Intimité et sexualité

Handicap et sexualité : oser en parler, et plus si affinités

Aimer et être aimé, s'engager dans une histoire, avoir des relations sexuelles... Le handicap ne devrait pas être un obstacle à un épanouissement relationnel et intime. De nombreuses initiatives soutiennent ce droit fondamental.


 

Publié le: 19 février 2024

Mis à jour le: 26 septembre 2024

Par: Sandrine Cosentino

8 min

"Quels que soit notre autonomie, notre âge ou notre handicap, nous avons tous droit à l’amour", rappelle l'Aviq.

Photographie: © AdobeStock

Il y a un peu plus d'un an, Christian a rencontré Carmela lors d'une soirée de rencontre "Parlons d'amour". Depuis, ils se retrouvent régulièrement même s'ils viennent d'institutions différentes. Malgré sa pudeur, Christian aime parler de sa relation avec son amie. Comme tous les amoureux, ils partagent des moments complices : repas au restaurant, promenades autour du lac, échanges de cadeaux. "Lorsque Christian nous dit qu'il est heureux avec Carmela, notre objectif est atteint", s'enthousiasme Jacques van der Vorst, directeur pédagogique de La Clarine et coordinateur du projet "Parlons d'amour".

En tant que citoyen, une personne en situation de handicap a les mêmes droits que toute autre personne concernant sa vie relationnelle, affective et sexuelle (Vras). La convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées réaffirme ces droits. Le Code wallon de l'action sociale et de la santé promeut une meilleure prise en compte de ces besoins dans les projets pédagogiques des établissements et dans les projets individuels des bénéficiaires. "Force est de constater que certaines personnes en situation de handicap ou en souffrance psychique se sentent isolées, recluses ou confinées au sein du milieu familial ou institutionnel, rappelle, dans le magazine Inclusion, Christian Nile, référent Vras de l'Aviq et organisateur du salon Envie d'amour. Elles aspirent souvent à construire ou reconstruire des relations d’amitié, à retisser des liens affectifs et parfois à être en couple. Mais la réalité entrave souvent la réalisation de ces besoins et ces désirs, qui sont sources de plaisir." La sexualité fait partie intégrante de la personnalité de chaque être humain. Pourtant, la personne ayant un handicap (mental ou moteur) peut parfois être considérée comme asexuée. "Quels que soit notre autonomie, notre âge ou notre handicap, nous avons tous droit à l’amour", rappelle-t-il !

Favoriser les rencontres

Depuis plusieurs années, l'Aviq s'efforce de lever les tabous autour du handicap et de la sexualité. Tous les deux ans, l’Agence wallonne pour la qualité de vie organise ainsi le salon Envie d’amour. La rencontre y est le maitre-mot, alors pas de conférences ex cathedra. Les visiteurs participent à des ateliers de bonnes pratiques, des animations et des cafés-causeries. "L'objectif du premier salon était de faire évoluer les mentalités", se souvient Christian Nile. Le succès est au rendez-vous, chaque année le nombre de participants augmente.

Au sein des institutions également, les projets autours de la vie relationnelle, affective et sexuelle se multiplient. À La Clarine, service d’accueil de jour et résidentiel de nuit pour personnes handicapées mentales adultes situé à Manage, le projet "Parlons d'amour" a été développé pour répondre à la solitude exprimée par les bénéficiaires. "Nous avons eu l'idée de proposer des soirées de rencontre entre institutions avoisinantes, précise Jacques van der Vorst. La première a eu lieu en février 2010." Depuis, le projet a pris de l'ampleur, il existe cinq antennes en Wallonie regroupant une cinquantaine d'institutions. Chacune organise une rencontre par mois. "Lorsqu'une institution participe au projet, elle s'engage à soutenir les personnes qui entreraient en relation en leur donnant les moyens de se parler par téléphone, de se voir, d'avoir des moments d'intimité…" L'implication du personnel encadrant, le soutien de la direction et des parents sont essentiels pour le bon déroulement du projet. "Au quotidien, nous ressentons tout ce que le projet apporte de positif, assure Christelle Debelder, présidente de l'antenne Parlons d'amour Hainaut-Brabant wallon. Les éducateurs ressentent une différence au niveau de l'humeur des personnes. Pour nos bénéficiaires, voir d'autres couples faire des projets leur prouve qu'il est possible de vivre une histoire amoureuse." Et lorsque nous parlons d'avenir, Christian est tout sourire : il souhaiterait partir en vacances avec Carmela.

Au 21e siècle, les rencontres amicales et amoureuses passent aussi par internet. "Il y a des sites de rencontres classiques mais il faut bien l'avouer, le handicap n'y est pas très vendeur…" a constaté Cyrille Coppenolle. Pour favoriser et améliorer les rencontres des personnes en situation de handicap, il a développé deux sites 100 % belges et gratuits : caphugs.com, dédié aux personnes en situation de handicap et de maladie invalidante où les personnes valides sont également les bienvenues et caphugsinstitution.be, site sécurisé pour les personnes en institutions en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le projet est récent et ne demande qu'à se développer. 

Vivre des moments intimes

Pour permettre aux personnes ayant une déficience mentale ou physique de vivre une expérience érotique, sensuelle ou sexuelle de qualité, l'asbl Aditi propose les services  d'accompagnants sexuels. "Leur travail ne se limite pas à un acte sexuel", clarifie Pascale Van Ransbeeck, collaboratrice d’Aditi pour la Wallonie-Bruxelles. Cela peut passer par la relaxation, les massages, les caresses, la masturbation ou aider un couple pour concrétiser une relation intime. "J'entre en contact physique avec la personne, cela peut prendre du  temps, témoigne Zoé, accompagnante chez Aditi. Il arrive qu'au début, je peux à peine la toucher. Quand une relation de confiance s'installe après quelques séances, elle se détend et exprime ses désirs." À La Clarine, les bénéficiaires peuvent faire appel aux services d'Aditi. L'institution vient d'ailleurs d'aménager une chambre d'amour pour ceux qui souhaitent un moment d'intimité.

"Il y a quelques mois, j'ai été contactée par une famille pour un jeune homme qui se masturbait à des moments et dans des lieux inappropriés, se souvient Zoé. Depuis que nous nous voyons, ses comportements inadéquats ont cessé. La dernière fois, il m'a demandé comment se comporter s'il avait une petite copine…" En 2017, après un avis positif du Comité de bioéthique, le Parlement wallon a adopté un projet de résolution pour donner un cadre légal au service d’assistance sexuelle, estimant qu'il constitue l’une des réponses pertinentes aux discriminations que rencontrent les personnes handicapées dans leur vie sexuelle.