Santé mentale

Apprivoiser l’angoisse à l’aide des neurosciences

David Gourion,  psychiatre et docteur en neurosciences, s’inspire des recherches sur le cerveau comme des rencontres avec ses patients et de sa propre expérience d’anxieux, pour proposer une méthode simple et efficace pour lutter contre le stress et la déprime.

Publié le: 25 janvier 2023

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Sandrine Warsztacki

7 min

homme endormi sur un lit la tête sous un coussin

Photo: © AdobeStock - Ne laissez pas vos angoisses vous convoquer quand elles le souhaitent

Quatre conseils pour arrêter de ruminer

Sans prétendre proposer de recette miracle, la méthode de David Gourion s'avère simple et efficace. On l'a testée pour vous.


    Avant de gérer ses pensées anxieuses, encore faut-il être conscient de leur présence. Pour apprendre à les identifier rapidement, le psychiatre propose de les "taguer" mentalement, de leur donner un surnom en fonction des catégories auxquelles elles appartiennent : travail, argent, santé… Pour dédramatiser, il suggère également de leur donner un surnom un peu ridicule, de les associer à un personnage qui nous fait sourire ou de les affubler d’un accent rigolo. Des études montrent que le simple fait de monitorer son stress, par exemple en lui attribuant une note sur une échelle, permet déjà de le réduire de façon significative, rappelle également le psychiatre. 

    Détecter les "switchs", ces moments où le cerveau se met en mode rumination : "Ces derniers surviennent insidieusement et rapidement, ils ne sont pas toujours faciles à repérer : par exemple, quand vous faites des pauses dans votre lecture, demandez-vous s’il ne s’agit pas d’une petite rumination insidieuse de vos soucis. Ce n’est pas toujours très simple au début, parce que les ruminations anxieuses sur les soucis prennent souvent l’apparence de pensées 'normales', mais elles s’en différencient par le fait qu’elles tournent en boucle, qu’elles sont toujours identiques et, surtout, qu’elles aggravent le stress au lieu de l’alléger". Autre indice, les ruminations s’accompagnent d’un inconfort physique : boule dans la poitrine, nœud dans l’estomac, transpiration…

    Les pensées, si on y pense, ne sont guère plus qu’un phénomène physiologique, de l’électricité qui s’agite dans nos neurones, observe David Gourion. "Mais certaines demeurent plus longtemps dans notre esprit, parce qu’elles nous semblent mériter une attention particulière. Ces pensées deviennent parfois des ruminations".  Le psychiatre propose de les classer dans une grille selon deux critères : le problème est-il grave ou n'est-t-il pas grave ? Ruminer dessus est-il utile ou inutile ? Tout ce qui ne se trouve pas dans la colonne grave et utile ne mérite pas une attention immédiate. "Remettre en cause l’utilité réelle de chacune de nos pensées est un exercice d’humilité salutaire. La prise de conscience progressive du fait que la plupart de nos pensées n’ont souvent pas de fondement rationnel, et qu’elles n’ont pas la puissance magique de changer le cours des choses ni la capacité à prédire l’avenir avec exactitude peut nous aider à soulager notre stress." 

    "Vos soucis n’ont donc pas à vous convoquer quand bon leur semble. Vous êtes le maître des lieux, et c’est désormais vous qui allez décider quand vous leur accordez audience", rappelle David Gourion. Lorsqu’un problème se présente à votre esprit fixer lui un rendez-vous d’un quart d’heure un autre jour, conseille-t-il. Ce rendez-vous doit être utile et productif, le mieux étant de prendre quelques notes : liste des soucis, solutions possibles, etc. Si vous n’avez pas terminé fixez un autre rendez-vous. Last but not least, ne vous embarrassez plus de problèmes qui n’existent pas encore. Bien des angoisses sur lesquelles nous ruminons ne se concrétisent finalement jamais.

    En Marche : En quoi les découvertes en neurosciences apportent-elles de nouveaux outils dans la gestion du stress?      

    David Gourion : L’être humain a la particularité de pouvoir penser à ses propres pensées. C’est ce qu’on appelle la métacognition. Cette approche, mise en avant grâce aux travaux d’Adrian Wells et de l’école anglaise, permet de prendre un raccourci par rapport aux approches traditionnelles. Les thérapies comportementales et cognitives classiques permettent de travailler sur le contenu des pensées anxieuses. Face à une personne qui souffre d’hypocondrie, par exemple, il s’agira de lui faire prendre conscience des fausses croyances ou des biais cognitifs qui peuvent être à l'origine de sa peur irrationnelle des maladies graves. C’est une démarche qui est très pertinente, mais qui nécessite du temps. L’approche par la métacognition propose d’observer l’organisation des pensées plutôt que de s’arrêter sur leur contenu.

    Quand on rumine, on a souvent le sentiment que c’est extrêmement important de penser à ses problèmes, que si on ne le fait pas, la situation va s’aggraver, qu’en y pensant très fort, on va peut-être les résoudre… La rumination est une forme de pensée magique. La métacognition permet de s’observer ruminer. Quand je pense à un problème avant d’aller dormir, est-ce que cela m’aide vraiment à le résoudre ? Combien de temps j’y consacre ? Comment me suis-je senti physiquement ? Différentes études démontrent que ruminer souvent et longtemps diminue les fonctions cérébrales nécessaires à la recherche et à la mise en œuvre de solutions…  En plus d’être désagréable et de ne servir à rien, la rumination nous rend moins efficaces.

    En Marche : Mais les problèmes ne disparaissent pas parce qu’on arrête d’y penser? 

    David Gourion. :  Il ne s’agit évidemment pas d’évacuer les problèmes, qui nous reviendraient aussitôt comme des boomerangs. Les stratégies d’évitement émotionnel peuvent engendrer des troubles alimentaires, des addictions… L’objectif, c’est d’apprendre à différencier la rumination de la pensée efficace, d’opérer une forme de recadrage. Imaginez qu’un stagiaire vous appelle en pleine nuit pour vous signaler que l’agrafeuse ne fonctionne pas ! Vous allez gentiment lui dire que ce n’est pas possible de s’occuper de son problème à cette heure tardive et lui donnerez rendez-vous le lendemain. Vous pouvez opérer le même recadrage avec vos pensées anxieuses. Ruminer quand vous ne pouvez pas agir n’apporte rien. Mais vous pouvez donner rendez-vous à votre problème, décider de lui donner de l'attention à un moment où vous pourrez le traiter efficacement. 

    En Marche :  Comment peut-on contrôler nos pensées anxieuses quand elles nous apparaissent? 

    David Gourion :  On ne peut pas contrôler ses pensées. Si je vous dis de ne surtout pas penser à un ours blanc, vous allez vite avoir l’image d’un ours blanc qui vous vient à l’esprit !  Mais on peut décider de l’attention qu’on leur donne. On peut s’imaginer que nos pensées anxieuses sont comme des ballons ou des nuages qu’on laisserait flotter dans un coin de la pièce. Elles sont là, mais on n’y prête pas trop d’importance. Tout le monde à des soucis. Ce que les neurosciences montrent, c’est que la différence entre les personnes anxieuses et celles qui ne le sont pas réside dans la flexibilité de l’attention. Les personnes moins anxieuses restent moins longtemps "bloquées" sur leurs problèmes. À la manière d’une gymnastique, il est possible d’entraîner cette flexibilité cognitive, cette capacité à porter son attention sur l’ici et le maintenant.

    En Marche : Le stress est-il forcément néfaste? 

    David Gourion :  Le stress n’est pas notre ennemi. Bien géré et bien dosé, il nous maintient en action. De même, la peur, la tristesse, nos émotions prétendument négatives sont là pour nous communiquer une information, nous protéger. Mais quand le stress s’installe dans la durée, il peut se transformer en maladie : troubles émotionnels, alimentaires, compulsifs, addictions, dépression, etc. Physiologiquement, le stress a un impact sur le cœur, sur le système immunitaire. Nous pouvons tous supporter un certain niveau de stress, mais pas partout et pas tout le temps. La résistance au stress varie d’un individu à l’autre, pour des raisons qui peuvent être liées à la génétique, au système hormonal, à l’éducation, aux événements vécus dans l’enfance, etc. Mais on a tous une limite.

    L'hygiène de vie, l'activité physique, la régularité du sommeil sont très bénéfiques pour lutter contre le stress. Il existe aussi de nombreux outils efficaces, comme la méditation. Chacun peut trouver une méthode qui lui convient. Un enjeu toutefois, qui a été mis en avant par les recherches en neurosciences dans le domaine des addictions, c’est la motivation au changement. Avoir la volonté ne suffit pas, la motivation se travaille et nécessite parfois un accompagnement. D'une certaine façon, on peut être attaché à son stress, à ses ruminations. Se défaire d’une mauvaise habitude acquise de longue date peut se révéler difficile. Pour garder la motivation, il importe de comparer les coûts et les bénéfices, de se rappeler ce que vous coûte cette habitude et le bien-être que vous apportera un changement.