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Le combat contre le cancer laisse des traces. Pour que le retour au travail se passe bien, une reprise en douceur et une préparation s'impose pour le travailleur comme pour l'employeur.
Publié le: 20 décembre 2023
Par: Barbara Delbrouck
7 min
Photo: © Adobe Stock - Pour qu'un retour au travail se passe bien, il est important que toute l'équipe s'implique...
À 30 ans, Magali Mertens doit affronter un cancer ORL qui implique de lourdes opérations à la mâchoire. Après une longue absence, la chargée de communication reprend le travail mais elle a du mal à se concentrer, fait des fautes d'orthographe… "Au début, tout le monde a été bienveillant, raconte-t-elle. Mais après un an, les gens ont commencé à se dire : ‘bon, maintenant tu es guérie, reprends-toi'. Comme beaucoup d'employeurs, ma cheffe n'était pas au courant des effets secondaires à long terme des traitements du cancer." Fondatrice de l'asbl Travail et cancer et auteure d’un livre sur le sujet, Magali fait à présent partie d'un réseau d'oncocoachs certifiés par la Fondation contre le cancer pour accompagner survivants du cancer et employeurs à mieux gérer cette transition délicate.
S'ils ont tendance à rester discrets pour ne pas jouer les trouble-fêtes, les patients "guéris" ou en rémission doivent souvent encore cohabiter avec de nombreux symptômes liés à leurs traitements : problèmes de transit, douleurs articulaires… Les effets secondaires sont divers. Parmi ceux-ci, les troubles cognitifs comme la fatigue ou les difficultés de concentration impactent particulièrement les ressources professionnelles et sont souvent mal compris. "On se sent coupable face aux collègues qui attendent de nous d'être au top maintenant qu'on est ‘guéris’, confie Magali, qui met son expérience au profit de son travail d’oncocoach. C'est dur de faire aveu de faiblesse dans un monde professionnel axé sur la performance." Certains symptômes s'atténuent et finissent par disparaître avec le temps tandis que d'autres persisteront et il faudra apprendre à vivre avec. "Il faut conscientiser employeurs et travailleurs au fait qu'on ne revient pas d'un cancer comme d'un arrêt pour entorse, souligne Christophe De Letter, superviseur des coordinateurs du retour au travail à la MC. Le cancer impacte toutes les sphères de la vie et à long terme."
À l'annonce de la rémission, beaucoup se précipitent au travail par envie de tourner la page et de retrouver leur "vie d'avant". D'autres sont tétanisés à l'idée de reprendre, ayant perdu confiance en eux après des mois ou années d'absence. "Ce retour fait partie du processus de guérison, il permet de retrouver sa place dans la société et de quitter le statut de patient" souligne Arlette Bayers, oncocoach. Toutefois, si on tente de reprendre comme avant et à plein régime, le risque de burn-out est élevé. Il faut accepter qu'on n’est plus la même personne, avec certaines faiblesses mais aussi de nouvelles compétences à mettre en valeur, souligne Andrea Cornez, ex patiente et RH devenue oncocoach : "La résilience, la patience, l'adaptabilité… sont des atouts précieux dans le monde d'aujourd'hui."
Une fois sorti du tourbillon des traitements, mieux vaut prendre le temps de réfléchir à ses besoins, conseille Arlette Bayers. "La guérison n'est pas la fin d'un parcours mais le début d'un nouvel avenir. Confrontés à leur finitude, de nombreuses personnes sont en recherche de sens. Parfois, cela implique une réorientation, bien que ça ne soit pas l'option la plus facile." Un constat confirmé par Christophe De Letter : si le C4 médical s'impose parfois, la rupture de son contrat de travail peut rendre la situation financière précaire en cas de rechute. D'où l'intérêt de s'informer sur les alternatives. Notamment le mi-temps médical, qui permet de reprendre à temps partiel tout en recevant un complément de la mutualité. À noter que cette reprise peut être faite dans une autre entreprise ou sous la forme d’une activité indépendante.
Dès qu'un patient entrevoit la possibilité d'un retour au travail, il peut contacter le "coordinateur retour au travail" de sa mutualité. Celui-ci aide à la réflexion en présentant les différentes options qu'il peut envisager (trajet de réintégration, mi-temps médical, C4 médical, formation, etc.). Il apporte en outre un soutien pour les démarches administratives et fait le lien avec les autres acteurs, tels que le médecin du travail. En cas de retour chez l'employeur, celui-ci prendra le relais pour préparer un plan de retour concret avec des aménagements.
Le trajet de réintégration encadré par la loi oblige l'employeur à accepter des aménagements raisonnables pour permettre le retour d'un malade de longue durée. Encore faut-il identifier ses besoins... "
Il ne faut pas attendre de se retrouver devant l'employeur ou le médecin du travail pour y penser, met en garde Magali Mertens, qui intervient en entreprise comme "disability manager". Il faut s'interroger en amont, en étant le plus concret possible : quelles sont mes limites et comment les dépasser ? L'idéal est de reprendre sa liste de tâches et d'analyser celles dont on se sent encore capable ou pas, sur le temps de travail envisagé. Avec la fatigue, il est plus prudent de reprendre à temps partiel et de négocier de faire en priorité des tâches qui nous donnent de l'énergie. Identifier aussi ce qui pourrait aider : plus de télétravail, pas de réunion en fin de journée, un siège ergonomique…"
Parfois, certaines tâches ne sont plus compatibles. Par exemple, analyser des données alors qu'on a du mal à se concentrer, ou faire des toilettes de patients alors qu'on ne peut plus porter de charges lourdes. La prise d'une autre fonction moins intense, ne fut-ce que temporairement, peut être une solution si le temps partiel n'est pas envisageable.
Pour qu'un retour se passe bien, une communication bienveillante dès l'annonce du diagnostic est la clé, insistent les oncocoachs. Garder le contact pendant l'absence, prendre des nouvelles sans pression, montrer son soutien… va permettre de tisser une relation de confiance où la personne osera parler de ses vraies difficultés. "Il est important que tout ne repose pas sur le travailleur mais que le RH, le manager et les collègues s'impliquent" ajoute Andrea Cornez, qui réalise aussi des coachings d'équipe. "Il sera nécessaire de consacrer au retour le même soin qu'à l'accueil d'un nouveau collaborateur car l'entreprise comme le travailleur ont changé. Des mises à niveau sont parfois nécessaires. Il est crucial aussi de prévoir un suivi régulier pour permettre d'exprimer les éventuels soucis et réajuster au besoin. En parallèle, ne pas oublier de communiquer à l'équipe ce qui est convenu, pour ne pas créer d'attentes inadaptées".
Chaque jour en Belgique, 75 personnes en âge de travailler sont diagnostiquées avec un cancer, selon le Registre du Cancer. Tout employeur risque un jour ou l'autre d'y être confronté. "À l'heure actuelle, le cancer n'est plus une pathologie de fin de carrière, souligne Christophe De Letter. On se retrouve de plus en plus souvent face à des personnes qui ont encore 15 à 20 ans de carrière devant elles. Il n'est pas possible de laisser tous ces gens sur le carreau. Les employeurs doivent contribuer à leur réintégration". Selon Magali Mertens, cela passe par la mise en place de politiques structurelles et ambitieuses de "disability management" et de bien-être au travail. "Si on est préparé à gérer le retour après une chose aussi difficile et complexe que le cancer, on est préparé à tout".
Il existe un réseau de coachs certifiés par la Fondation contre le cancer pour aider travailleurs et entreprises à préparer la reprise.
Plus d'infos : retourautravail.be ; travailetcancer.org ; www.cancer.be/travail.