Soins de santé
L’endométriose touche une femme sur dix en Belgique. Liée à la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus, elle est cause de règles douloureuses, d’infertilité et de multiples souffrances chroniques. Encore mal connue, elle met en moyenne 7 ans à être diagnostiquée.
Publié le: 06 juillet 2022
Par: Julie Luong
8 min
Photo: © AdobeStock
"Dans ma famille, toutes les femmes ont de l’endométriose. Ma grand-mère, ma mère, mes tantes, mes cousines. Toute la lignée maternelle. La seule qui n’en a pas est ma sœur, explique Sabina, 43 ans. Dès l’adolescence, j’ai eu de très fortes douleurs pendant mes règles, avec le ventre très gonflé. Il m’était totalement impossible de fermer un pantalon. Pendant cette semaine-là, je ne portais que des robes très larges", poursuit cette petite femme menue. Comme beaucoup d’autres, Sabina s’est entendu dire pendant des années par son gynécologue qu’avoir mal pendant ses règles était normal, qu’avoir une bonne hygiène de vie ferait disparaître ses symptômes. Bien manger, bien dormir, penser à autre chose. Tant pis si parfois cette infirmière ne pouvait pas se tenir debout, la seule position supportable étant recroquevillée dans son lit. "Ce n’est que lorsque j’ai déménagé dans une autre ville et que j’ai donc changé de gynécologue que je me suis entendu dire pour la première fois que ce n’était pas normal du tout d’avoir si mal", raconte-t-elle.
Si, comme dans le cas de Sabina, l’endométriose est fréquemment familiale, les causes de la maladie sont multiples. "Il s’agit probablement d’une prédisposition héréditaire modulée par toute une série de facteurs environnementaux, essentiellement liés à la vie reproductive, détaille Maxime Fastrez, gynécologue à l’hôpital Erasme. Les patientes qui sont exposées au cours de leur vie à de nombreux cycles sont plus susceptibles de faire de l’endométriose : celles qui sont réglées tôt et ménopausées tard, qui ne prennent pas de pilule contraceptive et qui ne font pas de grossesse sont clairement des patientes plus à risque." Certaines femmes ne développent une endométriose que lorsqu’elles arrêtent la pilule, par exemple dans le cadre d’un projet de grossesse. "La prise de pilule contraceptive de manière régulière est un facteur protecteur mais pas à 100 % : il existe un certain nombre de patientes qui développent de l’endométriose sous pilule, même si c’est sous une forme probablement moins sévère", précise le spécialiste. D’autres facteurs environnementaux comme les perturbateurs endocriniens ou certains composants présents dans l’alimentation pourraient aussi intervenir dans la maladie.
Car les mécanismes de l’endométriose sont particulièrement complexes et encore en partie méconnus. L’hypothèse la plus fréquente est la "théorie de l’implantation", à savoir le passage en dehors de l’utérus de cellules semblables à la muqueuse utérine. Au départ de ce processus, un phénomène somme toute banal : les saignements rétrogrades. Chez 90 % des femmes, lors de la menstruation, une partie du sang est parfois "régurgité" dans les trompes, sous l’effet des contractions utérines. Mais chez celles atteintes d’endométriose, les fragments de muqueuse utérine s’implantent dans la cavité abdomino-pelvienne au lieu d’être détruits par le système immunitaire. À chaque cycle, sous l’effet des stimulations hormonales, ces cellules endométriales peuvent alors proliférer dans les organes à proximité (péritoine, ovaire, trompe, intestin, vessie, uretère, diaphragme…) jusqu’à causer des atteintes pulmonaires et même, dans quelques rares cas documentés, cérébrales. Plus étonnant encore : en passant la paroi des vaisseaux sanguins, la cellule endométriale se modifierait en fonction de son nouvel environnement, tout en continuant de réagir aux variations hormonales, à la manière d’une cellule "mutante".
"Quand les patientes ont des symptômes, on peut rechercher des lésions d’endométriose d’abord grâce à l’échographie puis, en deuxième ligne, par la résonnance magnétique nucléaire, explique Maxime Fastrez. "Mais si ces deux examens ne montrent rien, cela n’exclut pas pour autant la présence d’endométriose. Seule la laparoscopie exploratrice, un examen invasif, pourra alors permettre de confirmer le diagnostic." Aujourd’hui, l’endométriose est classée en trois catégories : l’endométriose superficielle (présence d’implants d’endomètre localisés à la surface du péritoine, la membrane qui recouvre la cavité abdominale), l’endométriose ovarienne (kyste de l’ovaire) et l’endométriose pelvienne profonde (avec des lésions se trouvant à plus de 5 mm sous la surface du péritoine). Il n’existe cependant pas de corrélation entre l’intensité de la douleur et le type d’endométriose : une endométriose superficielle peut être très douloureuse en raison de la présence de nombreux nerfs sur le site des lésions.
Aux côtés des douleurs intenses pendant les règles, l’endométriose peut causer de multiples symptômes en dehors de cette période. Comme les lésions sont souvent présentes au niveau digestif et urinaire, elle entraîne fréquemment des douleurs liées à la miction ou au transit, ce qui peut rendre le diagnostic difficile à établir. Il n’est ainsi pas rare que les patientes présentent des symptômes proches de ceux des maladies inflammatoires chroniques intestinales (constipation, diarrhées…). Les patientes peuvent également souffrir lors des rapports sexuels (dyspareunie), en particulier dans les positions qui permettent une pénétration profonde. "Ce sont des douleurs totalement insupportables qui finissent par vous faire appréhender tout rapport", explique Sabina.
Si Sabina est tombée rapidement enceinte de ses jumelles malgré son endométriose, on sait par ailleurs que la maladie est associée à un taux élevé d’infertilité. Chez certaines patientes, c’est la présence de kystes ovariens qui crée une barrière mécanique à la fécondation. Mais l’utérus des patientes avec une endométriose pourrait aussi présenter des caractéristiques hormonales et génétiques défavorables à l’implantation d’un embryon. 30 à 40 % des infertilités seraient ainsi associées à une endométriose.
"Au cours des dernières années, nous n’avons pas fait beaucoup de progrès dans la compréhension des mécanismes plus subtils de l’endométriose, estime le Dr Maxime Fastrez. En revanche, nous avons fait des progrès réels dans l’approche multimodale de cette pathologie, ce qui est aujourd’hui une nécessité absolue. On ne peut plus se contenter de prendre cette pathologie en charge tout seul, dans un cabinet. Il faut vraiment une approche pluridisciplinaire. Il faut un accompagnement psychologique car c’est une pathologie qui est souvent grevée, comme toutes les douleurs chroniques, d’un état dépressif ou pseudo-dépressif. Il faut l’intervention d’un sexothérapeute puisque cette maladie a un impact important sur la vie affective et reproductive de ces femmes et de leur compagnon ou compagne. Il faut également une collaboration avec une clinique de fertilité et de procréation médicalement assistée pour traiter l’infertilité. Un mode de vie sain avec une activité physique régulière, un régime alimentaire anti-inflammatoire (basé sur des produits frais, non transformés, riche en fibres et pauvre en sucres raffinés) peuvent aussi aider : il faut en tout cas proposer aux patientes une panoplie de solutions pour améliorer leur quotidien."
Si l’endométriose ne met pas en jeu le pronostic vital, il s’agit en effet d’une affection chronique qui dure souvent jusqu’à la ménopause. Elle peut s’aggraver au cours de la vie reproductive, mais aussi, dans plus d’un tiers des cas, se stabiliser ou même régresser, grâce au traitement ou spontanément, en particulier pour les formes superficielles. Outre la chirurgie, qui permet d’enlever les lésions d’endométriose déjà présentes, le traitement repose principalement sur la prise d’une pilule contraceptive en continu, afin de diminuer les douleurs liées à la réponse hormonale des lésions d’endométriose. "Sans contraception hormonale, les patientes pourront développer des récidives de la pathologie, même si on les a traitées chirurgicalement", précise Maxime Fastrez. Malheureusement, certaines patientes présentent des contre-indications médicales à la contraception. D’autres, qui souhaitent tomber enceintes, doivent y renoncer provisoirement. Chez d’autres encore, celle-ci ne permet pas de supprimer tous les symptômes.
De nombreuses femmes continuent donc à souffrir au quotidien de la maladie et à affronter une incompréhension persistante face à des symptômes longtemps minimisés. "La prise de conscience de la société commence à émerger, estime Maxime Fastrez. Mais nous n’en sommes qu’au début : le grand public et les professionnels ne sont pas encore assez sensibilisés. On doit aussi absolument travailler sur la formation des jeunes gynécologues car pour beaucoup de femmes qui n’ont pas accès à une information et à des soins de qualité, cela reste compliqué." Maladie de l’ombre, l’endométriose a longtemps fait les frais d’un discours teinté de misogynie et d’une dévalorisation de la parole des femmes, dont le destin serait d’avoir mal. "Faire reconnaître cette affection comme une pathologie chronique par les pouvoirs publics serait un grand pas. Il est temps de dégager des moyens pour prendre en charge ces patientes et que les femmes ne soient plus terrorisées à l’idée de dire à leur employeur, à leur famille ou à leur conjoint qu’elles ont mal au ventre parce qu’elles sont réglées." Au printemps, les parlements bruxellois et wallon ont adopté une proposition de résolution appelant à une plus grande sensibilisation et à une amélioration de la recherche pour une meilleure prise en charge de l'endométriose. À suivre.