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Bien que la grande majorité des cancers du sein affecte les femmes, les hommes peuvent aussi être touchés par cette maladie de la glande mammaire. Encore tabou et peu documenté, il est pourtant important d'en parler.
Publié le: 16 janvier 2024
Par: Sandrine Cosentino
6 min
Illustration: ©Yasmine Gateau
Âge : 47 ans. Sexe : masculin. Pathologie : cancer du sein gauche. La fiche médicale d'Alain Vander Poelen a de quoi étonner. "Le big-bang vient d'exploser dans mon cerveau. (…) Pourquoi la vie m'inflige-t-elle cela ?" s'interroge-t-il dans son livre "Double rebond". Il décide de ne pas cacher cette maladie qu'il n'imaginait possible qu'au féminin. Partager son vécu l'aide à extraire du positif de cette diagonale tranchante qui lui traverse le torse.
"En Belgique, chaque année, 11.000 cancers du sein sont observés chez les femmes et 113 chez les hommes, soit 1 % de cas par rapport aux diagnostics féminins, précise Daphné t'Kint de Roodenbeke, oncologue à l'Institut Jules Bordet. En France, ils soignent un peu plus de 500 patients par an. Il s'agit donc d'un cancer rare."
Le cancer du sein est la forme de cancer la plus répandue chez la femme. Chez l'homme, il s'agit du cancer de la prostate. Peu d'hommes ont conscience qu'il leur est possible de développer un cancer au niveau de la glande mammaire. "Pourtant, c'est une réalité, l'homme et la femme ont des glandes mammaires, insiste l'oncologue. Ils peuvent donc développer des cancers à ces endroits."
Le terme cancer regroupe plus d'une centaine de maladies. Tous les cancers ont pourtant un point commun : ils prennent naissance dans nos cellules par l'accumulation de mutations génétiques. Au lieu de mourir, ces cellules endommagées prolifèrent de manière incontrôlée. Plus des cellules sont en activité, plus elles ont un risque d'accumuler des mutations. "Les femmes développent plus fréquemment des cancers au niveau des seins car leurs cellules bougent tout le temps : à chaque cycle, lors d'une grossesse, etc., commente la Dr t'Kint. Chez l'homme, les cellules des glandes mammaires bougent beaucoup moins et il est plus rare qu'elles se cancérisent."
Le cancer du sein chez l'homme et chez la femme se développe de la même façon. Par conséquent, l’évolution de la maladie, la prévention ainsi que les traitements sont similaires. "La petite différence sera le moment du diagnostic, souvent plus tardif chez l'homme car il n'y a pas de dépistage général de la population comme chez la femme. Le patient va consulter après une autopalpation ou à la suite d'un symptôme, un écoulement du mamelon par exemple."
Pour Alain Vander Poelen, tout a commencé par une petite boule proche du mamelon. Un kyste de graisse, pensait-il. Il l'avait senti en prenant sa douche après une séance de sport. Les résultats de la ponction sont inquiétants. Il est invité à se rendre à l’Institut Jules Bordet, un hôpital réputé dans le traitement des cancers. Commence alors un long parcours médical, ponctué d'obstacles, mais aussi de rires et d'aventures. Il apprend à appliquer du vernis sur ses ongles pour les protéger de la chimiothérapie. Il ressent les malaises de la "ménopause" et négocie avec son oncologue d'aménager des pauses durant son traitement pour se ressourcer grâce à des voyages plus ou moins lointains.
Bien qu’il soit difficile de déterminer les causes d'un cancer du sein, certains facteurs augmentent les risques d'apparition de la maladie chez l'homme : l'alcool, l'obésité, l'âge, des syndromes de dysfonctionnement de la balance hormonale, la gynécomastie et l'hérédité. "Et il y a une partie d'accident cellulaire, de malchance…", poursuit l’oncologue. Une personne avec un ou plusieurs facteurs de risque peut ne jamais développer de cancer. Inversement, il est possible qu’une personne n'ayant aucun facteur de risque soit atteinte d'un cancer.
Dans le cas d'Alain Vander Poelen, aucune cause n'a pu être mise directement en lumière. Et bien des questions n'ont pas trouvé de réponses : pourquoi a-t-il développé ce cancer, tellement associé aux femmes ? Comment expliquer aux autres hommes les conséquences d'un cancer du sein ? Comment garder sa masculinité dans cet environnement quasi exclusivement féminin ? "Les regards interrogatifs demeurent surprenants au fil des rendez-vous (…). Sans compter les confusions avec cette fameuse 'Madame Vander Poelen'. Cette femme usurpe ma place d'homme dans les salles d'attente", se confie-t-il dans son livre.
Il cherche également des réponses traduites au masculin sur les conséquences des traitements sur son corps. "Les effets indésirables de type chimiothérapie sont assez similaires chez les hommes et les femmes parce qu'on touche surtout aux globules blancs, à la perte de cheveux, etc. Par contre, quand on touche aux hormones sexuelles féminines chez les hommes, c'est le no man's land", souligne la Dr t'Kint, parfois démunie face aux questionnements des patients masculins.
En 2016, un patient a dû subir une mastectomie, suivie d’une chimiothérapie. À l’époque, l’assurance soins de santé ne prévoyait pas le remboursement de ce traitement chez les hommes, une discrimination levée par la justice en 2019. "Il y a des avancées significatives au niveau des remboursements, notamment pour les hormonothérapies de base, confirme l'oncologue. Pour les traitements novateurs, cela bouge plus doucement. Les firmes pharmaceutiques commencent à prendre conscience que le cancer du sein touche également les hommes."
Enfin, il est important de rappeler que les patients et patientes traitées dans une clinique du sein non agréée ont un risque 30 % supérieur d'en décéder que celles et ceux qui se font soigner dans une clinique du sein "coordinatrice", selon une étude réalisée par le KCE, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé. La Dr t'Kint insiste : "Le cancer du sein chez l'homme est un cancer rare. Il est donc important d'être suivi dans un centre de référence, agréé pour garantir un volume d’activité minimal et un suivi optimal."
Alain raconte son parcours dans le podcast d'En Marche, Inspirations ("Un cancer du sein au masculin" à écouter sur enmarche.be).
Dans un livre à la fois très personnel et regroupant une mine d'informations sur le cancer du sein, Brigitte Wézel décortique les mots utilisés sur la planète Cancer. "Mon univers lexical vient de basculer dans une autre dimension. (…) Seconde après seconde, elle laisse entendre ses mots incompréhensibles, inaccessibles, ses acronymes, ses scores, ses grades, ses stades, ses chiffres, ses mots couperets."
L'autrice donne une définition succincte de plus d'une centaine de mots et y ajoute son histoire personnelle. De nombreuses pistes de réflexions, d'accompagnement et des suggestions sont proposées comme autant d'outils à utiliser en fonction de la situation et des besoins. Sans être une liste exhaustive, ce livre peut se lire de la première à la dernière page ou en sautant d'un mot à un autre. "À travers le choix de ces mots, j'ai voulu vous raconter, entre autres, combien j'ai intégré que le corps est bien plus qu'une enveloppe physique et que le cancer vient toucher, voire altérer, nos couches émotionnelle et mentale, énergétique, intuitive, voire spirituelle."
"Planète Cancer" • Brigitte Wézel • Kennes Éd. • 2023 • 223 p. • 29,90 €
Lorsqu'Alain apprend qu'il a un cancer du sein, il le vit comme un choc surréaliste. Comment va-t-il appréhender cette maladie tellement associée aux femmes ? Durant son parcours médical en 2012, il ne trouve que peu d'informations liées à sa pathologie au masculin. En 2023, il écrit un livre qu'il aurait bien aimé lire pendant son traitement et sa convalescence.