Médecine

Troubles dys : grandir avec un cerveau différent... sans le savoir

De nombreux adultes ignorent encore qu’ils sont atteints d’un trouble de l’attention ou de l’apprentissage. Quel impact a eu ce non-diagnostic sur leur parcours ? Est-ce encore utile de prendre en charge ces troubles à l’âge adulte ?    

Publié le: 10 novembre 2023

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Candice Leblanc

7 min

Homme faisant un puzzle

Photo: © Adobe Stock

Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages, dits aussi troubles dys (voir encadré), concerneraient environ 8 % de la population. Il en existe plusieurs, les plus connus étant sans doute le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) et la dyslexie. Ces troubles neurodéveloppementaux (1) – c’est-à-dire en rapport avec le développement et le fonctionnement du cerveau, mais sans relation avec le degré d’intelligence ! – ne se guérissent pas. Les personnes atteintes doivent apprendre à "vivre avec".

Aujourd’hui, le corps enseignant, les parents et la société dans son ensemble sont mieux informés qu’avant et donc plus attentifs à la détection de ces troubles. C’est une bonne chose : grâce à une prise en charge précoce, les enfants dys apprennent à mettre en place des stratégies compensatoires tout au long de leur scolarité. Mais cette attention globale aux troubles dys est récente ; aujourd’hui, si des élèves passent encore entre les mailles du filet diagnostique, c’était encore pire pour les générations précédentes ! De nombreux adultes ignorent encore qu’ils présentent un ou plusieurs troubles de l'attention et/ou de l'apprentissage. Et cette ignorance a eu le temps de faire des dégâts…     

La face sombre des étiquettes

"Très tôt dans leur parcours, ces personnes se sont ressenties différentes et leurs spécificités ont attiré l’attention… et pas de façon positive !, explique Carol Valet, cofondatrice de l’association Dyslexie France. La méconnaissance des troubles dys entrainent des jugements, des remarques, des moqueries et des comportements qui pénalisent les personnes dys. Les subir de façon répétitive impacte la confiance et l’estime de soi et peut engendrer un profond mal être."

En effet, combien d’adultes non diagnostiqués ont, dans leur enfance, été étiquetés comme turbulents, distraits, maladroits, incapables ou même stupides ? Avec des conséquences souvent désastreuses sur leur scolarité et, le cas échéant, leur vie professionnelle… Sans oublier l’impact des troubles de l’attention sur les relations interpersonnelles. "Les caractéristiques du TDA/H peuvent faire oublier les anniversaires, les rendez-vous, voire les noms des gens côtoyés au quotidien, explique Pascale De Coster, autrice et fondatrice de l’association TDA/H Belgique. On passe pour quelqu’un de non fiable, voire 'je-m’en-foutiste'. L’impulsivité et l’hyperémotivité – qui vont souvent de pair avec les troubles attentionnels – nous jouent aussi des tours, et ce, dans tous les domaines de la vie." 

Un diagnostic libératoire…

Ces particularités ne disparaissent pas avec le diagnostic, mais son absence complique nettement les choses. D’ailleurs, il n’est jamais trop tard pour faire un bilan. Pascale De Coster est bien placée pour le savoir. Elle avait 42 ans lorsque son TDA/H a été diagnostiqué. "Ce type de diagnostic change la vie ! Il s’avère à la fois un coup de poing – il faut faire le deuil d’un passé fait d’occasions manquées – et un soulagement. Car on découvre que l’on n’est pas 'coupable' de ses distractions, ses oublis, sa procrastination, sa parole impulsive, son hypersensibilité… On n’est pas stupide, on n’est pas 'trop' ou 'pas assez' ; simplement, on porte un trouble neurobiologique. Le comprendre peut tout changer !" Idem pour les autres troubles dys. "Les non diagnostiqués vivent avec une incompréhension d’eux-mêmes, explique Carol Valet. Selon leur parcours et la sévérité de leur(s) trouble(s), ils peuvent douter de leurs aptitudes, de leurs capacités, de leur intelligence. À terme, l’adulte dys peut ressentir de la frustration, de la honte, voire de la colère. Même tardif, le diagnostic est donc une libération."     

… mais pas toujours évident à poser

Encore faut-il poser le bon diagnostic ! L’une des difficultés provient de la fâcheuse tendance – la moitié des cas ! – des troubles dys à se combiner entre eux. Ainsi, 40 % des dyslexiques présentent aussi de la dyscalculie ou un TDA/H ; huit fois sur dix, la dyspraxie va de pair avec la dysgraphie, etc. Non seulement chaque trouble se manifeste à un degré d’intensité différent, mais il peut aussi évoluer avec le temps. Par exemple, l’hyperactivité motrice du TDA/H a tendance à s’atténuer avec l’âge, à s’intérioriser et, donc, à passer un peu plus inaperçue ; l’enfant qui, autrefois, avait la bougeotte devient un adulte qui tripote souvent des objets et dont l’esprit "part dans tous les sens".

Le processus diagnostic peut aussi être compliqué par la présence des comorbidités qui doivent parfois être traitées en priorité. Leur fréquence atteint 80 % chez l’adulte TDA/H. Il s’agit d’addictions, de troubles anxieux, de troubles alimentaires (anorexie, boulimie), de l’humeur (dépression, bipolarité, etc.) ou encore du sommeil. Voilà pourquoi, en cas de suspicion d’un trouble attentionnel, le diagnostic doit être posé par un médecin psychiatre ou neurologue. Quant aux troubles de l’apprentissage (dyslexie, dyscalculie, dysorthographie), ils sont généralement confirmés par des logopèdes. Il faut toutefois s’assurer que ces derniers disposent des tests et de l’expertise nécessaires pour diagnostiquer les adultes. L’idéal est de s’adresser à des centres multidisciplinaires dédiés, en milieu hospitalier ou en milieu privé, surtout si l’on suspecte plus d’un trouble. 

Exploiter ses atouts

Le diagnostic n’est pas une fin en soi, mais le début du chemin. Et pas seulement parce qu’il pose un mot sur des difficultés avec lesquelles les personnes dys jonglent depuis toujours. La prise en charge permet de mettre en place ou de perfectionner des stratégies visant à compenser les manifestations du (des) trouble(s). Tenir un agenda, faire des to-do lists et se conformer à ses routines (par exemple en rangeant toujours ses clés au même endroit) pallient les troubles de l’attention au quotidien. "Avoir une bonne hygiène de vie et faire de l’exercice est bon pour tout le monde, mais ça l’est encore plus pour les TDA/H, notamment eu égard à leurs comorbidités, estime Pascal De Coster. La méditation de pleine conscience et les exercices de cohérence cardiaque sont aussi excellents pour apprendre à mieux gérer son stress qui, sans surprise, aggrave nos difficultés."

Surtout, un accompagnement adéquat des personnes TDA/H et/ou dys leur permet de comprendre leur potentiel et leurs forces. Car, oui, elles en ont ! Carol Valet a d’ailleurs coécrit un livre sur les caractéristiques précieuses – notamment au niveau professionnel – que présentent d’emblée ou développent les personnes dys. "Leur fonctionnement neurologique particulier leur confère un prisme à travers lequel elles visualisent différemment la réalité. Souvent dotées d’une pensée holistique, en image et dynamique, les personnes dys voient et créent plus rapidement des liens entre les choses et les idées. Parce qu’elles ont dû s’adapter aux attentes des autres et de l’institution scolaire, elles sont souvent dotées d’une grande intelligence émotionnelle qui facilite leur capacité à identifier les compétences des autres. Déléguer et travailler en équipe est une évidence pour elles. Elles ont aussi des capacités exploratoires plus poussées que la moyenne. Ce qui, dans de nombreux secteurs, constitue indéniablement des atouts !" Sur le réseau social professionnel LinkedIn, il est d’ailleurs possible d’ajouter "pensée dyslexique" à ses compétences. Preuve que ce qui était considéré autrefois comme un handicap peut se transformer en atout !  

Zoom sur les principaux troubles dys

Trouble déficitaire de l’attention (TDA/H)

Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) se traduit par des erreurs d’inattention, une difficulté à maintenir l’attention de façon soutenue, à résister aux stimuli "distracteurs", à organiser, débuter et terminer une tâche, des oublis et une tendance à égarer ou perdre ses objets. La bougeotte associée au TDA/H implique une difficulté à contrôler les mouvements (hyperactivité motrice), les comportements (impulsivité) et parfois aussi les émotions (hyperréactivité émotionnelle). Le TDA/H touche environ 5-8 % des enfants et 4 % des adultes.  

Dyslexie

La dyslexie est un trouble spécifique du langage écrit, qui se traduit par une difficulté durable d’apprentissage de la lecture et d’acquisition de son automatisme.

Dysorthographie

La dysorthographie se traduit à l’écrit par des difficultés à respecter l’orthographe des mots, à recopier un texte, à conjuguer et à accorder correctement les groupes de mots et à organiser les phrases de façon correcte au niveau syntaxique.

Dysphasie

La dysphasie est un trouble primaire du langage oral, qui affecte la compréhension et/ou l’expression d’un message verbal, peu importe la modalité de présentation (oral ou écrit).

Dyspraxie

La dyspraxie est un trouble du développement moteur qui touche la planification, la réalisation, la coordination et l’automatisation des gestes volontaires.

Dysgraphie

La dysgraphie affecte l’écriture et son tracé. L’écriture manuelle est trop lente, illisible et/ou fatigante et demande un effort cognitif majeur.

Dyscalculie

La dyscalculie est un trouble de l’apprentissage des notions numériques de base et des mathématiques. 


(1) Le TDA/H, par exemple, s’expliquerait par une série de défectuosités dans de nombreux gènes.