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Les bénéfices d'une alimentation saine sur la santé physique sont connus. Mais aujourd’hui, il apparaît de plus en plus clairement qu’une alimentation équilibrée permet aussi de préserver sa santé mentale, voire d'améliorer la prise en charge de certains troubles psychiques.
Publié le: 19 février 2025
Par: Julie Luong
7 min
Photo: (c)AdobeStock // Au-delà de son impact immédiat sur notre état émotionnel, notre alimentation influence notre santé mentale à long terme.
Avez-vous déjà remarqué que votre humeur pouvait changer après un repas ? De manière générale, manger réduit l’excitation et l’irritabilité, mais ces effets peuvent varier en fonction de la composition de votre assiette. Ainsi, il a été démontré qu’après des repas riches en glucides et pauvre en protéines, on se sent en général plus calme et somnolent, alors qu’un repas riche en protéines, avec peu de glucides, provoquera l’inverse. La consommation de glucose a quant à elle des effets immédiats sur les zones cérébrales qui contrôlent les émotions et le plaisir, ce qui explique pourquoi la recherche de réconfort nous porte vers les aliments sucrés.
Au-delà de son impact immédiat sur notre état émotionnel, notre alimentation influence notre santé mentale à long terme. Pour autant, nul besoin de se lancer dans des régimes compliqués : "Une alimentation variée et équilibrée est clairement la solution adéquate pour diminuer le risque de stress ou d’anxiété", résume Patrice Cani, chercheur FNRS à l’UCLouvain et spécialiste des liens entre nutrition, microbiote et santé. Une étude publiée en 2019 sur une cohorte de plus de 30.000 personnes montrent que celles dont le régime était le plus proche du régime méditerranéen avaient 30 % de risques de dépression en moins, tandis qu'une consommation régulière d’aliments gras, sucrés et ultra-transformés augmentait ce risque de 60 %, indépendamment des facteurs socio-économiques associés. En 2017, une étude australienne avait quant à elle démontré l’efficacité de l’implémentation d’un régime de type méditerranéen chez des personnes souffrant de dépression sévère : 30 % d’entre elles avaient constaté une rémission complète de leurs symptômes, suggérant que l’alimentation joue non seulement un rôle majeur dans la prévention des troubles de santé mentale mais aussi dans leur traitement. Plusieurs études suggèrent par ailleurs une influence majeure de l’alimentation sur la santé mentale des adolescents, un sujet de préoccupation aujourd’hui majeur.
Plusieurs mécanismes — comme l'inflammation, la perméabilité de la barrière intestinale et le stress oxydatif — permettent d'expliquer ce lien entre équilibre alimentaire et santé mentale. Premièrement, l’inflammation : lorsque notre corps subit une agression, le système immunitaire réagit en libérant des substances pro-inflammatoires. Cette inflammation transitoire est un mécanisme de défense utile et nécessaire. Elle permet de lutter contre les infections, d’aider à la cicatrisation des blessures, de réagir à une situation de danger en provoquant un "bon stress", etc. Au contraire, quand cet état inflammatoire devient chronique, il augmente le risque de maladies, comme les maladies cardiaques, le diabète, mais aussi les troubles de santé mentale. Ainsi, 30 à 40 % des personnes souffrant d'une pathologie psychiatrique présenteraient une inflammation "de bas grade". "Cette inflammation de bas grade est difficilement détectable car elle ne provoque pas de symptômes directement visibles, mais elle se caractérise par l’augmentation de cellules inflammatoires comme les cytokines, que nous pouvons mesurer, précise Patrice Cani. Toutes les cellules de l’organisme se sentent alors dans un bain 'stressé'. Or on sait que cette inflammation de bas grade est favorisée par une alimentation riche en acides gras saturés comme les omégas 6 et faible en acide gras polyinsaturés comme les omégas 3."
Par ailleurs, si les "mauvaises graisses" accroissent la quantité de molécules pro-inflammatoires, elles altèrent aussi le fonctionnement des barrières qui protègent certains de nos organes. "Quand la barrière est altérée, elle va laisser passer une série de constituants pro-inflammatoires, au niveau de l’intestin, mais aussi du cerveau lui-même. On parle alors de neuro-inflammation", précise Patrice Cani qui rappelle que "tout est connecté" et que "70 % du système nerveux se trouve dans l'intestin". L’équilibre de ce "deuxième cerveau" se révèle donc essentiel pour notre santé mentale. Ainsi, de nombreux travaux montrent qu’il existe un lien entre les troubles du microbiote, les troubles gastro-intestinaux et la présence de troubles psychiatriques. "Par exemple, les personnes avec un syndrome de l’intestin irritable présentent souvent des symptômes d’anxiété. Dans l’autisme, on trouve aussi fréquemment des troubles gastro-intestinaux", détaille l'expert.
Enfin, si une alimentation déséquilibrée a tendance à provoquer une inflammation de bas grade et une perméabilité de la barrière intestinale, elle a aussi tendance à créer un stress oxydatif. "En temps normal, nos cellules produisent des déchets mais elles arrivent à les éliminer. Si elles ne sont pas bien nourries, elles perdent cette capacité : c’est le stress oxydatif, qui est aussi l’une des causes de développement du diabète de type 2 ou des maladies cardiovasculaires", poursuit Patrice Cani.
Le régime méditerranéen se caractérise par :
– une consommation importante d’huile d’olive, de fruits, de noix, de légumes et de céréales,
– une consommation modérée de poisson et de volaille,
– une faible consommation de produits laitiers, de viande rouge, de viandes transformées et de sucreries.
Il est aujourd’hui reconnu par l’OMS comme étant le régime qui permet de réduire l’incidence de nombreuses maladies chroniques, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’obésité et le cancer.
Patrice Cani, chercheur FNRS
En 2013 avec ses collègues de l’UCLouvain, Patrice Cani a réalisé une étude sur une cohorte de sujets dépendants à l’alcool. "L’alcool altère la barrière intestinale. Nous avions montré que chez les personnes en sevrage alcoolique, cette barrière intestinale s’améliorait si elles bénéficiaient d’une alimentation équilibrée pendant les quinze jours de leur hospitalisation. Chez les personnes dont la barrière intestinale ne s’améliorait pas, on remarquait une persistance beaucoup plus grande d’anxiété, de stress et de craving (envie irrépressible de consommer, NDLR) après l’arrêt de la consommation." Des données qui suggèrent que l’adoption ou le retour à une alimentation équilibrée pourrait significativement améliorer l’humeur, les problèmes de dépendance et le bien-être général. À condition d’être patient. "Il faut souvent attendre plusieurs semaines pour mesurer les effets de certaines modifications alimentaires sur le bien-être", précise Patrice Cani.
"L’étude des liens entre alimentation et santé mentale a donné naissance à une discipline émergente, la psychiatrie nutritionnelle", explique de son côté Simon Van Haverbeke, qui réalise en ce moment une thèse dans ce domaine à l’UCLouvain. "Nous savons que l’alimentation des patients dépressifs est généralement moins bonne que dans le reste de la population. Mais est-ce la cause ou la conséquence de la dépression ? Souvent, quand on se sent moins bien, on a aussi tendance à moins bien manger... C’est pourquoi nous cherchons à réaliser des études interventionnelles sur des patients hospitalisés pour dépression, afin de prouver que l’alimentation a bel et bien un effet sur les symptômes", explique le chercheur. L’espoir est de parvenir à améliorer de manière significative l’état des patients grâce à des mesures alimentaires personnalisées.
En France, la fondation FondaMental, qui développe des approches innovantes en psychiatrie, a de son côté mis au point l’application Food4Mood, qui fournit des conseils nutritionnels personnalisés pour accompagner les personnes atteintes de dépression. Néanmoins, pour Simon Van Haverbeke, il est aujourd’hui difficile d’aller réellement plus loin que les recommandations habituelles en termes d’alimentation saine... "C’est le but de la psychiatrie nutritionnelle. Mais aujourd’hui, cela demande des moyens énormes en termes d’analyses de données. C’est possible en recherche, mais pas encore dans la pratique clinique", explique-t-il. Le chercheur met aussi en garde contre l’écueil que représente le souci excessif d’avoir une alimentation saine, l’orthorexie : "Les patients anxieux peuvent plus facilement tomber dans ce trouble or, à force d’éliminer de plus en plus d’aliments, ils se retrouvent parfois à ne plus manger grand-chose, ce qui est également délétère."
"On ne pourra pas traiter tous les problèmes psychiatriques par l’alimentation, mais je suis convaincu qu’en jouant sur l’alimentation, la réponse thérapeutique pourrait être améliorée, conclut Patrice Cani. L’ensemble des cellules de notre organisme fonctionne grâce à l’énergie qu’on leur donne : comment faire pousser des fleurs magnifiques sans terreau ?"