Soins de santé
Mécanisme complexe et involontaire, l’érection et son soi-disant corollaire, la pénétration, sont au cœur de nombreuses préoccupations. Pourtant, ni l’une ni l’autre ne sont forcément liées au désir ni même au plaisir.
Publié le: 19 juin 2023
Par: Candice Leblanc
9 min
Photo: © AdobeStock
Nous avons beau vivre dans une société hypersexualisée, force est de constater que le fonctionnement des organes génitaux masculins n’est pas très bien connu ni beaucoup mieux compris que l’anatomie féminine ! Contrairement aux idées reçues, un homme peut, par exemple, désirer son ou sa partenaire sans avoir d’érection. Et vice-versa : comme les tétraplégiques ou les hommes victimes de violences sexuelles peuvent en témoigner, il est tout à fait possible d’avoir une érection sans désir… "Une grande partie du processus menant à l’érection est réflexe et n’est donc pas 'volontaire', explique le Dr Colin Andrianne, urologue au Centre hospitalier du Bois de l’Abbaye et de Hesbaye, à Seraing. C’est un mécanisme complexe et multifactoriel, qui fait intervenir toute une série de phénomènes physiologiques et psychologiques."
Mais qu’est-ce qu’une érection ? Comment ça marche ? "Tout commence par un stimulus – visuel, tactile ou même une pensée – qui déclenche, depuis le cerveau, une réaction en cascade, poursuit l’urologue. Un cocktail d’hormones, de neurotransmetteurs et d’influx nerveux fait se relâcher les fibres musculaires situées dans les corps caverneux du pénis, y provoquant un afflux de sang." Les corps caverneux se comportent comme des éponges : en se gorgeant de sang, ils "écrasent" de petites veines situées à proximité, ce qui empêche le sang de refluer… et permet ainsi la tumescence du pénis, c’est-à-dire son gonflement et son durcissement.
Évidemment, le moindre grain de sable peut enrayer la machine ! C’est fréquent : 20 à 30 % des hommes connaitront des troubles érectiles au cours de leur vie et près de la moitié des plus de 60 ans sont concernés. "Sur le plan physique, les maladies cardiovasculaires sont à l’origine de la plupart des problèmes d’érection, rappelle le Dr Andrianne. Hypertension, diabète (1), excès de cholestérol ou encore obésité, a fortiori s’ils sont associés au tabagisme, abiment les vaisseaux sanguins. Or, les artères du pénis sont fines et, donc, particulièrement sensibles à l’athérosclérose (2). En d’autres termes, elles se 'bouchent' plus facilement." Des études ont d’ailleurs démontré que les troubles de l’érection peuvent être un symptôme sentinelle, annonciateur d’un futur infarctus ! "Passé 45-50 ans, tout homme qui commence à présenter une dysfonction érectile devrait aller faire un bilan chez un cardiologue", conseille donc le médecin.
Cela dit, l’explication peut être tout autre. Des troubles neurologiques (AVC, maladie de Parkinson, lésion de la moelle épinière, lésion nerveuse d’origine chirurgicale, etc.), certains médicaments, l’alcool, les drogues récréatives ou encore des problèmes hormonaux peuvent gêner, voire empêcher l’érection. "L’âge est aussi un important facteur, ajoute le Dr Andrianne. C’est comme une voiture : avec le temps, les pièces (vaisseaux sanguins, tissus, etc.) et la mécanique s’usent… Sans oublier le stress qui a un effet négatif certain sur l’érection et sur le désir sexuel en général."
Tant chez les hommes que chez les femmes, le désir et le plaisir sexuels sont profondément influencés, voire conditionnés par des facteurs psychologiques, émotionnels et relationnels. Ainsi, le stress et la fatigue, mais aussi l’angoisse, l’inquiétude, la tristesse, la douleur, un traumatisme, la pression au travail ou encore des tensions dans le couple peuvent saboter nos vies sexuelles. Charlotte Leemans, présidente de la Société des sexologues universitaires de Belgique (3), confirme : "Je vois de plus en plus d’hommes arriver en consultation pour un problème sexuel, mais qui souffrent en fait de burn-out ou de dépression. Les pensées, les idées que nous avons sur la sexualité sont aussi primordiales. Elles peuvent être notre meilleur carburant sexuel (à travers les fantasmes et l’anticipation, par exemple) ou nos pires ennemies !-" Avoir peur de perdre son érection pendant un rapport, par exemple, est la meilleure manière pour que cela arrive… Sans oublier la courante et inutile angoisse de la performance – qui 'paralyse' bien des (jeunes) hommes – ou de l’éjaculation précoce, fréquente aussi. "À cause de la pornographie et de notre culture de la performance, les gens ont des conceptions erronées, voire franchement absurdes concernant les 'normes' sexuelles, déplore le Dr Andrianne. D’un point de vue médical, une éjaculation peut être considérée comme précoce si elle survient moins d’une minute après le début du coït. Éjaculer au bout de 3 ou 4 minutes de pénétration est donc tout à fait normal !"
Souvent, l’éjaculation est associée à l’orgasme masculin. Or, les deux phénomènes ne sont pas toujours liés. "Certes, l’émission de sperme s’accompagne généralement d’un pic de plaisir, explique l’urologue. Mais ce qu’on appelle l’orgasme est une notion assez subjective sur laquelle les hommes font des retours très différents. Certains jouissent sans éjaculation ni même érection. On le voit chez les patients tétraplégiques ou après certaines chirurgies de la prostate, par exemple." "On peut aussi avoir un orgasme en rêve !, ajoute Charlotte Leemans. Preuve que tout se joue dans notre cerveau qui, rappelons-le, est notre principal organe sexuel…" Un fait que bien des hommes ont tendance à oublier, au détriment de leur épanouissement sexuel… et de celui de leur(s) partenaire(s).
Charlotte Leemans est formelle : le premier motif, la porte d’entrée d’une consultation chez le ou la sexologue tourne presque toujours autour du coït. Troubles érectiles ou éjaculation précoce chez Monsieur, absence de plaisir ou douleurs à la pénétration chez Madame, baisse ou différences de désir entre l’un et l’autre, y compris au sein des couples homosexuels… "Ces difficultés tournent toutes autour du pénis et de la pénétration (vaginale). Or, celle-ci n’est pas la clé de voute d’un rapport sexuel ‘'réussi' et encore moins un passage obligé ! Ce n’est qu’une pratique parmi d’autres, à peine 10 % de ce que l’on peut faire avec son ou sa partenaire. Rester focalisé là-dessus revient à s’enfermer dans une approche très réductrice et pauvre de la sexualité…"
Pour (re)trouver une vie sexuelle joyeuse et épanouissante, il faut donc sortir de cette vision "phallocentrée" qui, in fine, fait du mal à de nombreux hommes… et pas beaucoup de bien aux femmes. Et ça commence par revoir le vocabulaire de la sexualité. "Le terme 'préliminaires' est problématique en soi, commente la sexologue. Comme si les caresses et le sexe oral étaient l’entrée, la pénétration le plat et l’orgasme (de Monsieur) le dessert ! Tout le monde aurait tout à gagner à abandonner cette vision de 'menu à la française' au profit d’une approche type 'mezze à la libanaise' : soit plein de petits 'plats' dans lesquels on pioche dans le désordre, selon l’envie et les gouts des partenaires."
Ensuite, il faut battre en brèche une fausse croyance pourtant bien enracinée : d’un point de vue purement orgasmique, pour l’écrasante majorité des femmes, la pénétration vaginale – même si elle peut être plaisante ! – n'a que peu d’intérêt. "N’en déplaise à certains, ce n’est pas le pénis qui fait jouir une femme : c’est son clitoris, rappelle Charlotte Leemans. D’ailleurs, il n’existe pas d’orgasme 'vaginal', comme on disait autrefois. L’orgasme féminin est toujours d’origine clitoridienne, soit par stimulation externe et directe du gland du clitoris (sa partie visible, NDLR), soit, plus rarement, par stimulation interne seule. Ou les deux en même temps. " Ce n’est guère étonnant : alors que le vagin est très peu innervé – heureusement, sinon accoucher serait encore plus douloureux ! – d’après des chercheurs américains (4), le nerf dorsal du clitoris compterait plus de 10.000 terminaisons nerveuses. Soit deux fois plus que le gland du pénis…
Enfin, sortir du phallocentrisme passe aussi par l’exploration et la stimulation d’autres zones du corps masculin. Tétons, lobes d’oreille, creux du cou, nombril, fesses… chaque homme est différent et a ses préférences. Prendre le temps de caresser, embrasser ou masser autre chose que les organes génitaux permet de découvrir des zones érogènes que, parfois, le principal intéressé ne soupçonne même pas ! Ce qui peut se traduire par de nouvelles pratiques. Ainsi, un nombre croissant d’hétérosexuels s’adonnent aux stimulations prostatiques, soit par pression sur le périnée (entre les testicules et l’anus), soit via le rectum. Le "point P " – en référence au point G des femmes – serait pour beaucoup une étonnante et puissante source d’extase sexuelle (5). Preuve que la jouissance des hommes ne se résume heureusement pas à leur pénis…
(1) Les troubles érectiles sont ainsi trois fois plus fréquents chez les hommes diabétiques que dans la population générale.
(2) L’athérosclérose désigne la formation de "plaques" de graisses sur les parois des artères.
(3) Attention, le titre de sexologue n’est pas protégé en Belgique. Pour être sûr de tomber sur une personne titulaire d’un master ou d’un certificat universitaire, consultez ssub.be.
(4) Étude présentée par une équipe de l’Université de Santé et Sciences de l’Oregon lors d’une réunion scientifique de la Société internationale de Médecine sexuelle, en octobre 2022.
Le guide du point P et du plaisir prostatique, C. Glickman et A. Emirzian, éd. Tabou, 2013.