Prévention

Peut-on freiner la progression de la myopie?

Une personne sur deux pourrait souffrir de myopie d’ici quelques décennies. En cause, l’évolution de nos styles de vie… et de vue. Face à cette nouvelle réalité, des moyens de ralentir la myopie voient le jour. On en parle avec Alessandra Chaves, ophtalmologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc. 

Publié le: 03 octobre 2023

Mis à jour le: 26 septembre 2024

Par: Valentine De Muylder

7 min

femme qui regarde ses lunettes

Photo: © AdobeStock

Vous arrive-t-il souvent de lever les yeux de votre écran pour laisser votre regard se poser au loin ? Nous passons de plus en plus de temps à l’intérieur, plongés dans des activités qui sollicitent notre vision de près. Cette évolution de nos habitudes de vie n’est pas sans conséquences pour nos yeux : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 2,6 milliards de personnes étaient myopes en 2020, et 50 % de la population mondiale pourrait l’être d’ici 2050 (1). En Belgique, les cas de myopie auraient bondi d’environ 25 % chez les jeunes ces six dernières années (2).
"Le vieillissement de la population, couplé aux changements environnementaux et de styles de vie, va conduire à une nette augmentation du nombre de personnes souffrant de troubles de la vision et de cécité", écrit l’OMS dans son rapport  "World Report on Vision". Car si la génétique joue un rôle essentiel dans le développement de la myopie, l’environnement joue également un rôle très important, surtout chez les enfants. Notre vision de loin souffre d’être trop peu sollicitée, et nos yeux d’être privés de lumière naturelle, essentielle pour régulariser la croissance de l’œil.

Dans la plupart des cas, la myopie apparaît pendant l’enfance et évolue au fil de la croissance.

Face à cette tendance à la hausse du nombre de myopes, de nouvelles solutions voient le jour, non seulement pour corriger toujours mieux la myopie, mais aussi pour tenter d’en freiner l’évolution. En particulier s’il s’agit de myopie forte, qui ne permet de voir nettement que les objets situés à une dizaine de centimètres des yeux (au-delà de -6 dioptries). La myopie forte, minoritaire mais également en augmentation, entraine en effet un risque plus élevé de développer des complications (décollement de la rétine, glaucome, cataracte…) et d’évoluer vers la malvoyance ou la cécité.

Un trouble évolutif

Dans la plupart des cas, la myopie apparaît pendant l’enfance et évolue au fil de la croissance. "Dans un premier temps, on peut corriger la myopie avec des lunettes ou des lentilles de contact", rappelle Alessandra Chaves, ophtalmologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Une fois le diagnostic posé, la correction est importante, non seulement pour mieux voir, mais aussi pour ralentir la progression de la myopie. "Lorsque la myopie est stabilisée, on peut également avoir recours à la chirurgie réfractive", ajoute la spécialiste. Cette stabilisation a généralement lieu au début de l’âge adulte. "Sauf dans des cas pathologiques, une fois la croissance terminée, il n’y a plus que de petites variations liées à l’âge."
 

C’est donc généralement pour les enfants que se pose la question du ralentissement (ou "freination") de la myopie au moyen de gouttes, de lentilles à porter la nuit, ou encore de verres spéciaux… Ces méthodes ont en commun d’être très récentes. Ce qui rend leur évaluation compliquée. "À ce jour, aucune méthode n’a prouvé scientifiquement son efficacité pour ralentir la progression de la myopie", signale en effet Alessandra Chaves, qui invite à la prudence face à des solutions "de rêve" qui restent controversées.

Principales méthodes pour ralentir la myopie

La première de ces nouvelles méthodes, ce sont les gouttes (collyre) à base d’atropine, un produit qui paralyse l’accommodation de l’œil et induit une dilatation de la pupille. "Administrées à l’enfant le soir, avant le coucher, ces gouttes sont généralement bien tolérées et montrent une certaine efficacité pour ralentir la myopie", estime l’ophtalmologue, qui signale toutefois que ces gouttes laissent la source du problème intacte, avec le risque que leur effet soit limité à la durée du traitement :  "L’atropine ne va changer ni la forme de la cornée, ni la longueur de l’œil. Elle va plutôt agir sur le pouvoir d’accommodation du cristallin. Les études ont montré que dès qu’on arrêtait les gouttes, cela stoppait aussi leur bénéfice et la myopie continuait à progresser."

Des verres de lunettes spéciaux destinés à freiner la progression de la myopie ont également fait leur apparition récemment. En plus de corriger la vue de loin, comme des verres correcteurs classiques, ces verres sont dotés de microlentilles invisibles destinées à corriger l’ "hypermétropie périphérique", un défaut de la vue périphérique impliqué dans l’aggravation de la myopie. Et les premiers résultats semblent encourageants. "C’est une piste intéressante", confirme la spécialiste, qui précise toutefois qu’il est encore trop tôt pour en dire plus : "Ces verres sont sur le marché depuis très peu de temps et les enfants qui les portent n’ont pas encore suffisamment grandi, et arrêté de grandir, pour qu’on ait le recul nécessaire à la conclusion des études." À ce jour, ces verres dits "de freination" de la myopie coûtent nettement plus cher que des verres correcteurs classiques.

Une troisième méthode, appelée orthokératologie, consiste à porter des lentilles de contact rigides pendant la nuit, afin de "remodeler" la cornée et de corriger ainsi temporairement la manière dont les rayons lumineux convergent dans l’œil. "La cornée est le hublot transparent qui se trouve devant la partie colorée de l’œil. Elle concentre à elle seule 60% de la puissance visuelle de l’œil", explique Alessandra Chaves. La spécialiste se veut très prudente face à cette nouvelle technologie qui accentue le manque d’oxygène dont souffre la cornée pendant la nuit : "Pour garder sa transparence et sa performance, la cornée a besoin d’oxygène. Quand on a les yeux ouverts, elle puise cet oxygène dans l’air. Si on porte des lentilles pendant son sommeil, la cornée souffre et développe un œdème, c’est-à-dire un gonflement, qui va changer sa forme et compenser en partie la myopie. Mais à quel prix ?" L'ophtalmologue craint qu’avec le temps, cette méthode abime les tissus de la cornée : "L’orthokératologie comporte à ce jour plus de risques que de bénéfices, car on ne dispose pas de données sur le moyen ou le long terme. Je la déconseille donc à mes patients."

Plus d’activités en plein air

On le voit : ces différentes méthodes ont du pour et du contre. Rien de tel, dans ces cas-là, que de demander un avis personnalisé à son ophtalmologue. Une chose semble toutefois pouvoir être conseillée sans hésiter, pour prévenir l’apparition et freiner l’évolution de la myopie chez les enfants :  la pratique d’activités en plein air. Diverses études ont en effet démontré que les enfants qui passaient plus de temps à l’extérieur avaient moins de chances de devenir myopes. L’une d’entre elles, publiée en 2018, a été menée à Taiwan, où le taux de myopie est très élevé chez les enfants (3). En 2010, 21 % des enfants de 7 ans étaient myopes, tout comme plus de 60 % des enfants de 12 ans, et plus de 85 % des jeunes de 18 ans. Le ministère de l’éducation a fini par imposer aux écoles un programme comprenant deux heures par jour d’activités à l’extérieur. Depuis l’introduction de cette mesure, les taux de myopie ont baissé. "On soupçonne que c’est parce que, dehors, le regard des enfants porte plus loin", explique Alessandra Chaves, qui encourage vivement les parents à s’assurer que leurs enfants prennent l’air régulièrement. Une raison de plus pour profiter du printemps qui arrive et sortir se promener !

(1) "World Report on Vision", World Health Organization, 2019
(2) "La myopie a bondi de 25% chez les jeunes ces six dernières années", Belga, 28 septembre 2022
(3) "Myopia Prevention in Taiwan", Pei-Chang Wu et al., Annals of Eye Science, 2018