pain au levain, accessible aux enfants comme aux adultes. "Jean-François faisait du pain à l'ancienne depuis longtemps dans une ferme. Je suis actrice jeune public. Nous avons commencé par proposer des ateliers autour du pain pour que les gens se rencontrent, confie Jeannine Gretler. Le pain, c'est simple, magique et cela touche toutes les cultures. Pour aborder un plus large public et inciter les gens à venir au théâtre, nous avons créé ce spectacle il y a trois ans." Et cela fonctionne ! Le spectacle se produit partout en Belgique, en extérieur ou en intérieur, dans les écoles, les centres culturels, les festivals… "Nous voulions rendre hommage aux boulangers, ajoute Jean-François Piazza. C'est un métier très dur physiquement, il faut se lever très tôt… Chapeau aux artisans !"

Ce n'est pas l'équipe du Pain levé qui va le contredire. Ces quatre jeunes boulangers ont ouvert leur commerce il y a un peu plus de six mois dans le quartier Josaphat à Schaerbeek. Particularité du lieu, ce sont les clients qui choisissent le prix à payer ! "Nous proposons un pain au levain de qualité confectionné avec de la farine bio, locale et fruit du travail artisanal, soutient Louise Jottrand, cofondatrice. Cela a un coût. Mais tout le monde ne dispose pas du même budget. Nous proposons aux personnes qui se sentent plus à l'aise financièrement de payer un prix un peu plus élevé et aux personnes qui ont un plus petit budget de payer moins, de sorte que cela s'équilibre et que tout le monde puisse accéder à un aliment de qualité." La clientèle de la boulangerie est assez diversifiée, ce qui ravit les jeunes entrepreneurs désireux de s'intégrer dans ce quartier assez multiculturel.

Un riche passé

Difficile de dater l'apparition du pain. L'Égypte pharaonique est l'une des premières civilisations où l'on voit clairement apparaître des techniques de fabrication de pains. En 170 av. J.C, Rome comptait déjà des boulangers indépendants (Le pain romain, Werner Hürbin, 1994, Musée Romain d'Augst). Une étude publiée dans la revue scientifique américaine PNAS en 2018 apporte des preuves d'une consommation de pain il y a plus de 14.000 ans, bien avant l'apparition de l'agriculture, dans le Nord-Est de la Jordanie.

Par ailleurs, le pain traverse toutes les cultures (excepté dans une petite partie de l'Asie) sous de multiples formes : feuilles de pains, pains fourrés, plats, à croûte… Formes, modes de cuissons (four, plaque chauffante, cendre…) et types de farines panifiables  - produites à partir de céréales tels que le blé tendre ou froment, l'épeautre, le petit épeautre, le seigle, auxquels on peut ajouter des céréales contenant peu ou pas de gluten comme l'avoine, le maïs, le millet, le sarrasin, le riz… - donnent lieu à une infinité de combinaisons. Le site letourdumondeen80pains.com recense à lui seul 80 recettes de pains.

Pour Alain Féaux, constructeur de four à bois, cet aliment traditionnel recèle un pouvoir rassembleur extraordinaire. Ce passionné a aidé à la création d'un four à pain - "Du pain et des liens" - dans le parc Duden à Forest : "Il y a deux populations tout à fait différentes entre le Forest d'en haut, plus aisé, et le Forest d'en bas, plus populaire. Nous avions l'envie de les faire se rencontrer autour du four au milieu du parc. Les passants approchent, attirés par l'odeur. Ils commencent à parler, même si c'est difficile, parce que cela leur rappelle le village, la famille, des souvenirs d'enfance. Certains expliquent, par exemple, qu'ils ne chauffaient pas comme ça et le dialogue s'enclenche, c'est formidable."

Levure ou levain ?

C'est une question de goût, bien sûr… Mais au-delà de la saveur, entre le pain à la levure et le pain au levain, il y a des différences de textures, de conservation, d'apports nutritifs. Regards croisés sur la question.

Utilisé par nos ancêtres, le levain nécessite uniquement de l'eau et de la farine. Le mélange fermente grâce aux bactéries présentes naturellement dans l'air. Il permet au pain de gonfler grâce au processus de fermentation. "En utilisant de la levure plutôt que du levain, on va contrôler ce processus, au lieu de laisser faire les choses naturellement", explique Louise Jottrand, boulangère au Pain levé. Dans cette boulangerie bruxelloise, les quatre co-fondateurs ont opté pour l'utilisation exclusive du levain pour leurs pains, un procédé naturel qui leur permet de se passer de la levure produite industriellement. Utiliser de la levure pour faire du pain est plus facile que de nourrir un levain. La fermentation est plus rapide et le résultat reste uniforme tout au long de l'année. "Le levain sera différent chaque semaine, selon la fermentation, ce qu'il y avait dans l'air…", révèle Louise Jottrand.

Pour Jean-François Piazza, artisan boulanger et acteur, faire du bon pain requiert avant tout de la technique, que ce soit à la levure ou au levain. "Le fermier qui m'a appris à faire du pain comparait le levain et la levure comme ceci : le monde d'aujourd'hui, c'est la levure, il faut courir car nous avons peu de temps. Le levain, c'est le monde d'avant où l'on prenait le temps car il n'y avait pas d'autre choix. Le métier a évolué. Des machines et des techniques permettent de travailler le levain plus rapidement. Et même si l'on utilise de la levure, il faut laisser au pain le temps de lever."

D'un point de vue nutritionnel, "il est préférable de manger un pain avec une mie assez dense et ferme qui témoigne d'un levage lent qu'un pain extrêmement aéré, bourré de levure, affirme Nicolas Guggenbühl. Plus le pain est aéré, plus les glucides se transforment rapidement en sucre dans l'organisme." Comparativement, un pain au levain a une consistance plus dense et est plus nourrissant. Il se conserve aussi plus longtemps et induit moins de gaspillage.

"La pâte à pain contient aussi de l'acide phytique qui fixent les minéraux contenus dans la pâte (du calcium, du magnésium, du fer, du zinc…) souligne le diététicien. Grâce au levain qui acidifie la pâte et dégrade cet acide, le corps profite mieux des minéraux contenus dans le pain. Il semble également que, d'une manière globale, le pain au levain soit plus digeste."

Gustativement, le pain au levain n'est plus nécessairement très acide. Tout dépend du procédé utilisé, de la farine, du temps de levage… La boulangère du Pain levé confie : "Certaines clients nous expliquent que, d'habitude, ils n'aiment pas le goût du levain mais que notre pain leur plait car il n'est pas très acide. À l'inverse, d'autres vont trouver que le pain n'est pas assez acidulé…"