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Régimes, chirurgie esthétique, blanchiment des dents… : très prisé par les ados, TikTok regorge de conseils farfelus pour être plus mince, plus beau et plus conforme. Mais comme les autres médias sociaux, il peut aussi être une ressource précieuse pour prendre sa santé en mains.
Publié le: 24 mai 2023
Par: Julie Luong
8 min
Photo: Sans cesse exposés à ces corps modifiés et à ces images trafiquées, les ados ont-ils une chance de se sentir bien dans leur peau ? - © AdobeStock
De la viande, du sel et de l'eau pendant 30 jours, ça vous tente ? C’est le principe du régime Lion, mis au point par Mikhaila Peterson, autrice de podcasts très active sur les réseaux sociaux. Selon cette jeune femme, ce régime l’aurait aidée à combattre allergies, maux de tête, problèmes de peau et d’humeur. Sur TikTok, l’info est rapidement devenue virale. Un tiktokeur australien très en vue a décidé de se prendre pour cobaye et d’adopter à son tour ce régime de viande hachée et de sel... Exit fruits, légumes et autres vitamines. Avec des résultats très convaincants, selon lui. Bien entendu, pour n’importe quel diététicien, le régime Lion est une aberration. Déséquilibré, il ne peut à terme qu’entraîner des carences et une (re)prise de poids.
Les régimes ne vous tentent pas ? TikTok vous propose d’autres solutions, comme de détourner un médicament de son usage pour maigrir plus vite... C’est le cas avec l’Ozempic, véritable star du réseau social. Dans une vidéo comptabilisant plus de 100.000 vues, une tiktokeuse américaine donnait le secret de son amincissement express : la prise régulière de ce médicament injectable utilisé dans le traitement du diabète de type 2... Participant au contrôle de la glycémie, l’Ozempic a tendance à diminuer l’appétit et peut donc faciliter la perte de poids. Il n'en fallait pas plus pour que la molécule disponible sur ordonnance connaisse un boom inédit de ses ventes... Tant et si bien qu’à l’automne dernier, l’Ozempic était menacé de pénurie, poussant l'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) à édicter des recommandations à destination des médecins, indiquant que la priorité devait être donnée "à l’indication pour laquelle Ozempic est autorisé, à savoir le traitement des patients adultes dont le diabète de type 2 n’est pas suffisamment régulé, en complément d’un régime alimentaire et d’exercice physique".
Pascal Minotte
Vous vous méfiez des médicaments ? Il vous reste le blanchiment des dents, à base de peroxyde d'hydrogène pur, de quoi entraîner un résultat étincelant... et un risque de brûlures et de lésions dentaires ! Ou encore la chirurgie esthétique, entre injection d’acide hyaluronique pour repulper la bouche, lipofilling pour augmenter le volume des fesses (en y injectant de la graisse prise sur le ventre et les hanches) et bichectomie pour creuser le visage (on soupçonne cette opération visant le retrait du "gras" des joues ou "boules de Bichat" de créer un vieillissement prématuré) (1). À moins que vous ne préfériez éviter le bistouri et vous en remettre aux miracles de l’intelligence artificielle. Le filtre "Bold Glamour", très tendance sur les réseaux, offre, en quelques secondes, un visage ultra lissé aux pommettes saillantes, aux lèvres pulpeuses et au menton affiné.
Sans cesse exposés à ces corps modifiés et à ces images trafiquées, les ados ont-ils une chance de se sentir bien dans leur peau ? "Les études montrent que les images circulant sur les réseaux sociaux pourraient augmenter l’insatisfaction corporelle, confirme Pascal Minotte, psychologue au Centre de référence en santé mentale (Crésam). L’impact est potentiellement délétère sur des adolescents qui sont par définition dans une situation de fragilité en ce qui concerne l’image corporelle. Et puis il y a la difficulté d’être confronté à des informations relatives à l’image du corps derrière lesquelles se cache en fait du placement de produits... Produits vendus par des influenceurs généralement bien foutus et sportifs, alors que l’adolescence est un moment de la vie où l’on a le pied gauche qui pousse plus vite que le pied droit..."
Généralement, cette insatisfaction entretenue par les réseaux est heureusement transitoire. Mais chez certains jeunes plus vulnérables, elle peut entraîner de véritables dysmorphies (trouble obsessionnel qui consiste à se focaliser de manière disproportionnée sur une partie du corps jugée imparfaite) ou des troubles alimentaires. À noter que les stéréotypes de genre qui survalorisent l’apparence chez les filles les rendent plus perméables à ces injonctions. "Il est largement documenté qu’il est plus difficile pour une fille de gérer sa présence en ligne, qu’elle est soumise à davantage d’injonctions à la fois pour être présentable mais aussi respectable." Les filles doivent non seulement entretenir leur image mais aussi leur réputation...
Accuser les seuls réseaux sociaux serait réducteur. Car la société ne les a pas attendus pour imposer des stéréotypes sexistes et des idéaux de beauté très éloignés de la moyenne. "Les médias traditionnels y ont participé et y participent encore, notamment la presse féminine qui, d’un côté tient un discours de bon ton, féministe et, d’un autre côté affiche dans ses pages des femmes très minces et très jolies", pointe Pascal Minotte.
En revanche, concernant le recours à la chirurgie esthétique, on peut considérer que les médias sociaux ont augmenté "l’accessibilité symbolique et donc l’acceptabilité sociale" de cette démarche. En somme, avant, les actrices, les mannequins et les stars étaient considérées comme très éloignées du commun du mortel. L’effet de comparaison était moins fort. Aujourd’hui, les influenceurs entretiennent au contraire un effet de proximité. Ce qu’ils font et ce à quoi ils ressemblent, tout le monde semble pouvoir y prétendre...
De sorte qu’aujourd’hui, avoir recours à la chirurgie esthétique est de moins en moins une excentricité, un tabou ou une honte. "Dans certains pays, ce type de chirurgie est totalement accepté. Cela ne l’est peut-être pas encore tout à fait chez nous mais à travers les influenceurs, l’acceptabilité sociale peut augmenter", observe le psychologue.
Selon une étude de 2019 de l’International Master Course of Aging Skin, un congrès européen réunissant les professionnels de l’esthétique, les 18-34 ans ont désormais davantage recours à la chirurgie esthétique que la tranche des 50-60 ans. (2) "Cela ne veut pas dire qu’ils sont moins bien dans leur peau que par le passé, mais que l’accessibilité sociale du recours à ces techniques est plus grande. Cela dit, rien ne nous dit que ça va perdurer... Un courant alternatif pourrait s’imposer", rassure Pascal Minotte. C’est déjà en partie le cas avec la tendance "body positive" qui encourage à accepter ses formes et ses "défauts", en s’exposant sur les réseaux sans filtre et dans des poses moins flatteuses.
Pour Pascal Minotte, la question n’est d’ailleurs pas d’être pour ou contre la chirurgie esthétique mais plutôt de freiner des interventions irréversibles chez les plus jeunes car "chez les ados, on peut penser qu’il y a un laboratoire nécessaire par rapport à toute forme d’appropriation du corps puisque psychiquement comme physiquement, l’ado est en développement."
La confiance en soi joue un rôle central. "Le rapport aux réseaux sociaux, le besoin de recourir à certains artifices s’inscrivent aussi dans l’histoire, les fragilités individuelles (…) Rappeler à ses enfants qu’on les trouve beaux et qu’on aime ce qu’ils font, c’est important !", insiste le psychologue.
(1) "The Role of the Buccal Fat Pad in Facial Aesthetic Surgery", national library of medicine, 2021.
(2) "Réseau sociaux ou bistouri, où la chirurgie esthétique sous influence", Le Monde, 3 août 2021.
Les mises en garde ne peuvent effacer l’influence également positive d'Internet et des réseaux sociaux sur la santé et la santé mentale des jeunes. "Il est courant de tenir un discours très critique. Or concernant les questions de santé, Internet est réellement plus une ressource qu’un problème !", défend Pascal Minotte qui a publié une étude à ce sujet en 2018. "Cela aide énormément d’ados, mais aussi d’adultes", souligne le psychologue. La plupart des informations de santé qui circulent sur Internet sont en effet assez conformes aux recommandations médicales classiques, mais comportent souvent aussi des aspects pratiques, qui aident réellement le patient à prendre sa santé en main. Il peut arriver que les médecins ne vous expliquent pas grand-chose sur ce que vous avez ou qu’ils vous donnent des conseils parfois un peu hors sol..."
Pour les ados en particulier, Internet est une ressource pour se renseigner sur la sexualité et la santé mentale. Ainsi voit-on fleurir de nombreux contenus qui permettent aux jeunes de se sentir moins seuls face à une problématique. Des internautes témoignent de leur vécu à la première personne et proposent un discours complémentaire, déstigmatisant, par rapport à la dépression, l’anxiété ou encore certaines maladies chroni ques. "Contrairement à ce que l’on croit, les jeunes ne croient pas ce qu’ils lisent mais enquêtent sur Internet, croisent les sources... Ils sont souvent moins crédules que les personnes plus âgées", souligne le psychologue.
Aucun raisonnement ni aucun fact-checking en règle ne pourra empêcher certains jeunes et moins jeunes de se passionner pour le régime Lion ou d’espérer un médicament miracle... Cela tient de la pensée magique, une tendance humaine qui n’épargne évidemment pas les réseaux ! Toutefois la plupart des Internautes se contenteront de consommer ces contenus sans y croire sérieusement. Un peu comme on lit l’horoscope. Pour s’évader, s’amuser et passer rapidement à autre chose.