Maladies chroniques

Allergies, discrète épidémie

Le nombre de personnes souffrant d’allergies et la sévérité des réactions allergiques ne cessent d’augmenter. À tel point que, selon l’OMS, la moitié de la population mondiale pourrait être concernée en 2050. Une évolution qui va de pair avec celle de nos modes de vie et avec certains changements environnementaux, comme le réchauffement climatique.

Publié le: 02 juin 2022

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Valentine De Muylder

6 min

femme qui se mouche

Photo: En Belgique, près d’une personne sur cinq souffre d’allergie - © AdobeStock

En Belgique, près d’une personne sur cinq déclare souffrir d’allergies , selon la dernière enquête de santé réalisée par Sciensano. Et la tendance est à la hausse : entre 1997 et 2018, la proportion des femmes se disant allergiques est passée de 15% à 20,3%, et celle des hommes de 10,4% à 17%. "J’ai l’impression d’être submergé de demandes, confirme Olivier Michel, professeur émérite d’immuno-allergologie à l’Université Libre de Bruxelles. Quand on regarde les consultations qui débordent et les patients qui vont aux urgences pour des réactions allergiques sévères, de plus en plus fréquentes, on peut dire que cette augmentation s’est accélérée ces 10 dernières années."

Une maladie de civilisation

Souvent banalisées, les maladies allergiques se répandent à travers le monde depuis la seconde moitié du 20e siècle, à la manière d’une lente et discrète pandémie. "La prévalence des allergies augmente dans les pays occidentaux et dans les pays à forte croissance économique, observe le Pr Michel. "C’est vraiment une maladie de civilisation. J’ai fait beaucoup d’études dans le sud du Vietnam, un pays qui connait une croissance économique de 10% par an. On voit apparaître de très nombreux problèmes d’allergies dans les grandes villes ! Ce n’est pas le cas dans les campagnes, où on vit de façon traditionnelle.

Si vous ne lui donnez pas de quoi apprendre, le système immunitaire va rester dans un état d’immaturité

Pr Michel

Comment expliquer le lien entre allergies et développement économique ? La principale piste de réponse est l’hypothèse dite "hygiéniste", selon laquelle l’apparition des allergies va de pair avec l’amélioration de l’hygiène et de l’accès aux soins de santé. "Les pays où on vit vieux et où on a un très bon état de santé général sont les pays où on trouve le plus d’allergies", explique le Pr Michel. Et ce parce que nous sommes de moins en moins exposés naturellement, dès la petite enfance, aux microbes et aux virus. Une exposition qui joue pourtant un rôle essentiel dans le développement de l’immunité : "Si vous ne lui donnez pas de quoi apprendre, le système immunitaire va rester dans un état d’immaturité, qui correspond à la réponse allergique." Une étude a ainsi démontré que les enfants amish – ces fermiers américains qui vivent et cultivent "à l’ancienne", dans un environnement tout sauf aseptisé – présentaient beaucoup moins de risques d’allergies que d’autres enfants au bagage génétique proche

D’autres hypothèses liées à nos modes de vie occidentaux sont également avancées, comme la disparition de parasites qui peuplaient jadis nos systèmes digestifs et participaient à notre immunité, l’utilisation excessive de savons et produits qui rendent notre peau plus perméable aux allergènes, ou encore l’abondance d’allergènes et de conservateurs dans l’alimentation.  

La pollution : un facteur aggravant

La mauvaise qualité de l’air est également mise en cause. Si elle ne rend pas allergique, "l’exposition intense à la pollution peut être un facteur aggravant chez quelqu’un qui a une allergie respiratoire sévère, précise le Pr Michel, qui cite l'exemple des Jeux olympiques de Pékin.  La circulation a été arrêtée dans le centre de la ville et tous les indices de pollution sont tombés à zéro. Pendant cette période, on a vu une très nette diminution du nombre d’admissions d’enfants asthmatiques à l’hôpital." Lorsque les voitures ont réintégré la ville, les enfants asthmatiques ont fait leur retour aux urgences… 

Les graminées qui poussent le long des autoroutes sont plus allergisantes que celles des campagnes

Pr Michel

Mais l’effet aggravant de la pollution atmosphérique sur les allergies prend aussi une voie moins directe et plus surprenante, en rendant les pollens (responsables du fameux rhume des foins) plus allergisants. En agressant la plante, la pollution la pousse en effet à se défendre en produisant certaines protéines, les pathogenesis-related proteins, que l’on retrouve dans les pollens. "Et malheureusement, ce sont justement ces protéines de défense qui sont allergisantes, explique le Pr Michel. "Des études ont démontré que les graminées qui poussaient le long des autoroutes étaient plus allergisantes que celles des campagnes, parce qu’elles sont en permanence exposées aux gaz d’échappement."

Quand les changements climatiques s’en mêlent

L’impact des facteurs environnementaux sur les allergies, et en particulier sur les allergies aux pollens, est complexe. "Le réchauffement climatique, la sécheresse et autres événements météorologiques extrêmes, la pollution de l'air, de l'eau et du sol, ainsi que les changements d'affectation des sols, ont un impact profond sur la production, la dispersion et la qualité du pollen des plantes, écrit Sciensano, l'institut de santé public fédéral, qui suit la situation de près dans le cadre du réseau belge de surveillance aérobiologique. L’intensité et la durée des saisons polliniques se retrouvent augmentées au fil des décennies, avec un timing généralement plus précoce. C’est le cas par exemple en Belgique pour des arbres allergisants comme le bouleau, le noisetier, l’aulne et le frêne."

L'absentéisme et la baisse de productivité liée à des allergies engendrerait un coût indirect de 55 à 151 milliards d’euros par an pour l'UE

 "L’augmentation progressive de l’exposition aux aéroallergènes contribue certainement à l’augmentation de la prévalence des allergies", ajoute Sciensano, qui précise toutefois que cet impact doit encore être plus précisément évalué. Six stations de mesure permettent au réseau de surveiller la présence d’allergènes dans l’air et d’en informer médecins et patients, grâce au site AirAllergy.be. On peut notamment y lire que, sous l’influence du réchauffement climatique, de nouveaux végétaux sont susceptibles d’envahir nos régions : des plantes fortement allergisantes qui sévissent actuellement dans le sud de l’Europe, comme l’ambroisie et le pariétaire, pourraient étendre petit à petit leur territoire jusqu’en Belgique.

Un véritable enjeu de société

Les maladies allergiques n’ont pas qu’un impact sur la qualité de vie des personnes qui en souffrent ; elles ont également un coût important pour la société. Une récente étude commandée par le SPF Santé publique au sujet de l’impact des changements climatiques sur le système belge de soins de santé soulignait notamment les effets négatifs des allergies sur les performances scolaires des enfants et des jeunes, ainsi que sur le monde du travail. Dans l’Union européenne, l’absentéisme et la baisse de productivité liée à des allergies insuffisamment traitées engendrerait un coût indirect de 55 à 151 milliards d’euros par an. 

Heureusement, des traitements existent et ils ne cessent de s’améliorer. La recherche s’intéresse aussi à la prévention des allergies et la piste d’un vaccin est évoquée.  Cependant, selon l’étude commandée par le SPF Santé publique, un grand nombre de patients ne seraient pas ou pas suffisamment soignés. Pour le Pr Michel, une vraie prise de conscience des autorités de santé s’impose : "Je pense par exemple qu’il faudrait mettre en place des formations, une certification en allergologie pour les médecins spécialistes (pneumologues, dermatologues…), comme c’est le cas dans la plupart des pays européens."