Médecine

Quand l'hypnose s'invite au bloc opératoire

Victime de certains clichés, l'hypnose fait parfois peur. Pratiquée dans le respect des règles, elle se révèle pourtant un outil précieux et sûr. Son effet analgésique a amené des médecins anesthésistes à s'en faire une alliée,  pour le plus grand bénéfice des patients.

Publié le: 10 janvier 2022

Mis à jour le: 16 septembre 2024

Par: Aurelia Jane Lee

7 min

anesthésie

Photo: © Ma voix t'accompagnera

L'hypnose suscite des réactions diverses. Impressionnante, voire inquiétante lorsqu'elle est employée à des fins de divertissement, elle peut faire aussi parfois l'objet de pratiques non régulées ou abusives par des hypnothérapeutes auto-proclamés, ce qui incite à la méfiance. Partant du constat que "cette technique est utilisée sans distinction par différentes professions et dans différents cadres, ce qui ajoute à l’incompréhension du public", le Conseil supérieur de la santé (CSS) a récemment formulé un avis pour mieux encadrer son usage en Belgique (1). La professeure Fabienne Roelants, anesthésiste aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, formée à l'hypnose depuis plus de dix ans, a participé à l'élaboration de ces recommandations.

Le mot hypnose fait référence à Hypnos, le dieu du sommeil dans la mythologie grecque. Or, "l'hypnose n'est pas une forme de sommeil, rectifie la professeure. Au contraire : c'est un état de conscience modifié que l'on pourrait qualifier d''hyper-éveil', car on y est particulièrement attentif et concentré. Ce n'est pas différent de l'état dans lequel on se trouve naturellement quand on dit qu'on a l'esprit ailleurs ou qu'on est 'dans la lune'." Lorsque l'on est perdu dans ses pensées, notre corps continue à fonctionner sur pilote automatique en se fiant à ses réflexes et à sa mémoire. Cela peut arriver durant un déplacement à pied ou en voiture que l'on connaît par cœur, par exemple. Ce phénomène entraîne une distorsion du temps, qui paraît passer plus vite. Notre esprit s'absente, mais nous sommes éveillés, capables de ressentir et de communiquer. "Pour plonger le patient en état d'hypnose, le soignant active simplement cette ressource que chacun possède en dirigeant son attention sur un souvenir agréable", détaille Fabienne Roelants.

Un outil de gestion de la douleur

L'hypnose est un processus parfaitement naturel qui peut être activé délibérément, dans le but de se calmer par exemple. Elle possède en outre une propriété intéressante sur le plan médical : elle diminue l'intensité de la douleur environ de moitié (2). Combinée à une anesthésie locale, son efficacité analgésique permet d'éviter de devoir endormir totalement un patient. Le corps médical y aura recours en particulier dans les cas où une anesthésie générale représente un risque pour le patient (fragilité importante).

La technique ne convient pas pour tous les types d'opération. Une opération à cœur ouvert, telle qu'un pontage cardiaque, ne s'effectue que sous anesthésie générale. Mais l'hypnose peut être proposée – toujours en complément d'une anesthésie locale – pour les chirurgies dites de surface, telles qu'une ablation de la thyroïde, une tumorectomie du sein ou une mastectomie, une hernie, une arthroscopie du genou, ou encore certaines chirurgies plastiques. Elle s'avère aussi utile lors de certains examens (colonoscopie, ponction lombaire…).

La nécessaire adhésion du patient

"De plus en plus de chirurgiens et d'infirmiers sont sensibilisés à cette pratique et la proposent aux patients, explique le Dr Nassim Touil, médecin anesthésiste aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. Environ un tiers de ceux à qui l'on offre cette possibilité opte pour l'hypnose. Le patient qui fait ce choix est davantage acteur de sa prise en charge que s'il bénéficiait d'une anesthésie générale, car cela nécessite de sa part un engagement."

L'hypnose offre la possibilité d'un choix, là où le patient se voit souvent imposer une série de traitements. "Pour les personnes atteintes d'un cancer du sein qui doivent enchaîner chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie et/ou hormonothérapie, par exemple, l'hypnose leur donne l'opportunité de participer activement à ce parcours thérapeutique qui laisse peu d'alternatives par ailleurs, souligne la professeure Roelants. Les femmes qui sont passées par là témoignent du sentiment d'avoir ainsi pu prendre leur santé en main."

En théorie, tout le monde peut être hypnotisé, mais la faculté à accéder plus ou moins facilement à cet état de conscience varie selon les personnes. "De par leur expérience de la méditation par exemple, des patients imaginent être réceptifs à cette technique, précise le Dr Nassim Touil. Mais l'hypnose telle que pratiquée en anesthésiologie est bien différente. Pour une hypnose réussie, il faut que le patient soit motivé, en confiance et coopérant." Moyennant ces conditions, tout ce qui est demandé au patient, c'est d'accepter de se laisser guider par les suggestions qui lui seront faites. Un bref entretien avec l'anesthésiste, avant l'opération, lui permettra d'évoquer le souvenir dans lequel il souhaite être replongé une fois qu'il se trouvera en état de conscience modifié. Cet échange préopératoire a pour but d'évaluer la motivation du patient et de le placer en confiance. "Aucune autre préparation n'est requise, assure la professeure Roelants. Cela ne sert à rien de réaliser un test préalable, car de toute façon, au moment de l'intervention, le contexte sera différent."

Professionnalisme et précautions d'usage

L'hypnose est toujours réalisée par un professionnel, qui l'appliquera uniquement dans les limites de son domaine de compétence (3). Une infirmière peut l'utiliser lorsqu'elle remplace un pansement par exemple, une sage-femme pour une préparation à l'accouchement. Les soignants formés à l'hypnose sont donc également en mesure d'agir dans leur spécialité sans y avoir recours : l'hypnose est seulement un outil supplémentaire. Ce principe garantit la sécurité du patient. Au bloc opératoire, "la personne qui guide le patient est avant tout un anesthésiste diplômé, rassure le Dr Touil. Elle peut donc à tout moment revenir à des méthodes standards, si l'hypnose n'est pas assez profonde par rapport au geste chirurgical par exemple."

Chirurgiens, infirmières et anesthésistes participent tous ensemble au bon déroulement d'une opération sous hypnose. Au moment de l'induction (mise en hypnose), le calme est requis dans la salle pour permettre au patient de se concentrer sur son souvenir agréable. Ensuite, à l'aide de suggestions qui lui sont glissées à l'oreille, il sera maintenu dans cet état de conscience modifié durant toute la durée de l'intervention. Les sensations ou les bruits qui risqueraient de le sortir de son hypnose sont anticipés et intégrés dans le narratif. Si, par exemple, le patient a choisi de revivre ses dernières vacances à la plage, on évoquera une brise marine pour prévenir la sensation de froid sur la peau lorsque la zone à opérer sera désinfectée. L'anesthésiste qui guide l'hypnose doit donc se coordonner avec le reste de l'équipe et s'adapter aux éventuels aléas.

Des résultats enthousiasmants

"Les bénéfices de cette technique sont nombreux et je ne lui connais pas d'inconvénients", avance la professeure Fabienne Roelants. Celles et ceux qui ont expérimenté l'hypnose expriment souvent de la gratitude au terme de l'intervention. La plupart ne connaissait pas cette technique avant d'y avoir recours et cela leur procure une certaine fierté de "l'avoir fait". L'entourage se montre parfois dubitatif, mais c'est par ignorance, estime l'anesthésiste : "L'hypnose repose sur des bases scientifiques. Ses mécanismes d'action ont été étudiés, notamment par l'équipe de la professeure Marie-Elisabeth Faymonville au CHU de Liège. On sait qu'en état d'hypnose, le patient active des voies neuronales pour se protéger de la douleur."

Les bénéfices ne s'arrêtent pas à la sortie du bloc opératoire. Les chirurgies avec hypnose permettent une diminution tant de la fatigue que des douleurs post-opératoires, une récupération plus facile et, sur le long terme, une reprise plus rapide des activités quotidiennes ou professionnelles. En fin d'intervention, l'anesthésiste a l'habitude d'émettre des "suggestions post-hypnotiques" : "On donne ainsi la possibilité aux patients de réutiliser ces techniques, en pratiquant une forme d'autohypnose quand ils ont besoin d'un moment de calme, de détente, par exemple pendant des séances de radiothérapie."

(1) "Utilisation responsable de l’hypnose dans les soins de santé", Conseil supérieur de la santé, css-hgr.be, août 2020.
(2) "Increased cerebral functional connectivity underlying the antinociceptive effects of hypnosis", Marie-Elisabeth Faymonville, Laurence Roediger et al., Cognitive Brain Research, Volume 17,15 juillet 2003, disponible sur sciencedirect.com
(3) Outre la chirurgie, les propriétés analgésiques de l'hypnose sont également exploitées en dentisterie et en pédiatrie, et potentiellement pour tous les soins à l'hôpital.