
Incapacité de travail
Réduire drastiquement le tabagisme et aboutir à une génération sans tabac d'ici 2040. L'objectif fixé par les pouvoirs publics est ambitieux et les mesures se succèdent pour dénormaliser le tabagisme. Encore faut-il aider les personnes à se libérer de leur addiction.
Publié le: 16 avril 2025
Par: Joëlle Delvaux
8 min
Photo: “© AdobeStock // 70 % des fumeurs déclarent vouloir arrêter de fumer mais ne pas y arriver.
Chaque année, la Journée mondiale sans tabac du 31 mai est l'occasion de le rappeler : le tabagisme pose un problème majeur de santé publique. Il est la cause principale du cancer du poumon (90 % des cas) et responsable d’un cancer sur trois. Le tabac provoque également des maladies cardiovasculaires, des pathologies pulmonaires, et complique d’autres problèmes de santé (voir p.12). En Belgique, il tue près de 20.000 personnes par an.
Interdiction de la publicité pour les produits de tabac, interdiction de fumer dans des lieux publics et privés, mise en œuvre des paquets standardisés, interdiction de la vente aux mineurs, réglementations en matière d’étiquetage et de composition… La succession des mesures antitabac au cours des dernières décennies a porté ses fruits : le nombre de personnes qui fument diminue. Et moins de gens commencent à fumer. Les fumeurs quotidiens représentaient 15 % des plus de 15 ans en 2018 contre 25 % dix ans auparavant. En 2018, les fumeurs quotidiens étaient 19 % en Wallonie, 17 % à Bruxelles et 13 % en Flandre. L'enquête de santé 2023-2024 devrait livrer des chiffres plus récents.
Un point noir à ce tableau toutefois : le tabagisme reste prégnant parmi les personnes précarisées. Chez les personnes ayant un niveau d’études supérieures, 9 % fument quotidiennement contre 29 % chez les diplômés de l’enseignement secondaire inférieur.
Malgré les efforts entrepris jusqu'ici, beaucoup de chemin reste à parcourir. Surtout que l'offensive des cigarettiers ne faiblit pas, que du contraire (voir ci-dessous). En 2022, la Belgique a adopté la "Stratégie interfédérale pour une génération sans tabac 2022-2028", sous l'impulsion du ministre fédéral de la santé, Frank Vandenbroucke. Certaines mesures sont entrées en application récemment. Dorénavant, les produits de tabac ne peuvent plus être exposés à la vue des clients dans les magasins, et sont interdits à la vente dans les supermarchés de plus de 400 m2. Par ailleurs, tabac et vapotage sont interdits dans les espaces fréquentés par des enfants et des jeunes (parcs d’attraction, plaines de jeux, terrains de sport…) et dans un périmètre de dix mètres autour des hôpitaux, maisons de repos, crèches, établissements scolaires, milieux extra-scolaires et bibliothèques. Inscrites dans l'accord du gouvernement De Wever, l'interdiction de fumer aux terrasses et la suppression des zones fumeurs dans les espaces accessibles au
public devraient être les prochaines étapes sur la voie d'un environnement sans tabac.
"Ces mesures ont le mérite de dénormaliser le tabac et de réduire les risques liés au tabagisme passif, y compris pour la cigarette électronique,se réjouit Nora Mélard, experte prévention à la Fondation contre le cancer. Un environnement sans tabac limite l’exposition des jeunes aux produits de tabac. Il est également bénéfique pour les personnes qui fumaient et ont arrêté, ainsi que pour celles qui aimeraient arrêter". Encore faudra-t-il faire appliquer ces nouvelles interdictions, notamment dans des lieux comme les tribunes des terrains de sport, où fumer reste ancré dans les habitudes des supporters. A cet égard, l'Alliance pour une société sans tabac invite à utiliser la signalisation "Génération sans tabac" qui présente les règles légales de manière ludique et positive.
N. Mélard
Augmenter le prix des produits de tabac est une des mesures les plus efficaces pour lutter contre le tabagisme, en particulier auprès des publics jeunes et moins nantis. On estime qu'une hausse de 10 % au-delà de l'inflation diminue de 4 % la consommation de tabac. Pour avoir un réel impact, l'augmentation doit être significative et régulière, afin d'éviter que le consommateur ne s’habitue au nouveau prix. Elle doit aussi toucher tous les types de produits, y compris les alternatives moins coûteuses comme le tabac à rouler.
Si les prix des paquets de cigarettes et du tabac à rouler ont quasiment doublé en cinq ans sous la précédente législature, le tabac reste toujours moins cher dans notre pays que chez nos voisins français (surtout le tabac à rouler). Et le nouveau gouvernement fédéral n'indique son intention d'augmenter les droits d'accise qu'en 2027. "Certains partis sont frileux. Ils veulent protéger le pouvoir d'achat des plus précarisés, remarque Nora Mélard. C'est une vision à court terme qui, en réalité, creuse les inégalités de santé. En continuant à fumer, ces personnes font non seulement du mal à leur santé, mais aussi à leur portefeuille."
Agir sur les prix nécessite d'investir davantage dans l'accompagnement des personnes qui souhaitent se libérer du tabac mais n'y arrivent pas. Or, le soutien au sevrage tabagique reste le parent pauvre de la politique anti-tabac, regrette la Fondation contre le cancer. C'est pourtant un levier essentiel pour s'attaquer aux inégalités sociales en la matière. Des dispositifs accessibles existent, comme Tabacstop ou les centres d'aide aux fumeurs (voir p. 10), mais ils sont encore trop méconnus. L'efficacité des substituts nicotiniques est aussi reconnue, mais leur prix élevé est dissuasif. Le ministre Frank Vandenbroucke étudie la manière de les rembourser au moins partiellement ou pour un public cible.
Alors que des décennies de lutte contre le tabagisme commencent à porter leurs fruits, les pouvoirs publics sont confrontés à de nouveaux enjeux de santé publique liés à l'évolution des pratiques de consommation. Des produits alternatifs à la cigarette permettent de consommer du tabac ou de la nicotine sans combustion. Cigarettes électroniques, snus (poudres de tabac), sachets de nicotine, puffs (cigarettes électroniques jetables)… L'industrie du tabac met le paquet pour séduire une nouvelle génération de consommateurs, à grands renforts de saveurs fruitées, de packaging teenager, de marketing ciblé et de posts d'influenceurs. Ces produits qui permettent aux géants du tabac de doper leurs chiffres d'affaires deviennent la nouvelle porte d’entrée de la dépendance.
Selon l'Alliance pour une société sans tabac, 15 % des adolescents auraient déjà utilisé la puff et parmi eux, presque la moitié ont commencé leur initiation à la nicotine à travers ce produit. La puff a pourtant des conséquences désastreuses sur la santé. La concentration en nicotine est jusqu'à 20 fois supérieure que dans une cigarette. Avec les sachets ou pouches de nicotine (de synthèse), le risque d'addiction est plus élevé encore. Or, plus un jeune est exposé à la nicotine, plus le risque de dépendance augmente et plus les effets néfastes sur son cerveau en développement sont importants.
La Belgique a interdit la vente des sachets de nicotine et de cannabinoïde (octobre 2023) et des puffs (janvier 2025). Les objectifs sont clairs : prévenir les effets nocifs connus et potentiels sur la santé de ces produits, décourager leur utilisation par les jeunes et éviter une nouvelle épidémie de consommation des produits de tabac. Il est à craindre en effet que des jeunes rendus dépendants à la nicotine se tournent vers la cigarette classique. Dans les consultations des tabacologues, ils sont en tout cas de plus en plus nombreux à exprimer leur souffrance d'être devenus accros à la nicotine sans même s'en être rendu compte. De quoi faire réfléchir et se mobiliser.
• L'industrie du tabac décrit "les produits de nouvelle génération" comme "à risques réduits" car sans tabac fumé. Ce faisant, elle s'approprie les messages de santé publique, ce qui complique la prévention. Pourtant, ces produits sont très addictifs en raison de leur teneur très élevée en nicotine.
• Les cigarettiers tentent de donner l'image d'un secteur responsable qui protège les mineurs. Leur initiative d'équiper les points de vente d'appareils à reconnaissance faciale pour évaluer l'âge du jeune client s'inscrit dans cette stratégie. Cette fausse solution est surtout une manière de détourner l’attention du vrai problème : le non-respect de l’interdiction de vente aux mineurs (constaté dans 70 % des points de vente contrôlés par le SPF Santé publique).
• Pour contrecarrer les politiques de santé publique, l’industrie du tabac met en avant l’argument de la liberté individuelle dont on sait ce qu'il en advient une fois la dépendance installée. La liberté de consommer implique d'être correctement informé du contenu des produits et des risques pour la santé. On est loin du compte.
• Les géants du tabac investissent beaucoup d'argent dans la recherche médicale et scientifique pour garder la mainmise sur les résultats. La vigilance s'impose plus que jamais quant aux conflits d'intérêt dans ce domaine.
• Les cigarettiers déploient un intense lobbying politique au niveau européen, qui explique en grande partie le peu d'avancées dans la réglementation des produits de tabac depuis une dizaine d'années.