Alimentation

Les fausses promesses des régimes

Jeûne intermittent, régime cétogène ou paléo… Ces régimes "tendance" promettent une perte de poids ou vantent des bienfaits pour la santé. Nicolas Guggenbühl, professeur de nutrition et de diététique à la HE Vinci, nous aide à y voir clair.

Publié le: 06 mai 2021

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Joëlle Delvaux

9 min

légumes sur une assiette

Photo: Globalement, les régimes restrictifs constituent un risque pour la santé en raison d’un apport insuffisant en nutriments essentiels.- © iStock

Nicolas Guggenbühl

Le diététicien est aussi rédacteur en chef de Food in Action et expert en nutrition chez Karott’.

professeur de nutrition et de diététique à la HE Vinci.

En Marche : Comment expliquer que de "nouveaux" régimes fleurissent régulièrement?

Nicolas Guggenbühl : Le plus souvent, il s'agit de régimes déjà connus que l'on recycle. Derrière un régime, il y a toujours une histoire qui fait rêver, qui donne le sentiment que notre qualité de vie va s'améliorer, une histoire à laquelle on peut s'identifier. C'est ce qui explique le succès du régime des groupes sanguins. On se dit que manger de telle manière, cela a du sens car c'est inscrit dans le sang.
Même chose avec les régimes vantés par des célébrités. Le champion du monde de tennis, Novak Djokovic, a déclaré qu'il mange sans gluten. Si vous l'admirez, vous vous dites que ce régime est surement très bon. Mais comment le tennisman sera-t-il dans 30-40 ans ? Qui sait, par exemple, que le Dr Atkins, qui a popularisé le régime du même nom (NDLR - à forte teneur en protéines et pauvre en glucides), est décédé avec une surcharge pondérale et des troubles cardiaques ?

Dans les régimes à la mode, il y a des ingrédients à succès : c'est mis au point par un médecin ; cela vient des États-Unis ; c'est naturel. Et surtout c'est révolutionnaire et cela ne demande pas d'efforts. Le plus souvent aussi, on identifie un coupable à éliminer : les graisses, le gluten, le sucre, les produits laitiers… Ou, à l'inverse, on vous promeut les "x" aliments qui font maigrir. C'est plus vendeur que de dire : "Pour perdre du poids, vous devez manger moins et bouger plus". Ces régimes miracles ont encore de beaux jours devant eux. Sur internet, les algorithmes favorisent ce qui nous étonne. Vous lisez que le vinaigre de cidre fait perdre 20 kg ? Ça clique et ça clique encore.

Mais dans ces belles histoires, on ne parle jamais des abandons ni des reprises de poids. Après un an, 80% des personnes qui ont pratiqué un régime amaigrissant ont repris tous les kilos perdus, voire en ont pris davantage. Le taux d'échec est d'autant plus élevé que les approches sont farfelues ou les restrictions et privations intenables au long cours. On ne peut pas vivre avec une sensation de faim perpétuelle. Pour entreprendre un régime, il faut être serein dans sa tête. Toutes les techniques de lutte contre le stress sont bénéfiques pour perdre du poids car elles permettent de ne plus utiliser la nourriture comme réconfort ou récompense.

Le problème, c'est le décalage entre une réelle avancée scientifique et les promesses que vantent certains régimes, à grand renfort de marketing.

EM : N'y-a-t-il pas d'études sérieuses sur lesquelles se basent des nouveaux régimes ?

NG : Ces dernières années, des découvertes scientifiques ont été faites dans le domaine de la chrono-nutrition c'est-à-dire la synchronisation de notre biologie selon les rythmes jour/nuit. On commence à comprendre pourquoi on grossit plus en mangeant la nuit, pourquoi l'organisme brûle plus facilement les calories la journée, pourquoi les travailleurs de nuit sont plus attirés par le gras et le sucré. On prend conscience de l'importance de respecter une période de jeune suffisante – entre 10 et 12h – au cours de laquelle on ne mange pas la nuit. Si on prend son petit déjeuner à 8h, on devrait avoir terminé son repas de la veille à 20h. Ce n'est pas une recette miracle pour perdre du poids, mais cela permet de moins facilement stocker la nourriture. Si l'on mange tout le temps, même en petites quantités, cela engendre davantage de problèmes de poids. C'est sur cette base que repose le principe du jeune intermittent.
Mais selon moi, le problème, c'est le décalage entre une réelle avancée scientifique et les promesses que vantent certains régimes, à grand renfort de marketing.
Que les régimes soient présentés comme bénéfiques pour la santé osseuse, la force musculaire, les effets antiinflammatoires ou le maintien des facultés cognitives par exemple, il y a toujours une partie scientifiquement fondée, mais une partie seulement. Ainsi, les oméga 3 ou certains polyphénols ont des effets antiinflammatoires, mais ils ne soignent pas. 

Là où cela devient très problématique c'est avec le cancer. On sait que pour croître, la tumeur a besoin d'être approvisionnée en énergie, qui vient essentiellement du glucose. Sur base de cela, certai nes théories avancent qu'il faut affamer l'organisme. Mettre la tumeur au régime, cela fonctionne en laboratoire mais dans un organisme complet, c'est très différent. Quand on mange des pâtes, du pain ou du riz, on approvisionne le corps en glucose sanguin. On en a besoin pour faire fonctionner le cerveau. Des gourous font croire qu'on peut guérir du cancer en absorbant uniquement du jus de légumes. Il faut au contraire que la personne ait des forces pour combattre la maladie. La dénutrition ne permet pas la poursuite des chimiothérapies.

Globalement, les régimes restrictifs constituent un risque pour la santé en raison d’un apport insuffisant en nutriments essentiels. Pour une perte de poids durable et une vie en bonne santé, le best off des régimes est incontestablement le régime méditerranéen.

 

Jeûne intermittent, régimes cétogène et paléo 


Quels sont les principes sur lesquels se basent ces régimes? Sont-ils équilibrés d'un point de vue nutritionnel? Permettent-ils de perdre du poids de manière durables? 

    Le jeûne intermittent consiste à alterner les périodes où l’on mange et celles où l’on ne mange pas : un jour sur deux, deux jours par semaine ou une fenêtre de temps chaque jour, en sautant le petit déjeuner ou le repas du soir. La formule journalière est la plus souvent pratiquée. "C'est intéressant pour les personnes qui ont tendance à manger très souvent, y compris la nuit, convient Nicolas Guggenbühl. Mais sauter un repas n'est pas suffisant pour maigrir. Cela ne fonctionne que si, lors des repas qui suivent, on ne compense pas complètement l'apport calorique gagné."

    Notre corps est en effet une machine à stocker extrêmement performante. La biologie humaine n'est pas conçue pour être affamée. Pour faire face à la menace de man que alimentaire, notre organisme fait des réserves. Et notre cerveau déclenche des stimuli qui mettent nos sens en éveil et nous poussent irrésistiblement à manger.
    "Des études montrent que le jeûne intermittent permet d'obtenir une diminution de la masse grasse en quelques semaines. Mais cela ne garantit pas de maigrir durablement, en particulier à cause du phénomène de rattrapage. Si le jeûne pousse effectivement l'organisme à puiser dans ses réserves, il ne le purifie pas pour autant", met en garde le diététicien.

    Le régime cétogène

    Ce régime remonte... au début du 19e siècle. Guillaume Guelpa, médecin français, préconisait le jeûne dans le traitement du diabète. Très compliqué et surtout dangereux pour la santé, le jeûne prolongé a été remplacé par un régime pauvre en glucides et riche en graisses.
    Le principe de ce régime est de provoquer la production de corps cétoniques, des molécules fabriquées quand les réserves en sucre de l’organisme sont épuisées. L’organisme puise alors dans les graisses pour trouver une source d’énergie alternative.

    Dans ce régime, les apports en aliments riches en glucides tels que les féculents, les légumineuses, les fruits et bien évidemment les sucreries sont drastiquement réduits. Les légumes ne sont pas interdits mais à inclure dans la ration de glucides. À l’inverse, les graisses sont autorisées à volonté. En pratique, la priorité est donnée aux graisses végétales en raison des risques cardio-vasculaires liés aux graisses animales. Quant aux protéines, elles sont consommables en quantité modérée.

    Dans la littérature scientifique, le régime cétogène a montré son efficacité dans certaines affections, convient le Dr Boris Hansel, Maître de conférences en France, dans un article publié sur le site d'informations scientifiques The Conversation. Il a des effets bénéfiques chez des patients souffrant d’épilepsie sévère, semble améliorer le contrôle de la glycémie chez les diabétiques et réduit la sensation de faim. Cependant, un rebond pondéral survient dès l’arrêt du régime. C’est pourquoi il n’est pas indiqué dans le traitement de l'obésité.

    Pour Nicolas Guggenbühl, professeur de nutrition et de diététique à la HE Vinci, l'impact à long terme sur la santé pose question. "Deux études épidémiologiques majeures montrent que la plus faible mortalité est observée lorsque 50 à 55% des calories sont apportées à l'organisme par les glucides. La mortalité augmente quand l'apport en glucides est trop élevé ou, à l'inverse, trop faible, ce qui est le cas avec le régime cétogène. En plus de cela, ce régime supprime les fruits, les céréales complètes et les légumineuses qui sont trois catégories d'aliments extrêmement bénéfiques pour la santé".

    Ce régime se base sur l’hypothèse selon laquelle le génome humain ne s’est pas adapté pour manger les produits issus de l’agriculture. Il repose dès lors sur la consommation de viande, poisson, oeufs, fruits à coques, fruits et légumes. Il est dépourvu d’aliments transformés, de céréales et de produits laitiers.

    "C'est un régime proche du cétogène mais moins végétal. Il parle surtout aux hommes car cela renvoie à l'image de la viande grillée au barbecue, lance amusé Nicolas Guggenbühl. Ce régime nous fait croire qu’on va bénéficier des mêmes bienfaits que nos ancêtres. C'est une arnaque intellectuelle. L’exclusion de céréales complètes et de produits laitiers va à l’encontre des recommandations nutritionnelles qui, elles, sont basées sur des preuves. De plus, ce régime ne suggère pas une modulation bénéfique du microbiote intestinal, comme le prétendent ses adeptes".

    L'espérance de vie au paléolithique était de 35 ans. Les humains mourraient donc bien avant qu'apparaissent les risques de cancer ou d'ostéoporose, poursuit l’expert. “Les chasseurs-cueilleurs ne consommaient pas des animaux d'élevage mais des bêtes dont ils mangeaient tout jusqu'aux tendons, ligaments et petits os broyés... Ils bénéficiaient donc d'un apport en calcium par ce biais. On oublie aussi que pour avoir à manger les hommes préhistoriques devaient courir, au sens propre, après les animaux. Aujourd'hui, on va en voiture au magasin acheter de beaux morceaux de viande et on se nourrit assis derrière un écran…