Santé mentale

Le virtuel à l’assaut des phobies

Peur de l’avion, de l’eau, des araignées ou de la foule ? Aujourd’hui, les casques de réalité virtuelle fournissent un outil supplémentaire pour lutter contre les phobies grâce à un phénomène d’habituation progressive. Une manière de vaincre le mal par le mal... en toute sécurité.

Publié le: 22 mars 2022

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Julie Luong

5 min

femme ayant un casque virtuel

Photo: © AdobeStock

Traiter le mal par le mal ? Le principe est utilisé depuis longtemps en psychothérapie, notamment pour vaincre les phobies en exposant les patients, de manière accompagnée et progressive, à leurs plus grandes peurs. Avec pour objectif un déconditionnement puisque les phobies résultent ni plus ni moins d’un apprentissage. Pour des raisons complexes, notre cerveau a "appris" à se méfier de quelque chose, mais de manière disproportionnée. Le service de psychiatrie du CHU Brugmann est aujoud’hui l’un des rares à proposer, depuis un peu plus d’un an, des thérapies d’exposition à la réalité virtuelle, qui permettent aux patients de se confronter à la situation redoutée grâce à une immersion visuelle et auditive, comme dans un jeu vidéo 3D. "Pour des raisons logistiques, certaines expositions in vivo sont difficiles à réaliser. C’est le cas avec la peur de l’avion par exemple", indique Juliette Debeaud, psychiatre au CHU Brugmann. "Ce matin, je suis allée dans le métro avec une patiente qui a peur de la foule, mais même ça, c’est difficile à mettre en place car il faut le faire pendant le temps de la consultation. Et ça ne permet pas de s’appuyer vraiment sur l’habituation, c’est-à-dire sur des expositions répétées. En ce sens, la réalité virtuelle facilite les choses", raconte-t-elle. Pour les patients, il s’agit aussi d’une étape intermédiaire qui peut les sécuriser quand la situation réelle est trop confrontante, avec le risque de générer des crises d’angoisse.

Renforcements positifs

Irrationnelles par définition, les phobies mobilisent une région du cerveau bien précise, l’amygdale, siège de la peur et des signaux d’alerte liés à la survie. Ainsi, les troubles phobiques constitueraient un résidu des instincts de protection de l’espèce. "Certaines phobies ont une origine bien précise et identifiée : ainsi, des personnes qui sont restées coincées très longtemps dans un ascenseur vont parfois développer une claustrophobie. Il y a d’autres phobies dont l’origine est moins évidente. Mais certaines, comme celles des araignées et des serpents, s’expliquent d’un point de vue évolutionniste : ce sont des animaux potentiellement mortels." En raison de pré-dispositions génétiques et de l’histoire de vie, ces réflexes protecteurs peuvent prendre des proportions invalidantes chez certaines personnes. Heureusement, rien n’est jamais définitif. "L’anxiété fluctue au cours de la vie. C’est souvent par phases, en lien avec des périodes plus difficiles comme une rupture, un décès, un stress professionnel ou familial. Et généralement, plus on vieillit, moins on est anxieux", rassure Juliette Debeaud.

Si le nombre de séances nécessaire à une amélioration est variable, la plupart des patients voient leurs phobies diminuer au bout de quelques mois."Les dernières méta-analyses montrent une très bonne efficacité des thérapies d’exposition à la réalité virtuelle, malgré certains inconvénients liés à la 'cybersickness' : la réalité virtuelle peut parfois provoquer un genre de mal des transports, mais généralement, il suffit de diminuer la rapidité des mouvements pour que ça passe." Par ailleurs, ces thérapies, comme les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) en général, sont parfois accusées de créer un "déplacement du symptôme" : certes, elles pourraient vous permettre d’oser prendre l’avion, mais votre anxiété se manifestera autrement tant que vous ne serez pas remonté aux origines du problème...

"Le déplacement du symptôme est une vieille critique de la psychanalyse, commente Juliette Debeaud. Ce qui est vrai, c’est que le maintien d’un trouble anxieux est lié à un renforcement positif, en ce sens qu’un agoraphobe qui reste chez lui va éprouver un soulagement à court terme, malgré le fait qu’il aurait aimé aller au restaurant. À force, les renforcements positifs peuvent être tellement importants que la personne reste là-dedans. Dans certains cas, le trouble anxieux permet aussi à la personne de ne pas travailler, d’avoir l’attention de sa famille et si ces 'bénéfices secondaires' sont importants pour elle, il est évident que la thérapie ne va pas marcher." C’est pourquoi toute approche cognitivo-comportementale se base sur une "balance décision nelle". "Quels sont les avantages et les inconvénients du comportement actuel ? Et si on change de comportement ? Au début, il y a toujours une phase d’ambivalence chez le patient jusqu’à ce qu’il prenne conscience des avantages qu’il y aurait à changer." Bien sûr, le soutien du thérapeute est essentiel pour permettre au patient de retrouver confiance en sa capacité à progresser alors qu’il a choisi de se confronter volontairement à ce qu’il craint le plus au monde ! Et pour que cette peur, parfois honteuse, ne lui dicte plus sa conduite.