Soins de santé
Après 15 mois de pandémie, de plus en plus de personnes, jeunes et moins jeunes, souffrent d'anxiété et d'insomnies. La consommation d'anxiolytiques et de somnifères a suivi la même tendance. Un constat alarmant quand on connaît les risques que pose ce type de médicaments.
Publié le: 06 février 2021
Par: Julien Marteleur
8 min
Photo: © iStock
Perte d'un proche, isolement, télétravail excessif, soucis financiers, perte d'emploi… La crise sanitaire a fait des ravages sur le plan psychologique. HealthOne, éditeur belge de logiciels pour la gestion de dossiers médicaux et paramédicaux, s’est penché sur l’évolution du nombre et du type de diagnostics posés par 300 médecins généralistes au cours de la période 2019-2020 (1). Résultat : les symptômes d’anxiété ont augmenté de 14%, tandis qu’une hausse de 7% des insomnies a été relevée. Les conclusions préliminaires de la 5e enquête de santé Covid-19 menée à l'initiative de l'Institut de santé publique - Sciensano – montrent, quant à elles - que la proportion de personnes utilisant des benzodiazépines comme les anxiolytiques ou les somnifères est plus élevée (18,2%) qu'en 2018 (12,7%). Parmi ces personnes, plus de quatre sur dix déclarent avoir commencé ou augmenté cette consommation depuis le début de la crise sanitaire. "Notre existence a rapidement changé, analyse le Pr Alain Luts, psychiatre aux Cliniques universitaires Saint-Luc et responsable de la Clinique des troubles anxieux (CTA). Notre vie sociale a été interrompue, les salles de spectacle et de sport ont fermé leurs portes… Les personnes souffrant de phobies sociales ou d'agoraphobie ont sans doute accueilli le confinement avec soulagement, mais pour beaucoup de gens, voir du monde, se divertir et se dépenser physiquement représentent un garde-fou face au stress et à l'anxiété." Une anxiété sans doute accrue par l'ambiance mortifère dont le confinement a longtemps été synonyme : "Subitement, on nous a annoncé que ce virus pouvait tuer à tout instant. Cette angoisse de la mort, si existentielle, la société occidentale l'a toujours considérée comme taboue. Or ici, elle nous a envoyée crûment en pleine figure", souligne le psychiatre.
Personne n'est étranger à l'anxiété : c'est une réaction normale, qui met le corps dans une sorte d’état d’alerte et le prépare à se défendre contre les menaces potentielles. Mais parfois, les situations banales du quotidien déclenchent des réactions anxieuses d'une telle intensité qu’elles empêchent de fonctionner normalement et occasionnent une vraie souffrance mentale. La personne transpire, est prise de tremblements, a l'impression d'étouffer ou de faire un infarctus… La cause de ces crises d'angoisse n'est pas tout à fait claire : certaines personnes semblent plus fragiles que d’autres et les études familiales indiquent également une sensibilité "héréditaire". Certains composés chimiques présents dans le cerveau (les neurotransmetteurs) pourraient jouer un rôle dans la prédisposition à l’anxiété ou à la panique. Les expériences du passé et les réactions acquises, notamment par l’éducation, déterminent également en partie la manière dont on gère son anxiété.
Lorsque ce type de réaction dure plusieurs mois, on parle alors de trouble anxieux (voir encadré). "Lorsque le problème est trop invalidant, on peut l'aborder sous deux axes principaux : la psychothérapie et la pharmacothérapie, souligne Alain Luts. La psychothérapie est efficace et ses effets sont durables, mais elle a l'inconvénient de prendre du temps." La pharmacothérapie (l'utilisation thérapeutique de médicaments), via la prescription de benzodiazépines - comme le Xanax® ou le Valium® par exemple - peut soulager quasi instantanément le patient anxieux, mais leur administration doit faire l'objet d'une vigilance accrue, tant du côté du prescripteur que de l'utilisateur. "Leur prise doit rester très occasionnelle car ces médicaments induisent une forte dépendance, tant psychique que physique. Un patient qui en prend régulièrement deviendra dépendant en trois à quatre semaines. Si, au bout de plusieurs mois de prises régulières, il arrête brutalement la consommation, les mêmes symptômes de manque que ceux rencontrés lors d'un sevrage alcoolique se feront ressentir. Cela peut mener à des crises d'épilepsie voire, dans le pire des cas, à la mort."
Avant même la dépendance, les benzodiazépines occasionnent également de nombreux effets secondaires : somnolence, diminution des réflexes et des fonctions cognitives, altération de la mémoire à court terme, libido en berne… Ces effets indésirables sont encore plus fréquents et sévères chez les personnes âgées et peuvent accentuer une démence possible. L'autre danger de ce type de médicaments, c'est leur conditionnement, autrement dit le nombre de comprimés que l'on trouve dans une boîte. En Belgique, les benzodiazépines indiqués contre l'insomnie sont disponibles à 30 unités maximum par boîte ; 60 unités pour les ceux indiqués contre l'anxiété. "Si vous avez peur de prendre l'avion et que vous vous rendez chez votre médecin avant votre vol, il est possible qu'il vous prescrive un anxiolytique. Le problème, c'est que vous allez ensuite vous retrouver avec une boîte entière chez vous ! On ne délivre pas de prise unique chez nous, au contraire du Royaume-Uni par exemple où le médecin prescrit à l'unité près ce dont le patient a besoin. Ce qui évite non seulement le gaspillage, mais aussi les tentations", regrette le Pr Luts.
Dans sa note de vision globale (2), BelPEP, la plateforme gouvernementale pluridisciplinaire visant à favoriser un usage adéquat des médicaments psychoactifs (dont les somnifères et calmants), le rappelle : pour les symptômes d’anxiété, "les benzodiazépines sont seulement un troisième choix. Pour la plupart des formes, une approche non médicamenteuse est indiquée."
Pour "prévenir" l'anxiété, la meilleure piste est d'adopter une bonne hygiène de vie. "Tout d'abord, il est essentiel de dormir suffisamment et d'adopter un rythme de sommeil régulier, conseille Alain Luts. Le manque de sommeil est le meilleur allié de l'anxiété. Ensuite, il faut éliminer ou à tout le moins limiter la consommation de ‘toxiques’ : café, boissons énergisantes, tabac, alcool…" Enfin, l’exercice physique est excellent pour lutter contre l'anxiété. "Pratiquer une activité physique à raison de trois fois par semaine, plutôt d'endurance, est salutaire. À la Clinique des troubles anxieux, on apprend aussi aux patients à mieux respirer, via des séances de kiné respiratoire."
(1) "Bilan médical auprès des généralistes après 15 mois de pandémie", PeopleSphere.be, mai 2021.
(2) "Note de vision globale et plan d'action des 3 groupes de travail", Belgian Psychotropics Experts Platform (BelPEP), décembre 2014.
Les troubles anxieux font partie des troubles psychiques les plus fréquents et apparaissent généralement entre l’âge de 15 et 30 ans. Sur 1.000 personnes qui consultent le médecin généraliste en Belgique, 1,72 souffre d'un trouble anxieux. Il est deux fois plus fréquent chez les femmes et se décline en différents types :
Source : Infosanté, une initiative du Centre belge pour l’evidence-based medicine. Un guide-patient très complet sur la problématique est disponible ici.
Ils diminuent l’angoisse et les manifestations de l’anxiété. Les plus prescrits appartiennent à la famille des benzodiazépines. Cependant, leur durée de prescription doit être limitée car les experts s’accordent à dire que ces principes actifs sont inefficaces dans la prise en charge de l’anxiété chronique. Ils peuvent cependant aider à passer le cap d’un événement stressant ou malheureux : deuil, licenciement, divorce… Ils ne sont pas remboursés par la sécurité sociale.
Ils servent à provoquer et/ou maintenir le sommeil. Beaucoup sont aussi des benzodiazépines ou des molécules apparentées. Là aussi, leur prescription est limitée dans le temps car ces principes actifs sont inefficaces dans la prise en charge de l’insomnie chronique. Ils peuvent être utiles en cas de troubles du sommeil transitoires dont la cause est identifiée : avant un examen, un entretien d’embauche, ou une intervention chirurgicale, ou pour surmonter un décalage horaire. Ils ne sont pas remboursés par la sécurité sociale.
Comme leur nom l’indique, ils sont destinés à traiter les dépressions. La famille des "inhibiteurs de la recapture de la sérotonine", dernière génération d’antidépresseurs, comble le déficit en sérotonine dans le cerveau, un neurotransmetteur qui joue un rôle-clef dans l’humeur. Ils sont également prescrits pour des troubles anxieux : attaques de panique, anxiété généralisée, troubles obsessionnels, phobies sociales…