Seniors
Sous-diagnostiquée, sous-financée et sous-étudiée, l'endométriose atteint pourtant une femme sur dix. Une étude de la MC fait le point sur les réalités de cette maladie.
Publié le: 17 octobre 2024
Par: Soraya Soussi
11 min
Photo : ©AdobeStock - Avoir des douleurs intenses durant les règles n'est pas normal. Cette idée reçue est à l'origine de nombreuses errances de diagnostic concernant l'endométriose.
Sofia a 35 ans lorsqu'on lui diagnostique un cancer du col de l'utérus. Au cours d'une échographie qui suit cette annonce, on découvre qu'elle a également de l'endométriose sur les ovaires et leurs ligaments. "Je soupçonnais d'en avoir mais je n'avais pas réussi à le 'prouver'", confie-t-elle. Quelques années plus tôt, elle avait pris connaissance de cette maladie chronique sur les réseaux sociaux. Présentant les symptômes évoqués, elle s'était empressée de prendre rendez-vous avec une gynécologue qui l'avait remballée aussi net. "Selon elle, je n'avais pas d'endométriose et c'était normal d'avoir mal pendant les règles, se souvient Sofia. Elle m'a finalement expliqué que les examens pour diagnostiquer une endométriose étaient lourds." Pourtant, il a fallu une simple échographie, chez une autre spécialiste, pour détecter les endométriomes (kystes remplis de sang).
Cet exemple illustre la méconnaissance et le manque d'encadrement du système de soins autour de la maladie. Une récente étude menée par la MC montre que les femmes touchées sont confrontées à une longue errance diagnostique et thérapeutique, et souligne l'urgence de réformer les politiques de santé pour améliorer leur prise en charge.
L’endomètre est le tissu qui tapisse l’intérieur de l’utérus. C'est sur celui-ci que l’embryon se développe. Quand il n'y a pas de grossesse, cet endomètre est éliminé par le vagin à la fin de chaque cycle menstruel : ce sont les règles. Mais chez les femmes atteintes par la maladie, cet endomètre est anormalement placé en dehors de la cavité utérine, empêchant l’élimination normale du tissu et provoquant des inflammations.
D'une femme à l'autre, la maladie peut s’insinuer à des endroits divers. Elle peut toucher les trompes, les ovaires, le péritoine (tissu recouvrant la cavité abdominale), mais aussi atteindre les organes comme l'intestin, le vagin, l'appareil urinaire, etc. Plus rarement, le tissu peut se former dans la cage thoracique ou le diaphragme, voire se retrouver sous forme de nodules sur les nerfs sciatique et pudendal.
Les symptômes les plus courants sont des douleurs intenses durant les règles, des douleurs pelviennes à d'autres moments et une infertilité. Des témoignages font état de douleurs durant les rapports sexuels, de fatigue chronique, de troubles intestinaux et parfois de dépression et d'anxiété. Chaque cas étant unique, des femmes peuvent subir encore d'autres symptômes. À noter que certaines personnes sont asymptomatiques.
Lire l'étude complète "Les trajets de soins de l’endométriose : un parcours de combattantes"
Une femme sur dix est touchée par l'endométriose. En moyenne, il faut attendre entre 7 à 10 ans avant de poser un diagnostic. En Belgique, le délai moyen est de 5 ans. La littérature pointe plusieurs facteurs à l’origine de cette errance diagnostique : la présentation clinique complexe, une méconnaissance de la maladie et un examen normé pour la détecter (laparoscopie) qui comprend ses propres risques, est invasif et n’est pas suffisamment accessible aux patientes pour des raisons économiques et géographiques.
Le délai de diagnostic est plus long pour les femmes dont les douleurs pelviennes sont le symptôme principal par rapport aux femmes rencontrant des difficultés à avoir une enfant. "Les problèmes de fertilité sont perçus socialement comme un 'problème' 'qui doit être traité. Ce n’est pas le cas des douleurs menstruelles chez les femmes, qui sont normalisées dans nos sociétés", déplore Elise Derroitte, vice-présidente de la MC.
Elise Derroitte, vice-présidente de la MC
En quête d'une solution pour apaiser ses douleurs, Sofia a enchaîné les rendez-vous médicaux. Avant d'obtenir son diagnostic, elle avait consulté deux médecins et quatre gynécologues. "Je devais répéter ce que j'avais à chaque fois. Et on me rabâchait que c'était 'normal de ne pas être bien durant les règles'. Or, je restais clouée au lit de douleur, j'étais épuisée et ma mémoire était véritablement affectée." Tout cela a également eu un impact sur ses relations sociales, affectives et professionnelles.
Les femmes ayant été hospitalisées ou en incapacité de travail en 2022 pour motif d’endométriose ont rencontré en moyenne cinq gynécologues différents sur une période de trois ans, montre l’étude MC. Parmi elles, 5 % ont rencontré 12 gynécologues ou plus, alors que la majorité des autres femmes consultent toujours le même gynécologue.
Durant le parcours de soins, il est courant, voire nécessaire de faire appel à d’autres spécialistes tels que des anesthésistes, des chirurgiens, des gastro-entérologues, des urologues, ainsi qu’à des infirmières, des kinésithérapeutes, des psychologues, des sages-femmes et des sexologues. "L’endométriose n’est pas une maladie qui peut être soignée par un seul type de médecin, mais elle nécessite la collaboration d’un large groupe de professionnels de la santé. Les cliniques multidisciplinaires de l’endométriose sont indispensables pour une bonne prise en charge", précise Elise Derroitte.
L'endométriose est, à l'heure actuelle, une maladie incurable. Mais il existe des traitements pour "contrôler" les symptômes : la chirurgie, les anti-douleurs ou anti-inflammatoires, la pilule contraceptive, les progestatifs, les œstrogènes, etc.
Pour Sofia, il a fallu effectuer une ablation de l'endométriome sur l'un de ses ovaires. Mais le kyste est réapparu. "J'ai eu la mauvaise idée de ne pas prendre un médicament quand j'ai senti les douleurs arriver pendant mes règles. Je l'ai regretté…" Des douleurs extrêmes l'ont envoyée aux urgences. Sur place, un médecin lui a donné un Tramadol (une forme d’analgésique puissante et addictive de la famille des opioïdes) pour la soulager. Selon l'étude, 34 % des femmes atteintes d’endométriose ont consommé des opioïdes en 2022. C’est presque 2,5 fois plus que chez les autres femmes. L’utilisation d’anti-inflammatoires et d’autres analgésiques est également nettement plus élevée.
Un symptôme majeur de la maladie est celui de l’infertilité. Les patientes qui désirent un enfant mais qui n'y parviennent pas à cause de l'endométriose sont réorientées vers la procréation médicalement assistée (PMA). L'étude démontre d'ailleurs qu'elles sont aussi logiquement plus susceptibles d'y recourir. 19 % d’entre elles sont passées par l’insémination artificielle ou par la fécondation in vitro entre 2017 et 2023, contre 3 % des autres femmes.
Outre les dégâts sur la santé, l’endométriose coûte cher aux patientes. Les femmes touchées prennent en charge, en moyenne, 641 euros par an de frais de soins de santé, contre 267 euros par an pour les autres femmes. L'étude révèle que pour celles qui ont été hospitalisées ou en incapacité de travail en raison de l’endométriose en 2022, les coûts étaient de 1.495 euros (en moyenne). Et pour 5 % d’entre elles, les coûts dépassaient même 4.695 euros.
De tels frais posent indéniablement la question de l'égalité d'accès aux soins de santé. "Nous sommes convaincus que les femmes défavorisées sur le plan socio-économique rencontrent des freins financiers, des difficultés géographiques et sociales pour accéder aux soins", déclare Clara Noirhomme, autrice de l'étude.
L'étude relève que 25 % des femmes qui sont atteintes d'endométriose ont été en incapacité de travail en 2022, contre 12 % des autres femmes, soit deux fois plus. Cette situation, tout comme la difficulté à trouver un emploi adapté à sa santé (par exemple, un poste assis ou du télétravail), peut mener à une baisse du pouvoir d’achat de ces femmes et à une précarisation.
Le Centre fédéral d'expertise de soins de santé (KCE) a été mandaté en 2023 par le Parlement fédéral afin de mener une évaluation du paysage des soins d'endométriose. Son rapport propose une organisation des soins en deux niveaux : des centres d’expertise et des cliniques au niveau locorégional. Le service d'étude de la MC confirme la nécessité de créer des centres de référence pour l'endométriose composés d'équipes multidisciplinaires (gynécologues, urologues, chirurgiens, infirmières spécialisées dans l’endométriose, psychologues, médecins spécialistes de la fertilité, radiologues, kinésithérapeutes, etc.). Ces centres spécialisés permettraient de coordonner les soins et de garantir un accès équitable à un traitement de qualité, quel que soit l'endroit où vit la patiente.
Un meilleur encadrement des remboursements, grâce la mise en place de conventions avec l’Inami, permettrait également de soulager financièrement les patientes.
Enfin, l'étude appelle à une meilleure formation des professionnels de santé pour qu'ils soient capables de reconnaître les symptômes de l'endométriose dès les premières consultations et à l'écoute de leurs patientes.