Droits du patient
Courrier jamais ouvert, factures impayées, sueurs froides à l’idée de demander un document officiel... La "phobie administrative" est fréquente, a fortiori dans un contexte de numérisation croissante. Comment la combattre ?
Publié le: 20 décembre 2023
Par: Julie Luong
5 min
Illustration: © Adrien Herda
En 2014, le français Thomas Thévenoud, alors secrétaire d’État sous François Hollande, était incriminé par une enquête de Médiapart pour n’avoir pas déclaré ses revenus ni payé ses impôts depuis plusieurs années. Contraint de démissionner, il évoquera pour se justifier sa "phobie administrative"... et déposera ensuite l’expression en tant que "marque verbale" auprès de l’Institut national de la propriété industrielle. Son cas n’était donc pas si grave...
Depuis, le terme s’est imposé : c’est qu’il fait écho à une horreur de la paperasse très répandue dans la population. De là à parler de phobie, il y a un pas que Manuel Dupuis, psychologue coordinateur de Psychostress, centre bruxellois spécialisé dans le traitement des problèmes de stress et d’anxiété, ne franchit pas. "Il ne s’agit pas vraiment d’une phobie mais d’une caractéristique qu’on retrouve dans toute une série de problématiques, par exemple chez les personnes dépressives qui ont tendance à tout reporter car elles n’ont pas l’énergie suffisante, explique-t-il. D’autres ont tendance à surévaluer la tâche, à penser que c’est énorme alors que non..."
Dans la plupart des cas, la soi-disant "phobie administrative " ne relève que d’une tendance à la procrastination sans conséquence grave. On reporte la tâche parce qu’elle nous ennuie ou nous angoisse légèrement, mais au bout de quelques jours, nous finissons par ouvrir les lettres et traiter les e-mails que nous avions dans un premier temps mis de côté. Ce premier réflexe d’évitement peut s’expliquer par l’association que nous avons tendance à faire entre les messages provenant d’institutions officielles et les mauvaises nouvelles, comme un licenciement, un avis d’imposition et autres joyeusetés : notre cerveau se méfie de ce genre d’en-tête même si, dans la plupart des cas, le courrier ne contient rien de dramatique. Enfin, rappelons que certains ont des raisons parfaitement rationnelles de ne pas vouloir ouvrir leurs factures, parce qu’ils savent déjà qu’ils ne pourront pas les payer. Idem pour les personnes qui craignent d’être expulsées de leur domicile ou du territoire. Le problème ne relève alors pas du domaine psychologique, mais des dures inégalités qui traversent nos sociétés.
La réticence à traiter la paperasse se double aujourd’hui d’une autre problématique : la numérisation croissante des démarches administratives. Payer ses factures, changer d’adresse, faire sa déclaration fiscale, prendre un rendez-vous médical : tout se fait désormais en ligne ! Or, une part importante de la population n’est pas à l’aise avec les outils numériques. Un sentiment d’incompétence et/ou d’insécurité qui peut entraîner une véritable détresse psychologique. "Le terme de ‘phobie administrative’ a tendance à responsabiliser l’individu, à faire croire que la personne a un problème, alors qu’on peut penser que c’est le système qui rend les gens malades... ", commente Manuel Dupuis.
Sans compter que la numérisation renforce le caractère déjà très impersonnel des documents administratifs qui nous rappellent, sur le fond comme sur la forme, que nous sommes avant tout un numéro de registre national, qui doit rendre des comptes, payer son dû... et rentrer dans les cases. Dans "Érotique de l’administration" (Presses universitaires de France, 2023), le philosophe français Ghislain Deslandes invitait ainsi à réintroduire des affects dans le monde de l’administration et du management. Car ce que certains d’entre nous ressentent comme profondément désagréable voire violent dans les démarches administratives est le sentiment d’être niés en tant qu’individus sensibles...
Pour Manuel Dupuis, la tendance à ruminer sur les papiers qui s’accumulent peut aussi avoir "une fonction de défense contre d’autres angoisses plus profondes". Autrement dit, penser aux factures impayées nous évite de penser à des problèmes que nous sommes dans l’impossibilité d’affronter. Derrière la "phobie administrative", il y peut parfois aussi y avoir un refus de devenir tout à fait autonome et un désir (conscient ou inconscient) de rester dépendant de ses parents, de son conjoint, etc. Mais cette attitude peut entraîner la mise en place d’un cercle vicieux où les rappels et les frais de retards s’accumulent, jusqu’à ce que la situation devienne tout à fait critique !
Il est donc important de chercher de l’aide au plus tôt. "Parfois, quelques séances avec un psychologue suffisent déjà à aider, assure Manuel Dupuis. On essaie d’abord de voir quel est vraiment le problème. Ensuite, on peut parfois utiliser des techniques comme l’exposition et la visualisation, notamment avec l’hypnose. Il est difficile de donner des ‘trucs et astuces’ généraux car cela va dépendre du type de personnalité, de la gravité du problème... Mais on peut commencer par mettre en place des changements progressifs. Par exemple être accompagné au début pour être devant l’ordi et payer les factures, prendre l’habitude de s’en occuper une fois par semaine... Pour les personnes stressées, pourquoi pas commencer par faire du sport et s’y mettre après la séance, une fois qu’on se sent moins anxieux." Vous pouvez aussi collaborer avec un ami de confiance : si vous faites ses papiers et lui les vôtres, il y a beaucoup de chances pour que la "phobie administrative " disparaisse. Car la paperasse dont on a peur, c’est celle qui nous est adressée... "Il y a d’ailleurs des assistants sociaux ou des comptables qui ont ce problème", glisse encore Manuel Dupuis. De quoi de sentir moins complexé...
Classez vos papiers dans trois pochettes/classeurs/tiroirs distincts : à traiter dans la journée, dans la semaine et dans le mois par exemple.
Choisissez un créneau où vous avez de l’énergie et où vous n’êtes pas trop stressé.
Créez une association agréable pour votre cerveau en accompagnant ces tâches administratives de votre musique préférée, d’un bon café, de jolis stylos.
À un ami, un membre de la famille, un assistant social.
C'est une technique de gestion du temps basée sur l'usage d'un minuteur en forme de tomate (pomodoro en italien) ... ou sur celui de votre smartphone. L’idée est de respecter des périodes de 25 minutes de concentration alternant avec des pauses de 5 à 10 minutes. Particulièrement utile quand on a du mal à se focaliser sur une seule tâche et qu’on est du genre à ouvrir 10 onglets en même temps...