Soins de santé
Le sevrage tabagique est un processus complexe qui, pour réussir, doit tenir compte des différentes facettes de la dépendance. Car, plus que de la volonté, il nécessite de l'introspection et, surtout, des stratégies.
Publié le: 28 mars 2022
Par: Candice Leblanc
7 min
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Arrêter de fumer, c’est se libérer, non pas d’une, mais de trois dépendances : la dépendance physique à la nicotine, l’une des substances les plus addictives au monde ; la dépendance psychologique au tabagisme et à toutes les (fausses) croyances que les fumeurs nourrissent à son sujet ; et la dépendance comportementale, c’est-à-dire ce qui relève des gestes et des habitudes liées à l’acte de fumer. "Un sevrage réussi nécessite de s’occuper de ces trois aspects, explique Bérengère Janssen, psychologue et tabacologue au FARES. La dépendance physique est souvent la plus simple à gérer, surtout si la personne a accès aux produits qui pallient les symptômes du sevrage." En Belgique, il s’agit principalement des médicaments à base de bupropion (Zyban®), sur prescription médicale, et des substituts nicotiniques, disponibles en vente libre sous forme de patchs, de gommes à mâcher, de comprimés à sucer ou encore d’inhalateur ou de spray oral. "Ces outils sont efficaces pour se sevrer en douceur… à condition qu’ils soient pris à une dose suffisante ! De nombreuses personnes ont tendance à se sous-doser. Or, il est important que le sevrage physique soit le plus confortable possible pour pouvoir se concentrer sur les aspects psychocomportementaux."
Chaque fumeur est différent et il n’y a pas une seule bonne façon d’arrêter. Pas plus qu’il n’y a de recette miracle. Si certains réussissent leur sevrage du premier coup, sans aide ni rechute, la plupart des (ex)fumeurs ont dû s’y reprendre plus d’une fois, tester différentes méthodes, voire faire appel à un professionnel de la santé pour se délivrer d’une assuétude plus complexe qu’il n’y parait.
Pour mettre toutes les chances de son côté, il est conseillé de préparer ce changement de vie en amont. "Car, oui, c’est un changement de vie ! rappelle Bérengère Janssen. Il ne s’agit pas seulement de cesser la consommation d’un produit. Arrêter une drogue comme le tabac va bouleverser le quotidien et nécessite un certain remaniement psychocomportemental."
Mieux vaut donc être au clair avec les raisons intrinsèques qui motivent l'arrêt du tabac. Parfois, il s’agit d’une urgence médicale : suite à un accident ou une maladie grave, le patient n’a d’autre choix que de cesser immédiatement de fumer. Mais dans la plupart des cas – et c’est l’idéal – le projet de sevrage vient plutôt de soi. "La volonté est un phénomène fluctuant, rappelle la tabacologue. Il ne suffit pas toujours de vouloir arrêter pour y arriver. En revanche, être pleinement conscient de ce qui nous pousse à désirer une vie sans tabac est très utile quand, justement, la volonté flanche."
La santé est une excellente raison d'arrêter de fumer, mais ce n’est pas la seule. Vous pouvez aussi vouloir faire des économies. Récupérer le temps que vous perdez à fumer . Retrouver la liberté dont les contraintes du tabagisme vous privent. Améliorer vos performances physiques, sportives ou sexuelles – car, oui, le tabac peut causer quelques soucis à ce niveau-là ! Apprendre ou recommencer à jouer de la trompette. Avoir meilleure haleine et des dents moins jaunes. Supprimer l'odeur de tabac froid qui imprègne vos vêtements et votre maison. Freiner le vieillissement prématuré de votre peau. Retrouver le vrai goût des aliments et moins les saler… Les bénéfices de l’arrêt du tabac sont autant de motivations !
Avant l’arrêt, il est également utile de faire un état des lieux de votre consommation.
"Les questions quantitatives permettent de choisir, de doser, voire de combiner au mieux les médicaments et les substituts nicotiniques, commente la tabacologue. D’où l’intérêt, d'ailleurs, de prévenir votre médecin traitant de votre projet de sevrage."
Quant aux questions qualitatives qui explorent les moments et les raisons pour lesquelles vous fumez, elles sont fondamentales. Elles permettent de conscientiser les automatismes de pensées et de comportements liés à la cigarette et dont il faudra vous défaire, d’une manière ou d’une autre. Comment ? En les déconstruisant.
Commençons par les pensées. Pour rappel, la dépendance psychologique se nourrit de toutes les fonctions "positives" que l’on attribue au tabac et qui, bien souvent, sont erronées. Un exemple : "Si vous fumez lorsque vous êtes stressé ou énervé, vous pensez sans doute que cela vous calme, explique Bérengère Janssen. Or, d’un point de vue physiologique, c'est le contraire : le tabac est un excitant qui augmente la fréquence cardiaque. La sensation de détente vient du fait que vous fournissez à votre cerveau la substance qu’il réclame." En d'autres termes, ce n’est pas vous que vous calmez en fumant : c’est le manque de nicotine ! Idem pour celles et ceux qui pensent retrouver une certaine concentration en fumant… alors que c’est le manque qui déconcentre.
Arrêter de fumer est moins affaire de volonté que de stratégies. Avant un arrêt total, par exemple, il est intéressant de commencer par contrarier vos habitudes tabagiques. Tenir sa cigarette de l’autre main, ne plus fumer à l’intérieur et/ou dans votre voiture ou encore changer de marque de tabac casse déjà quelques automatismes. "Surtout, cela amorce une dynamique de changement, explique la tabacologue. En modifiant une habitude, vous prenez conscience et confiance en votre capacité de changer. C’est important. Nombre de fumeurs se sentent prisonniers de leur tabagisme. Ils ont l’impression qu’ils n’y arriveront jamais, ils peinent à imaginer une vie sans tabac. Or, ils l’ont déjà connue – avant leur toute première cigarette – et ils se passent de fumer chaque nuit, pendant leur sommeil. Ils en sont donc tout à fait capables !"
Si les habitudes tabagiques sont si ancrées, c’est parce qu’elles recouvrent souvent autre chose. "Certes, il y a des cigarettes 'plaisir', mais derrière la plupart des envies de fumer se cache en fait un besoin plus profond : évacuer une tension, se sentir en sécurité, faire une pause, lutter contre l'ennui, se (re)donner une contenance, être en relation avec les autres (la fameuse 'pause clope' entre collègues ou copains), etc. Il est essentiel d’apprendre à reconnaitre ces besoins sous-jacents." Car, dès que vous les avez identifiés, vous pouvez mettre en place d'autres actions pour dépasser les quelques minutes que dure l'envie de fumer, sans y succomber : aller prendre un café avec un collègue, appeler un ami, se lever et aller faire un tour dans le couloir ou dehors, ouvrir la fenêtre et prendre trois grandes inspirations, colorier un mandala, jouer à un petit jeu sur le smartphone, méditer, etc. "De nouvelles habitudes qui, au final, s’avèrent bien plus efficaces que la cigarette pour satisfaire vos vrais besoins !"
Il ne faut pas non plus sous-estimer la mémoire gestuelle, une composante de la dépendance comportementale. De nombreux fumeurs sont très attachés aux rituels qui entourent leur consommation : jouer avec le briquet, rouler la cigarette ou le joint, bourrer la pipe, etc. Le geste main-bouche du tabagisme est presque devenu un réflexe que de nombreux candidats au sevrage compensent en mangeant ou en buvant davantage. Pourtant, là aussi, des substituts plus sains sont possibles : balle antistress, inhalateur, crayon à mordiller, etc. Pensez aussi à pallier le geste respiratoire. "Cela peut sembler paradoxal, mais tirer (fort) sur une cigarette peut en fait répondre au besoin de respirer profondément, explique Bérengère Janssen. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la méditation et les exercices de respiration consciente sont des outils intéressants dans le sevrage tabagique ; ils permettent de se concentrer sur ses inspirations et expirations, avec tout ce qu’elles disent de nos émotions du moment. C’est confrontant, bien sûr. Mais avoir une meilleure perception de soi, de ses besoins et de ses ressentis est toujours positif, aussi bien pour se libérer du tabac que dans la vie en général."
"Je suis une ex-fumeuse heureuse ! Et je le dois en grande partie à ma 'boite à malices'. Pour résister aux envies de cigarette, j’avais une petite boite en plastique dans laquelle se trouvait ma panoplie anti-tabac : une cigarette électronique, des bâtons de réglisse, des minis Chupa Chups®, quelques amandes et, pour les envies extrêmes, des gommes à mâcher contenant de la nicotine. Pendant des mois, j’ai emporté ma boite à malices partout, surtout le weekend, en soirée. Dès que l’envie de fumer me prenait, je piochais dedans. Ça amusait et intriguait les gens ; cette petite boite a permis de chouettes échanges ! Ce qui compensait aussi le côté social de la 'pause clope'… sans devoir aller me les geler dehors avec les autres fumeurs !"