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Il y a 20 ans, on découvrait le pouvoir du microbiote intestinal sur la santé. Aujourd'hui, on en apprend davantage sur son champ d'influence. Tour d'horizon de la recherche actuelle.
Publié le: 27 janvier 2025
Par: Julien Marteleur
9 min
Photo: (c)AdobeStock // Le microbiote intestinal détiendrait-il les clés de notre santé ?
On est ce que l'on mange, dit l'adage. Cela vaut surtout pour notre microbiote intestinal ! Derrière ce terme se cache ce qu'on nomme plus couramment — et poétiquement — la flore intestinale. Constitué de plus de 10.000 milliards de micro-organismes (levures, champignons, bactéries mais aussi virus), ce "micro-monde" fascine la communauté scientifique. Et pour cause : il est un partenaire majeur de notre santé et de notre bien-être en général. Diabète, maladie de Crohn, mais aussi autisme ou troubles dépressifs… auraient un lien, proche ou lointain, avec l'harmonie de cet univers niché au creux de notre ventre.
La gigantesque colonie bactérienne formant le microbiote constitue un rouage indispensable de notre digestion. "Elle favorise l'absorption des nutriments et synthétise les vitamines B et K, essentielles à la nutrition, précise Nathalie Delzenne, professeure de métabolisme et nutrition à l'UCLouvain. Elle aide également à la dégradation des toxines tout en protégeant le corps des bactéries responsables des maladies, ce qui en fait une des clés de voûte de notre système immunitaire."
Parmi les 10.000 milliards de micro-organismes qui cohabitent dans notre système digestif, certains sont communs à un grand nombre de personnes. D'autres sont propres à chaque individu, ce qui fait de cet écosystème une carte d'identité unique, à l'instar des empreintes digitales. C'est cette singularité qui rend le microbiote intestinal aussi difficile à cerner. En effet, les scientifiques ont du mal à s'accorder sur la définition d'un "bon" microbiote. "Il s'agit d'un microbiote riche, c'est-à-dire avec beaucoup d'espèces, qui transforme efficacement les aliments en bonne énergie", souligne Nathalie Delzenne de l'UCLouvain. Existe-t-il pour autant des espèces plus bénéfiques que d'autres ? "Il y a des tendances, par exemple l'espèce Prevotella copri, qui permet de bien digérer les fibres."
Ce que l'on sait, c'est que si le microbiote intestinal est déséquilibré (on parle alors de "dysbiose"), sa diversité s'appauvrit. Les causes de ce bouleversement varient : infection digestive, aliments mal tolérés, ingestion de médicaments ou encore période de stress… Mais les résultats sont souvent similaires : la perméabilité des intestins augmente et c'est la porte ouverte aux douleurs articulaires, à certaines allergies ou à des migraines… "Le point commun, c’est une réaction inflammatoire", résume la Pr Delzenne. Ce qui a dirigé les projecteurs de la recherche vers le lien entre le microbiote et des pathologies comme le syndrome de l'intestin irritable ou la maladie de Crohn…
Pour modifier la composition d'un microbiote déséquilibré, plusieurs pistes sont explorées : modifier le régime alimentaire, utiliser des antibiotiques ciblant les bactéries néfastes, ou implanter des souches de bactéries bénéfiques, connues sous le nom de "probiotiques". "Ces derniers sont de plus en plus souvent déclinés en compléments alimentaires censés agir sur les bactéries intestinales, mais leur efficacité n'est pas la même chez tout le monde. On retrouve aussi naturellement les probiotiques dans les aliments fermentés ou certaines boissons 'à la mode' comme le kombucha ou le kefir", détaille Nathalie Delzenne. Avec son équipe, la professeure de métabolisme et de nutrition consacre d'ailleurs une partie de ses recherches sur ces élixirs aux vertus prometteuses et les changements de composition du microbiote qu'elle induit chez leurs consommateurs.
Notre peau héberge elle aussi un bestiaire dense et diversifié, qu'on appelle le microbiote cutané. On compte jusqu'à 1 million de micro-organismes par centimètre carré de peau ! Première barrière vivante entre notre organisme et l’environnement, le microbiote cutané joue un rôle essentiel : c'est lui qui nous protège contre les agents pathogènes et des agressions extérieures, comme les UV ou les polluants atmosphériques !
Ce microbiote reste à peu près stable tout au long de notre vie d’adulte mais voit sa diversité augmenter avec l’âge, en partie en raison de l’apparition des rides qui sont autant de terrains privilégiés par les bactéries… On observe aussi des différences de composition entre hommes et femmes, avec une plus grande diversité des populations bactériennes chez ces dernières, qui a été attribuée à l’utilisation plus importante de cosmétiques.
Autre source d'étude, plus "spectaculaire" : le transfert de matières fécales (TMF pour les intimes), qui consiste à introduire dans le tube digestif d'un patient un échantillon de bactéries préparé à partir des selles d'un individu sain. "La méthode est peu ragoutante, ironise Nathalie Delzenne, mais elle a déjà prouvé son efficacité pour traiter les diarrhées récidivantes causées par la bactérie Clostridium difficile, responsable de l'inflammation du gros intestin." Si le geste n'est pas anodin — il y a risque de transférer un agent pathogène — les chercheurs ont depuis longtemps fini de se pincer le nez et la technique du TMF est en cours de développement pour d'autres indications, comme dans la guérison de certains cancers, dans le cadre de certaines chimiothérapies et immunothérapies. Le transfert fécal de microbiote humain pourrait donc un jour obtenir le statut de médicament. En attendant, des dizaines de startups et de laboratoires sont engagées dans ces recherches et le don de selles est désormais rémunéré !
Dans ce registre, en France, une collaboration entre des chercheurs de l’institut Pasteur et de l’institut Necker Enfants-Malades a montré que le transfert fécal du microbiote intestinal d’une souris ayant un comportement dépressif vers une souris indemne suffisait à produire des symptômes dépressifs chez cette dernière. Les scientifiques ont par la suite découvert que le microbiote exerçait son action sur le cerveau via un axe, le nerf vague, et que le sectionner permettait de prévenir le développement des symptômes. "Le lien intestin-cerveau est démontré depuis plusieurs années, développe la Pr Delzenne. On sait par exemple que le déséquilibre de la flore intestinale alimente les terreaux dépressif et anxieux. Mais ces récents résultats, s’ils sont transposables chez l’homme, pourraient ouvrir la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques de la dépression."
Plus surprenant encore : en Suède, une récente étude menée dans le cadre de l'Abis (All Babies in Southeast Sweden) a révélé un lien significatif entre les perturbations du microbiote et le développement de l'autisme et du TDAH chez les enfants. Cette recherche, qui a suivi plus de 16.000 enfants dans le sud-est de la Suède nés entre 1997 et 1999, pourrait révolutionner l'approche de ces troubles neurodéveloppementaux. Les scientifiques ont analysé de l'enfance jusqu'à l'âge adulte les échantillons de selles des participants pour identifier des traits spécifiques liés à la diversité et à la composition de leur microbiote intestinal. Les résultats montrent une corrélation entre certaines altérations de cette flore et l'apparition de troubles autistiques et déficitaires de l'attention et de l'humeur.
Parmi les marqueurs identifiés, plusieurs espèces de bactéries (telles que les Bacteroides et les Firmicutes) présentent des niveaux significativement différents chez les enfants diagnostiqués avec des troubles neurodéveloppementaux. Ce qui pourrait indiquer que la perturbation de l'équilibre microbien joue un rôle dans l'apparition de ces troubles…
Le microbiote intestinal détiendrait-il donc les clés de notre santé ? “La recherche n'en est plus à ses balbutiements, mais il reste énormément de chemin à parcourir", confesse Nathalie Delzenne de l'UCLouvain. En attendant, il n'est pas forcément nécessaire de se jeter sur les compléments alimentaires ou les probiotiques pour garantir le bon équilibre de son microbiote intestinal : "Il faut suivre tous les conseils que la plupart d'entre nous connaissons, rassure la professeure. Des fruits et des légumes chaque jour en quantité suffisante, de préférence de saison, des fibres (dont le microbiote raffole), pas trop de viande ni d'aliments riches en graisses saturées ou en sucres…" Une recette plutôt simple, pour un écosystème si complexe !
Nathalie Delzenne, professeure de métabolisme à l'UCLouvain