Soins de santé
Grâce à ses qualités intrinsèques, le cheval peut s’avérer un partenaire thérapeutique précieux, notamment pour aider les personnes souffrant de troubles psychiques, relationnels ou comportementaux.
Publié le: 08 août 2023
Par: Candice Leblanc
8 min
Photo: © AdobeStock
Dans le film (tiré d’un roman) L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, le personnage joué par Robert Redford soigne un cheval blessé et traumatisé. En parallèle, il aide aussi la fillette amputée d’une jambe suite au même accident à trouver le chemin de la résilience. Cette relation thérapeutique triangulaire – cheval, hippothérapeute et patient – est caractéristique de l’hippothérapie. Cette approche non conventionnelle et complémentaire d’autres soins (para)médicaux utilise le cheval comme médiateur et partenaire thérapeutique. Elle a plusieurs indications neurologiques et physiques (handicap, AVC, troubles du spectre autistique, blessures nécessitant une rééducation, etc.), mais aussi psychiatriques et comportementales (1).
Si elles poursuivent grosso modo le même objectif – apporter un bien-être ou un mieux-être aux patients – il existe plusieurs types de thérapies équines. Selon Sophie, hippothérapeute et fondatrice de l’asbl Le fil d’Aria, "on peut les ranger en deux grandes orientations ou philosophies. La première utilise le cheval avant tout comme monture, comme 'outil' pour des personnes souvent porteuses d’un handicap." Cette équitation adaptée nécessite des chevaux très éduqués, calmes et expérimentés. Hors de question de mettre un enfant en situation de handicap sur un jeune étalon à peine débourré (2), par exemple ! "Dans la seconde orientation, poursuit Sophie, le cheval est rencontré pour ce qu’il est, avec sa personnalité et ses caractéristiques propres. Il peut parfois être monté en cours de séance, mais ce n’est pas le but premier. Pour ma part, je travaille avec un troupeau composé de chevaux de tous âges et de caractères différents. Car il s’agit avant tout de bénéficier de leurs qualités émotionnelles et relationnelles hors du commun."
Car les chevaux sont des êtres étonnants. Dans la nature, ils vivent en troupeau. Cette organisation grégaire est hiérarchisée, mais de façon non prédatrice ; l’objectif est d’être forts ensemble pour réagir aux potentielles menaces extérieures. Pour ce faire, les chevaux ont développé une grande intelligence relationnelle. Ils sont très sensibles aux "bulles" et aux énergies des autres. "D’ailleurs, si un cheval vous fonce dessus, la meilleure chose à faire est de vous 'grandir', en écartant les bras, par exemple ; s’il sent une réelle présence, l’animal respectera votre espace et n’essayera pas de l’envahir, explique l’hippothérapeute. C’est d’ailleurs l’un des intérêts de l’hippothérapie sur les enfants et adolescents victimes de harcèlement scolaire : en les mettant au milieu du troupeau et en observant comment ils s’y prennent pour prendre leur place (ou pas), on peut se figurer comment ils réagissent dans une cour de récréation… Et, ainsi, leur donner des clés pour mieux se protéger." L’hippothérapie peut ainsi aider à développer son langage non verbal, à poser ses limites tout en reconnaissant et respectant celles de l’autre. Des "compétences" que le cheval possède naturellement.
Contrairement aux humains qui tergiversent et se laissent facilement distraire, le cheval est toujours dans le moment présent. S’il éprouve un besoin ou une envie (manger, boire, uriner), il l’assouvit sans se poser de question ! Il est aussi très attentif à son environnement : au moindre inconfort, il s’ajuste aussitôt. L’hippothérapie s’avère donc pertinente pour les personnes atteintes de troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité. "Si le cavalier n’est pas à ce qu’il fait, le cheval ou le poney va où bon lui semble… y compris dans la direction opposée !, met en garde Sophie. Ce qui motive les personnes présentant des troubles attentionnels à rester concentrées, car si elles ne le sont pas, la conséquence est immédiate."
Conscientiser et rester attentif à ses besoins est un enseignement précieux pour celles et ceux qui n’en ont pas l’habitude. Sophie reçoit d’ailleurs de plus en plus de demandes émanant de personnes en burn-out. "S’écouter, reconnaitre ce dont son corps ou son esprit a besoin et s’autoriser à ralentir sont autant de 'leçons' que le cheval peut nous enseigner."
Cette présence permanente à lui-même permet au cheval de gérer ses émotions de façon très saine. "Dès que quelque chose le dérange, il réagit immédiatement. Si un autre cheval s’approche trop près de lui, soit il défend son espace, soit il cède la place si son congénère est au-dessus de lui dans la hiérarchie du troupeau. S’il a peur, il fuit. S’il est en colère, il le manifeste. Et dès que le problème est réglé ou l’inconfort écarté, il passe à autre chose." Résultat : exprimées et évacuées tout de suite, ses émotions ne s’enkystent pas en lui et n’affectent pas outre mesure son tempérament et ses humeurs. Ce qui pour nous, humains, est une autre leçon de vie. "L’hippothérapie peut d’ailleurs être salutaire pour les jeunes qui présentent des problèmes comportementaux ou des troubles de l’attachement, poursuit l’hippothérapeute. Les chevaux sont généralement très patients avec les enfants. Même si ces derniers 'testent' le lien avec leur monture : soit celle-ci leur tient tête, soit l’animal se détourne d’eux… provisoirement. Car, à moins de maltraitances répétées, le cheval reviendra vers eux ou les accueillera à nouveau. Ce qui rassure les jeunes qui retrouvent là un lien affectif stable et sécurisant."
Rester attentif ne signifie pas tout contrôler. S’il accepte d’interagir avec l’humain, en revanche, le cheval tend à fuir la pression. Cet animal reste imprévisible, ce qui peut déstabiliser les personnes qui sont dans l’hypercontrôle. Mieux vaut d’ailleurs éviter d’avoir des attentes précises à son égard, car il risque de se tenir à distance. "C’est quand on le rejoint dans l’instant présent, sans masque, sans attente, que la 'magie' opère ! explique Sophie. Récemment, j’ai eu un patient qui s’éparpillait dans mille et un projets, mais qui ne parvenait à en mener aucun à terme. Je lui demande d’amener un cheval sur la piste et voilà qu’il choisit précisément la jument qui n’aime pas être sortie du troupeau ! Bien sûr, il n’arrive pas à la faire bouger. Je lui propose alors de faire une pause et de repenser à un projet qu’il est parvenu à concrétiser et dont il est fier. Il se connecte à ce souvenir, se détend et… la jument s’est mise à le suivre."
Évidemment, l’hippothérapie n’est pas la panacée ni ne saurait se substituer à une prise en charge (para)médicale adéquate. Certes, un nombre croissant de professionnels de la santé (kiné, ergothérapeutes, logopèdes, psychologues, etc.) se forment en hippothérapie qui devient alors une approche supplémentaire dans leur boite à outils thérapeutiques. Dans tous les cas, "chaque hippothérapeute doit pouvoir évaluer en conscience ce qu’il peut faire ou pas, estime Sophie. Personnellement, j’interroge toujours les personnes qui me sollicitent sur le ou les suivis dont elles bénéficient par ailleurs. Pour les personnes en burn-out par exemple, il me parait essentiel que les gens voient un médecin ou un psychologue spécialisé, car je ne suis ni l’un ni l’autre. Il est aussi important de savoir si la personne prend certains médicaments (antidépresseurs, anxiolytiques, etc.), car cela peut interférer dans le travail avec les chevaux." Qui, décidément, sentent bien des choses !
(1) En Belgique, l’hippothérapie n’est pas remboursée. Les tarifs varient d’un hippothérapeute à l’autre. Comptez minimum une cinquantaine d’euros la séance.
(2) Débourrer un cheval signifie lui apprendre à être monté.
L’équitation est connue pour améliorer la posture, l’équilibre, la détente et le tonus musculaire. Autant de bénéfices qui sont également exploités dans l’hippothérapie proprement dite, notamment avec les personnes présentant des troubles neurologiques ou physiques. Par exemple, des chercheurs ont passé en revue une série d’études scientifiques concernant les enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale, un ensemble de troubles locomoteurs, dus à des lésions cérébrales survenues aux alentours de la naissance. Il en ressort que l’hippothérapie améliore notablement leurs fonctions motrices, la coordination, la souplesse musculaire, la posture, etc. Des bénéfices similaires sont observés chez les personnes âgées : l’analyse des données disponibles fait état de gains en termes d’équilibre, de force et de qualité de vie ainsi qu’au niveau physiologique ; l’hippothérapie influencerait positivement l’activité hormonale, cérébrale et musculaire.