Médecine

Vieilles blessures et nouvelles thérapies 

EMDR, intégration du cycle de vie, thérapie de reconsolidation, etc., les innovations psychothérapeutiques se multiplient. Si elles apportent leur pierre à l’édifice, attention aux recettes magiques.

Publié le: 23 novembre 2023

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Julie Luong

8 min

oeil

Photo: © Adobe Stock - L'EMDR consiste à suivre des yeux un objet ou un point lumineux, tout en évoquant des souvenirs traumatiques.

Dans son dernier livre, "Guérir nos âmes blessées" (Marabout, 2023), le psychiatre David Gourion évoque une "véritable révolution" en cours dans le domaine des thérapies. Sous l’influence des recherches en neurosciences, les approches psychothérapeutiques n’ont en effet cessé, au cours des dernières années, de se diversifier et d’évoluer vers des approches moins centrées sur la parole et prenant aussi en considération le corps. Parallèlement, la société porte aujourd'hui un intérêt indéniable pour le monde des émotions et de la vie intérieure. En témoignent les innombrables livres ou publications sur les réseaux sociaux qui abordent l’hypersensibilité, les traumas, les blessures d’attachement, la dépendance affective, les addictions, etc. Chaque individu aspire non seulement à moins souffrir, mais cherche aussi à mieux se connaître dans un monde aux repères brouillés.

Une approche corps-esprit

Pour Jennifer Moers, psychologue au sein du Centre Psy Pluriel Liège, ces nouvelles thérapies comme l’EMDR (intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires qu’elle pratique), l’ICV (intégration du cycle de vie) ou la thérapie de reconsolidation (voir encadré) apportent réellement des réponses neuves à certaines problématiques. "C’est particulièrement vrai pour les patients dont l’histoire comprend des traumatismes, qu'il s'agisse de traumas 'simples' –comme un accident ou une agression —ou 'complexes', comme des violences intrafamiliales." La dimension psychocorporelle de ces approches semble particulièrement utile pour lutter contre le syndrome de stress post-traumatique. 

"Le traumatisme laisse chez l’individu une sorte d’empreinte corporelle. Il crée une réaction du système nerveux qui cherche à se protéger, avec un phénomène de dissociation entre la tête et le corps. Ces thérapies vont tenter de remettre du lien entre les deux", poursuit la psychologue. Ces approches sont aussi indiquées en cas d’anxiété, de phobies, de ruminations. Elles s’adressent aux personnes qui "ont tendance à être beaucoup dans leur tête, résume Jennifer Moers. Mettre des mots, c’est très utile mais parfois ça ne suffit pas. On peut vite tourner en boucle et rester dans l’intellectualisation. Dans ce cas, la méditation, la pleine conscience, la cohérence cardiaque peuvent aussi aider." 

Ces thérapies ne font pas pour autant table rase des approches existantes. "La base du travail reste la même depuis 100 ans : on propose un cadre sécurisant au patient, une alliance thérapeutique basée sur la confiance", rappelle Jennifer Moers. La relation demeure centrale, bien avant les outils. "Des personnes me consultent avec une demande EMDR car elles ont entendu parler de cette thérapie. Elles sont parfois déçues de voir qu’il y a des étapes avant... Car on va toujours commencer par une approche plus traditionnelle, axée sur l’accueil, la parole, la verbalisation des difficultés, leur histoire." 

De nouvelles thérapies 

Il existe de très nombreuses innovations thérapeutiques, mais l’EMDR, l’ICV et la thérapie de reconsolidation font toutes trois l’objet d’études scientifiques et sont pratiquées par de nombreux thérapeutes en Belgique.

L’EMDR (Eye movement desensitization and reprocessing)

L’EMDR, que l'on peut traduire par intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, consiste à réaliser des mouvements oculaires de droite à gauche, en suivant une lampe EMDR ou simplement les doigts du praticien, tout en évoquant le souvenir traumatique. "L’alternance entre les deux activités cérébrales permet aux barrières mentales de tomber", explique Jennifer Moers. L’objectif est de retraiter les informations stockées dans la mémoire traumatique pour les intégrer dans la mémoire autobiographique afin qu’elles ne soient plus associées à des émotions désagréables. 

L’ICV (intégration du cycle de vie)

L'ICV est basée sur la visualisation mentale d’une ligne du temps composée de souvenirs chronologiques. La première étape consiste à établir cette ligne du temps en partant des premiers souvenirs qui se situent en général vers l’âge de 3-4 ans et en identifiant au moins un souvenir par an jusqu’à l’âge actuel. Cette ligne du temps est ensuite déroulée mentalement pendant chaque séance afin que le "moi actuel" puisse utiliser ses ressources pour rassurer le "moi du passé" dans les moments critiques. "L’objectif est que le corps puisse comprendre que l’événement est passé, qu’il n’y a plus de raisons d’avoir peur", précise Jennifer Moers. 

La thérapie de la reconsolidation (Méthode Brunet)

La thérapie de la reconsolidation consiste à se rappeler un souvenir traumatique en étant sous l’effet d’un bêtabloquant, le propanolol, qui va faire baisser le rythme cardiaque et la pression artérielle. Le patient va écrire et lire à voix haute le récit de son traumatisme sous l’effet ce médicament pendant plusieurs séances successives. "Cela va lui permettre de raconter sans avoir les effets habituels de son anxiété et à terme de modifier l’appréhension du trauma", explique Jennifer Moers.  

Un objet de consommation ? 

Les nouvelles thérapies ouvrent la possibilité d’un traitement "sur mesure". "Un patient peut avoir besoin de recourir à la parole à un moment de son parcours et de s’orienter vers une approche plus corporelle à un autre. Plus il va avancer dans la compréhension de lui-même, plus il peut se sentir aventureux, avoir envie de compléter son travail avec des massages énergétiques, de l’acupuncture, etc.", observe la psychologue. 

Le piège serait toutefois que l’aventure se transforme en shopping. "Aujourd’hui, on consomme du psy comme on consomme tous les soins médicaux, met en garde Hélène Coppens, psychologue et présidente d’Appelpsy, association professionnelle des psychologues cliniciens de la parole et du langage. La relation humaine est impactée par cette vision, tant du côté du soignant — qui devient en quelque sorte un 'objet' — que du patient, en attente de réponses simples. Or, ce dont on souffre est toujours beaucoup plus complexe que la demande de départ."  

L'humain ne se résume pas à un réseau de neurones mis à rude épreuve. La réaction à un traumatisme dépendra aussi de nos ressources, notre vécu, notre structure psychique, insiste Hélène Coppens. "Nous sommes dans un grand déni de l’inconscient, de ce qu’on ne contrôle pas. Beaucoup de gens rêvent d’être des machines et qu’on leur enlève simplement leurs symptômes." 

L’idée que nous serions des "machines" – idéalement performantes, parfois cassées, parfois réparables, dénuées de dimension inconsciente et de besoins spirituels – s’est imposée insidieusement, regrette la psychologue... Il faudrait être et rester "prêt à l’emploi" sans jamais remettre en question nos conditions de vie et encore moins l’organisation sociale. "Le message est qu’il 'suffit' d’aller voir le psy et qu’en quelques séances, ce sera réglé... Cette injonction au bien-être a des effets terribles sur les gens qui n’arrivent pas à aller bien assez vite..." Des nouvelles thérapies, pourquoi pas, mais au service de quoi voulons-nous les mettre ? De notre capacité à survivre et supporter ou, comme le suggère David Gourion, à vivre et aimer?