Santé mentale

Mieux se comprendre grâce à ses rêves

Longtemps reléguée au domaine des superstitions et des élucubrations en tous genres, l’interprétation des rêves est aujourd’hui prise au sérieux par la plupart des psychothérapeutes. Les rêves seraient-ils des outils de connaissance de soi ? Beaucoup le pensent. Et les interprètent dans ce sens.     

Publié le: 16 décembre 2024

Mis à jour le: 06 janvier 2025

Par: Candice Leblanc

8 min

Une femme dans son lit se rappelle son rêve de la nuit

Illustration : Depuis toujours, l’être humain cherche à donner du sens aux phénomènes naturels. Les rêves ne font pas exception.

Pourquoi rêvons-nous ? Malgré des siècles de recherches et de théories en tous genres, il n’y a pas de consensus scientifique autour de cette question. Une chose est sure : tout le monde en fait, y compris celles et ceux qui ne s’en souviennent pas. On sait aussi qu’un déficit de sommeil paradoxal – la phase durant laquelle nous rêvons le plus – induit de l’anxiété. Rêver pourrait donc être une façon de réguler le stress sous toutes ses formes, voire de "nettoyer" le cerveau. La plupart des neuroscientifiques pensent d’ailleurs que rêver est aussi essentiel à notre survie que dormir, boire et manger. 

Mais qu’en est-il de la signification de nos rêves ? En ont-ils seulement une ? S’il est impossible de répondre avec certitude à cette question, c’est parce qu’il est très difficile d’étudier le contenu onirique en tant qu’objet scientifique. Certes, certains appareils d’imagerie et de mesure permettent de visualiser l’activité électrique de notre cerveau pendant que nous rêvons. Mais aucune technique ne permet de "voir" les rêves et, par conséquent, de les étudier objectivement. Le seul accès que nous ayons est le récit (forcément partial et partiel) que nous en faisons au réveil. 

Déchets ou trésors ?

D’aucuns pensent que les images et sensations générées pendant notre sommeil ne sont que des "déchets" de l’activité cérébrale, sans queue ni tête, qui ne veulent rien dire. Beaucoup croient le contraire. Et pour cause : depuis toujours, l’être humain cherche à donner du sens aux phénomènes naturels. Les rêves ne font pas exception. Nombre de scientifiques, de philosophes et de figures religieuses se sont penchés sur le sujet. Mais ceux qui, au XXe siècle, ont le plus investigué et théorisé la signification des rêves, ce sont les pères de la psychanalyse. Sigmund Freud, Carl Jung et Alfred Adler y voient tous trois "la voie royale vers l’inconscient", explique Lily Jattiot, psychanalyste, autrice et conférencière. Les rêves servent à laisser être librement notre ombre, part inconnue et active de nous-mêmes, qui, dans le cadre onirique, s’accorde une liberté totale." Car tout est possible dans les rêves ! Il n’y a pas de limites ni de tabous. Certes, tout ne peut pas être signifiant : de nombreux rêves ne sont sans doute que des réminiscences, plus ou moins déformées, de ce que nous avons vécu durant la journée. D’ailleurs, même les personnes qui se souviennent très bien de leurs aventures oniriques n’en retiennent qu’une (petite) partie au réveil. Mais certains rêves nous frappent et nous interpellent, surtout lorsqu’ils se répètent. Selon Jung – dont la théorie sur les rêves a fait des émules au-delà de la psychanalyse et est désormais utilisée, d’une manière ou d’une autre, par la plupart des psychothérapeutes – analyser nos rêves peut nous en apprendre (beaucoup) sur nous-mêmes.

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femme nue couchée dans l'eau

Souvent, le rêve opère à travers des symboles et des métaphores.

© Léa Chassagne

Présent et symboles

Car, pour les tenants de cette théorie, "certains rêves nous disent quelque chose que nous ne savons pas, que nous n’avons pas encore compris et/ou que nous refusons encore d’admettre", estime Lily Jattiot. "Surtout s’ils sont récurrents, si certaines images, symboles ou scénarios reviennent régulièrement. C’est le Soi, c’est-à-dire la part en nous qui cherche à s’accomplir au mieux, qui nous parle depuis l’inconscient et essaye de nous dire quelque chose." Par exemple, si nous rêvons que nous sommes pris au piège, enfermés, emprisonnés ou même enterrés vivants, il y a probablement quelque chose (un travail, une habitude, etc.) ou quelqu’un (un conjoint, un parent, etc.) dans notre vie qui draine notre vitalité, nous retient ou nous aliène. "Même s’il peut puiser dans le passé et les souvenirs ou se nourrir de nos craintes concernant l’avenir, le Soi parle toujours de notre présent, de quelque chose d’irrésolu ou de dysfonctionnel qui nous affecte, ici et maintenant", poursuit la psychanalyste. 

Encore faut-il interpréter correctement ses rêves ! C’est là que ça se corse. Il existe toute une littérature sur le sujet, plus ou moins pertinente. Il faut se méfier des interprétations toutes faites et univoques. Car, d’une part, le rêve est rarement littéral : bien souvent, il opère à travers des symboles et des métaphores. Ainsi, selon la psychanalyse jungienne, rêver de la mort n’est pas le présage d’un vrai décès, mais plutôt le signe que quelque chose dans notre vie (une relation, un comportement, etc.) se termine ou doit évoluer. De même, quand nous rêvons de quelqu’un, nous ne rêvons pas de cette personne en tant que telle, mais plutôt de ce qu’elle symbolise ou évoque en nous : une qualité à laquelle nous aspirons ou, au contraire, un défaut qui fait écho à nos propres travers. 

Du langage universel au "patois" personnel

D’autre part, il y a au moins trois "filtres" à travers lesquels nos scénarios oniriques doivent être passés. Le premier est universel. "Jung parle d’inconscient collectif, c’est-à-dire ce qui, dans l’ombre, serait commun à toute l’humanité, explique Lily Jattiot. Outre le Soi, il y a tout ce qui relève du maternel/féminin et du paternel/masculin (au sens large), des instincts, des pulsions, etc." De tout temps et en tout lieu, rêver d’être poursuivi par une bête féroce active une peur très "animale"… et évoque peut-être le fait que nous cherchons à échapper à quelque chose ou quelqu’un ressenti comme menaçant dans notre vie éveillée.  

Deuxième filtre : notre contexte culturel et historique, qui influence notre perception des choses. Le rat, par exemple, n’a pas la même signification partout. En Europe, ce petit rongeur est associé à la nuisance, aux maladies, aux épidémies. Alors qu’en Chine, le rat est symbole de sagesse et de prospérité. Dans le même ordre d’idées, au Moyen-Âge, personne ne rêvait d’extraterrestres !  

Troisième filtre d’interprétation : l’individu. "Tous les symboles et images dont nous rêvons doivent être analysés à l’aune de ce qu’ils évoquent pour nous. Chaque individu possède son propre alphabet, son 'patois' onirique personnel, forgé par son vécu, ses peurs, ses gouts et dégouts, ses croyances, etc." Si je rêve de chiens et que je les adore dans la vie réelle, ce n’est pas la même chose que si j’en ai peur ! 

Pour les psychothérapeutes qui travaillent avec les rêves, les émotions éprouvées pendant le rêve et au réveil sont d’ailleurs centrales, car elles sont autant de pistes pour bien comprendre les images qui nous ont traversées. "L’interprétation des rêves est avant tout un travail émotionnel, estime la psychanalyste. Rien ne sert d’en faire d’emblée une analyse purement intellectuelle : si une hypothèse ne nous touche pas, si une explication ne nous 'parle' pas, c’est que nous faisons fausse route !"   

Cauchemars et traumas

D’aucuns craignent de s’attarder sur leurs rêves ou ne veulent pas s’en souvenir, par peur de ce qu’ils peuvent réveiller ou remuer. Les personnes qui ont vécu des traumatismes, notamment. C’est compréhensible : le syndrome de stress posttraumatique peut se manifester, entre autres, par des cauchemars… Or, rien n’arrête ce genre de rêves, car ils alertent sur quelque chose qui nous fait encore souffrir aujourd’hui… et que le Soi cherche à résoudre, d’une manière ou d’une autre. Le seul moyen de les "exorciser", c’est de les affronter, "mais pas tout seul ! On n’est pas trop de deux pour approcher un trauma. Il faut avoir un bon psychothérapeute, quelqu’un qui est dans l’extrême douceur et le respect total de nos limites afin de pouvoir approcher, pas à pas, sans forcer, ce qui peut nous apparaitre de prime abord comme insoutenable." Car les psychanalystes l’affirment : le rêve est notre allié, pas notre ennemi. Il s’adapte à ce que le conscient peut supporter, ni plus ni moins. Surtout, il cherche à nous aider. "Le Soi profond qui s’exprime à travers le rêve ne se contente pas de dénoncer ce qui ne va pas dans notre vie ; il cherche et propose des réponses, des remèdes, des solutions auxquelles nous ne pensons pas de prime abord." De fait, une fois le rêve décodé, la façon de résoudre notre problème apparait souvent de façon assez radicale : affronter le passé, renoncer à une mauvaise habitude, s’éloigner d’un environnement toxique, quitter ce job qui nous "bouffe" ou ce conjoint qui nous violente… Bref, dire "non" à ce qui menace notre sécurité ou fait obstacle à notre bonheur. À cet égard, les rêves sont souvent de bon conseil.