Droits du patient
Hystériques, fragiles, sensibles… Les stéréotypes qui rendent les femmes responsables de leur état psychologique cachent la réalité des inégalités de genre affectant leur santé mentale.
Publié le: 02 octobre 2023
Par: Sandrine Cosentino et Soraya Soussi
6 min
Photo : : ©AdobeStock
Simone Biles, gymnaste américaine professionnelle, désignée favorite des compétitions durant les Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, interrompt les épreuves pour préserver sa santé mentale. "C'est de la pure paresse." "Elle fait la diva." pouvait-on lire dans les médias. Taclée par la presse, la sportive de haut niveau a pourtant rendu publics de graves problèmes dans le milieu sportif (agressions sexuelles dont elle a été elle-même victime, dépression, pression médiatique…). Durant sa pause carrière, elle porte la lutte contre les violences sexuelles jusqu’au Congrès américain. Son annonce bouscule non seulement le monde sportif mais interroge également la façon dont la santé mentale des femmes est perçue dans la société.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la "santé mentale" comme un état de bien-être qui permet à l'individu d'affronter les stress de la vie, de pouvoir apprendre, de travailler et de participer pleinement à la vie en communauté. Et rappelle que "la santé mentale est un droit fondamental de tout être humain." Depuis 2008, la santé mentale des Belges se détériore, selon l'enquête de santé nationale de Sciensano de 2018. En Wallonie, par exemple, plus d’une personne sur trois (37,1 %) présente des signes de mal-être psychologique avec des différences notables selon le sexe : 43,6 % des femmes contre 29,8 % des hommes, démontre une étude de l'Institut wallon de la prospective et de la statistique (Iweps). Par ailleurs, l'étude de Sciensano montre que les femmes, en particulier à partir de 45 ans, sont plus nombreuses (18,8 %) à prendre des médicaments pour leur santé mentale, comme des sédatifs et des antidépresseurs, que les hommes (12 %).
Autres phénomènes alarmants et pourtant presque inexistants dans les médias : les tentatives de suicide et le taux de mortalité par suicide. La Belgique fait partie des pays qui ont un taux de mortalité par suicide des plus élevés. Elle remporte tristement la 7e position au niveau européen. Des différences à noter : "Si le taux de mortalité par suicide est plus important chez les hommes que chez les femmes, les femmes belges se portent moins bien que les femmes des autres pays européens", souligne Rébécca Cardelli, attachée de recherche en étude genre à l'Iweps. Quant aux tentatives de suicide, elles sont nettement plus nombreuses chez les femmes, comme l'indique une publication de l'Iweps. "En extrapolant les données, à l'échelle de la population belge, âgée de 15 ans ou plus, l'équipe de recherche de l’enquête de santé arrive à 52 tentatives chaque jour !", révèle la chercheuse.
La réponse est un "non" catégorique pour la psychologue Zoé Dewinter, qui reçoit ses patientes au Women's medical center à Braine l'Alleud (un centre de santé pour femmes et familles). Les explications biophysiques parfois avancées, comme la fluctuation des hormones, n’ont pour elle qu’un rôle minime : "Dans ma pratique, je ne constate pas davantage de troubles mentaux chez les femmes. En revanche, ces dernières sont plus enclines que les hommes à en parler."
Par ailleurs, les injonctions culturelles et sociales impactent davantage leur santé mentale. Lucile, 37 ans, sort d'un burn-out parental. Cette maman de deux enfants se confie : "C'est comme avouer avoir échoué dans sa parentalité. Je me suis sentie totalement seule. Les gens trouvent normal, pour une femme, de prendre soin de toute la famille, du couple, des vacances, d'être performante au travail, d'être une amie présente et disponible… Je ne pense pas qu'on demande autant aux hommes. Le pire, c'est qu'on l'a intégré en tant que femme : on doit être parfaite !" D’aucun accuseront certaines femmes de ne pas pouvoir lâche prise. "Le problème, c’est que les femmes ont tendance à s’enfermer dans un rôle que la société leur assigne depuis des générations. Elles confirment elles-mêmes les stéréotypes pour ne pas déplaire et rester dans la norme", observe Zoé Dewinter.
Pas plus fragiles mais sérieusement mises à l'épreuve donc, selon la psychologue, qui pointe les déséquilibres qui règnent encore au sein de nombreux foyers : "La charge mentale plus élevée, moins de temps pour soi, le sentiment d'isolement, la dépendance financière, etc. auront aussi tôt fait d'aboutir à un burn-out parental, une dépression chronique ou autres troubles de l’humeur." On tente de soigner les symptômes et non les causes de la maladie, avertit la psychologue.
Dépression, troubles anxieux, alimentaires… sont, dans l'imaginaire collectif, connotés au féminin. "Depuis toujours, la médecine a défini la femme comme étant un être faible, soumise aux fluctuations hormonales. La médecine, dominée par des hommes, a eu tendance à pathologiser la femme et le corps féminin", analyse Rébécca Cardelli de l'Iweps.
Plus les femmes vivent des situations violentes dans leur vie, plus leur santé mentale sera de facto affectée. À titre d’exemple, 31 % des femmes qui ont été victimes d’inceste au cours de leur vie consomment des anxiolytiques, contre 13 % chez les femmes non-victimes. Il en va de même pour les violences raciales, sexistes, grossophobes, liées au handicap… qui sont sources de stress, de dépression et de troubles en tous genres. "La définition de l'OMS sur la santé mentale suppose une responsabilité individuelle de
notre mal-être. Or, la santé mentale dépend de l'environnement socio-économique, des rapports de pouvoir au sein du foyer familial, de la répartition de la charge mentale, de la façon dont les femmes sont prises en charge dans la médecine…", insiste Rébécca Cardelli.
Dans la société civile, des structures associatives s'activent pour rendre visibles les inégalités de santé entre hommes et femmes (voir encadré). Lucile participe à un groupe de parole autour du burn-out parental. "On ne se sent plus seule, on est reconnue dans sa souffrance, on apprend à se détacher de la culpabilité et on crée des liens avec d'autres mamans." Zoé Dewinter, psychologue, encourage ces pratiques : "Ce partage d’informations entre femmes les protège de maladies ou troubles mentaux. Elles expriment, partagent, n’ont pas honte de leurs échecs ou de leurs craintes. Cela a un effet libérateur et protecteur, à condition d’être correctement entourée."
Rébécca Cardelli vise plus loin : "C'est un plan d'action national pour la santé mentale tenant compte de la dimension de genre, axé sur l’accompagnement et la prévention qui doit également être mis en oeuvre par les pouvoirs publics."
La crise du Covid et le mouvement #metoo ont mis en lumière les difficultés psychologiques que rencontrent les femmes au quotidien. Simone Biles et d’autres célébrités sportives ont fait bouger les lignes dans le milieu en choisissant de prendre soin de leur santé mentale. La société est-elle prête à saisir ce passage de flambeau pour réduire les inégalités ?
L'asbl Femmes et santé, présente en Belgique et à travers le monde, soutient une approche féministe de promotion de la santé. Elle veut agir sur les inégalités et encourage les femmes à prendre leur santé en main. Femmes et santé a créé deux réseaux autour de la santé des femmes (un en Wallonie et un à Bruxelles). Ils regroupent différentes
associations, comme Vie féminine, la Fédération des maisons médicales, Question santé, Cultures et Santé…
Ces associations travaillent sur la santé en générale, la santé mentale en faisant intégralement partie. Une bonne santé physique contribue au mieux‑être psychologique ainsi qu’à la réduction de la dépression, du stress et de l’anxiété. De même, une prise en charge de qualité des problèmes de santé physique diminue l'impact négatif sur la santé mentale.
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