Maladies chroniques

La fatigue, double peine du cancer

Presque toutes les personnes atteintes de cancer souffrent d’une fatigue intense, durable et résistante au sommeil. D’où vient-elle ? Peut-on la diminuer ou, au moins, réduire son impact sur la vie quotidienne ? Et l’entourage, que peut-il faire pour aider ?

Publié le: 17 novembre 2021

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Candice Leblanc

8 min

femme cancer couchée sur son lit

Photo: © iStock

C’est la plainte n°1 de la majorité des personnes atteintes de cancer. Pendant les traitements, peu de patients y échappent. Et elle perdure en moyenne un an, voire plus après la fin des traitements. "La fatigue oncologique est accablante, résistante au sommeil et multiforme, explique la Dr Anne Boucquiau, directrice médicale de la Fondation contre le Cancer. Elle peut être physique, psychologique – et se traduire notamment par de l’irritabilité et/ou une détresse émotionnelle– ou intellectuelle." Alice connait bien le phénomène : à 37 ans, elle a traversé trois (!) cancers. "Chaque fatigue est différente, raconte-t-elle. Pendant la chimio ou la radio-thérapie, par exemple, j’étais exténuée. Même après dix heures de sommeil, je me réveillais avec l’impression d’avoir passé une nuit blanche... Et après mon premier cancer, j’ai eu le contre-coup psychologique de ce que j’avais traversé. J’étais apathique. J’avais un mal fou à me concentrer, à raisonner, à prendre des décisions. Je peinais à trouver mes mots..."  

La fatigue oncologique est d’autant plus pernicieuse que, contrairement à la douleur, elle n’est ni localisable ni simple à soulager. "Heureusement, elle fluctue dans le temps, en fonction des traitements et des évènements et, à terme, elle finit par céder et se résorber, ajoute la Dr Boucquiau. En attendant, nombre de patients culpabilisent de cet état de fatigue et n’en parlent pas beaucoup à l’équipe soignante. Or, c’est un symptôme comme un autre qu’il est important de prendre en charge, car la fatigue peut fortement altérer la qualité de vie et, à terme, faire le lit des dépressions." 

Pourquoi le cancer fatigue comme ça ?

Les causes de la fatigue oncologique sont variées et, souvent, se cumulent. Elle peut être induite par la maladie elle-même, particulièrement quand les patients perdent du poids et s’affaiblissent. Les traitements anticancer sont également fatigants, notamment certaines chimiothérapies et immunothérapies (1). La chirurgie et l’anesthésie sont aussi des épreuves pour le corps dont il faut souvent un bon mois pour se remettre. Quant à la radiothérapie, il n’y a pas que ses effets sur l’organisme qui épuisent : les rayons s’administrant cinq jours sur sept pendant plusieurs semaines, les patients effectuent autant de trajets entre l’hôpital et leur domicile. L’anémie (une baisse du taux de globules rouges dans le sang) est aussi une cause fréquente de fatigue. Sans oublier tout ce qui peut altérer le sommeil et le niveau d’énergie : les nausées et vomissements, la perte d’appétit, les douleurs, les angoisses, etc.

"Dans la mesure du possible, il convient d’identifier la cause et la nature de la fatigue, car il est parfois possible d’agir directement dessus, explique la Dr Boucquiau. L’anémie, par exemple, peut être traitée. Certains antidépresseurs améliorent le sommeil et ont un effet psychostimulant. Et si vraiment ça ne va pas, le traitement anticancer peut parfois être adapté." Cela dit, c’est surtout en (réa)ménageant son quotidien que l’on peut agir efficacement sur la fatigue.

Accepter, se reposer et... manger !

Avant toute chose, il convient d'accepter la fatigue et de faire preuve d’indulgence et de souplesse envers soi-même. L’entourage peut d’ailleurs jouer un rôle positif en se montrant compréhensif, en ne culpabilisant pas la personne, en lui rappelant de se ménager et, bien sûr, en la déchargeant de certaines tâches. "La semaine qui suivait chaque cycle de chimio était la pire, se souvient Alice. J’étais exténuée ! J’allais de mon lit au canapé, je ne pouvais rien faire d’autre... Je vivais seule à l’époque, mais cette semaine-là, il y avait toujours un membre de ma famille ou une amie qui venait loger chez moi pour m’aider. Et en prévision de ces jours où j’étais incapable de cuisiner, je prévoyais des plats que je n’avais plus qu’à à réchauffer au micro-ondes."

Une bonne alimentation joue un rôle clé dans le maintien d’une certaine forme. Car la perte de poids est un symptôme fréquent, qu'il faut prévenir le plus tôt possible. Comme la fatigue, cet amaigrissement est souvent multifactoriel. Il peut être causé par les effets secondaires des traitements, mais aussi par le cancer lui-même qui consomme des calories et, à partir d’un certain stade, détruit des protéines et des cellules musculaires. Ce phénomène, le catabolisme, affaiblit l’organisme qui a pourtant bien besoin d’énergie pour combattre la maladie ! La Fondation pour le cancer a donc publié un livre de 32 recettes riches en calories et en protéines, adaptées à la maladie et au rétablissement (2). Même en cas de surpoids, hors de question d’entamer ou de poursuivre un régime pendant un cancer ! "Et il ne faut surtout pas prendre de compléments alimentaires – ni aucun autre médicament de son propre chef, d’ailleurs – sans en avoir discuté au préalable avec l'équipe médicale, rappelle la Dr Boucquiau. Car certains produits et vitamines en vente libre peuvent entrer en interaction ou même en contre-indication avec les traitements anticancer. Et, donc, en diminuer l’efficacité."

L’activité physique, pilier anti-fatigue !

Se ménager ne signifie pas ne plus bouger, au contraire. Cela peut sembler contre-intuitif, mais loin d’apaiser la fatigue, l’inactivité et la sédentarité l’aggravent. "L’activité physique est désormais considérée comme un traitement adjuvant du cancer, explique le médecin. Bouger redonne de l’énergie, évacue beaucoup de tensions et de stress, favorise l’endormissement, améliore la qualité du sommeil et permet de se réapproprier un corps mis à rude épreuve. Plusieurs études scientifiques ont aussi démontré qu’une activité physique régulière et d'une certaine intensité diminue le risque de métastases et de récidives, notamment dans les cancers du sein. Raison pour laquelle la plupart des patients – idéalement tous – ont maintenant accès à des programmes d’onco-revalidation. Ces entrainements, encadrés par des professionnels de la santé (kinés, physiothérapeutes, etc.), sont adaptés à chaque personne, de manière concertée au sein de l’équipe médicale." 

Du fait des bénéfices qu’il procure, l’exercice mérite donc de figurer en haut de la liste des activités prioritaires. Car il est illusoire de penser qu’une personne atteinte de cancer peut continuer à tout mener de front, comme avant. Certaines activités devront passer à la trappe. "La priorité doit aller aux activités vraiment indispensables et celles qui font vraiment plaisir, insiste la Dr Boucquiau. Car tout ce qui contribue au bien-être du patient l’aide à mieux gérer sa fatigue et à garder le moral."

Gérer l’énergie et demander ou offrir de l’aide

Gérer et doser son énergie n’est pas toujours facile, surtout au début des traitements. Mais au fur et à mesure, une certaine "routine" s’installe. Le patient apprend comment son corps réagit aux traitements et peut commencer à organiser sa vie en fonction de son rythme personnel et des moments de la journée, de la semaine ou du mois où la fatigue est plus présente. En les repérant, en les identifiant, en les anticipant, il est beaucoup plus facile de prévoir des plages de repos. À l’inverse, les regains d’énergie peuvent être mis à profit pour ce qui compte vraiment. Là encore, l’entourage peut faire toute la différence dans la façon dont le patient traverse cette difficile période de vie.

Souvent, celui-ci hésite à demander de l’aide. Il n’a pas envie d’être un poids pour les autres, craint "d’abuser" ou veut garder une certaine indépendance. Or, dans la grande majorité des cas, les proches, impuissants face à la maladie, ne demandent qu’à l’aider ! Tant le conjoint que les autres membres de la famille sont encouragés à prendre en charge les tâches domestiques. Amis et voisins peuvent aussi lui donner un coup de main. Exemples : faire ses courses ou nettoyer son linge en même temps que les leurs, sortir ses poubelles, promener son chien, aller conduire ou chercher les enfants à l’école, proposer une petite balade dans le quartier ou, simplement, se poser avec la personne malade, en lui demandant comment elle se sent et en écoutant vraiment la réponse. De petits gestes qui ne coûtent rien et font beaucoup !

(1) L’immunothérapie consiste à boosterle propre système immunitaire du pa-tient, afin qu’il reconnaisse et s’attaque ànouveau aux cellules cancéreuses.

(2) Ce livre est téléchargeable gratuitement sur cancer.be. Des centaines d’autres recettes sont également disponibles en ligne.