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De nombreux hôpitaux belges se sont lancés dans des processus d’accréditation. Ces labels de qualité modifient, voire révolutionnent la façon dont les soins sont organisés, pensés, administrés. Un plus pour la patientèle ? À voir…
Publié le: 30 mai 2023
Par: Candice Leblanc
9 min
Photo: © AdobeStock - L’accréditation est un processus long et complexe.
À Monsieur et Madame Tout-le-Monde, le concept ne dit sans doute rien, mais dans le milieu hospitalier belge, l’accréditation est sur toutes les lèvres. Ce programme d’évaluation externe permet de certifier qu’une institution répond à des normes de qualité élevées et s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue des soins. Si c’est le cas, l’hôpital en question se voit "accrédité" par l’un des deux grands organismes accréditeurs nord-américains : l’Accréditation Canada International (ACI), très prisée par les hôpitaux francophones, et l’états-unienne Joint Commission International (JCI). Depuis quelques années, un nombre croissant d’hôpitaux, des plus petits au plus grands, aussi bien au nord qu’au sud du pays, se sont lancés dans l’aventure de l’accréditation.
Et ce n’est pas une mince affaire, loin de là ! L’accréditation est un processus long et complexe. L’ACI, par exemple, évalue environ 2.000 critères. Tout y passe : l’hygiène des mains, les processus de stérilisation, le circuit des médicaments au sein de l’hôpital, la check-list préopératoire (tous les examens et contrôles nécessaires effectués avant une opération), la vérification de l’identité des patients (dite "identitovigilance"), la gestion des risques de chutes, d’escarres, de thrombose veineuse ou encore de dénutrition durant l’hospitalisation. Il y a aussi l’information et le respect des droits des patients, la sécurisation et l’échange des données médicales – cruciale quand vous êtes transféré d’un service ou d’un hôpital à un autre, la formation continue du personnel, la prévention des violences, la traçabilité du matériel biomédical (les pompes à perfusion, les bonbonnes d’oxygène, etc.), le management des équipes, la bonne gouvernance de l’hôpital, etc. Autant de pratiques et de protocoles qui sont analysés, commentés et évalués par les organismes accréditeurs.
Pour ce faire, leurs experts procèdent à une série de visites : pendant plusieurs jours, ils se rendent dans tous les services et unités d’un hôpital, interrogent des membres du personnel (aussi bien soignant que technique, logistique, administratif, de maintenance, etc.), mais aussi des patients. Un rapport détaillé est ensuite remis à la direction, qui souligne les points forts et, surtout, les points à améliorer.
Pour une première accréditation, ces visites – souvent au nombre de trois – sont espacées de plusieurs mois afin de permettre aux équipes de s’améliorer sur l’un ou l’autre point (1). Objectif : rencontrer les critères de qualité et de sécurité de l’accréditation afin, bien sûr, de l’obtenir. Dans cette optique, des groupes de travail composés de membres du personnel sont mis sur pied et élaborent ou complètent des procédures. Une fois établies et validées, ces procédures sont encodées dans les systèmes informatiques et distillées auprès du personnel qui, bien sûr, doit les appliquer.
"La culture de l’accréditation est une culture de l’écrit, explique Grégoire Lefebvre, directeur général du Centre hospitalier de Mouscron, premier hôpital belge à s’être lancée dans l’aventure de l’accréditation, en 2014, et le premier établissement européen à avoir obtenu le plus haut degré d’excellence de l’ACI, en 2023 (2). Pour ma part, j’en suis un grand partisan. Notre secteur a évolué. Autrefois le personnel soignant passait la moitié de sa vie à l’hôpital et y faisait une carrière complète. Aujourd’hui, il y a davantage de temps partiels, de pauses-carrière, de crédits-temps, de départs, d’arrivées… Dans un tel contexte, se transmettre oralement les informations et les bonnes pratiques n’est plus possible ni même souhaitable. Pour assurer la continuité et la qualité des soins, il faut des modus operandi homogènes et des rapports écrits auxquels chaque membre du personnel puisse se référer."
L’accréditation a aussi le mérite de mettre tout le monde à niveau. Car plus il y a d’hôpitaux accrédités en Belgique, plus les autres se sentent obligés de suivre. Ce qui n’est pas plus mal dans le cadre des réseaux hospitaliers locorégionaux. Cette réforme voulue par l'ancienne ministre fédérale de la santé, Maggie De Block, a contraint tous les hôpitaux du royaume à s’organiser en réseaux et, donc, à travailler ensemble (3). "Ce n’est pas toujours facile d’accorder les violons, estime Grégoire Lefebvre. Les pratiques et la culture hospitalière varient d’un établissement à l’autre. Dans ce cadre, l’accréditation peut contribuer à les standardiser et nous aider à regarder dans la même direction. "
Bien sûr, nos hôpitaux n’ont pas attendu l’accréditation pour prêter attention à la qualité et la sécurité des soins ! Comme le rappelle Saadia Lasri, adjointe à la direction médicale et cheffe du service Qualité, sécurité et gestion des risques du CHU de Liège, "nous sommes déjà soumis à des législations, à des inspections régulières des autorités sanitaires et à des critères stricts pour obtenir ou renouveler certains agréments." L’hôpital liégeois avait lui aussi entamé une procédure avec la JCI. Une première visite était prévue début 2020… puis le Covid est arrivé. Tous les hôpitaux ont mis sur pause leur projet d’accréditation pour gérer au mieux la pandémie.
De l’avis général, cette crise a été une précieuse source d’enseignements. "Honnêtement, sur certains points, on se demandait parfois où l’accréditation voulait en venir ! avoue Grégoire Lefebvre. Avec le Covid, on a compris !" Son confrère François Burhin, directeur général du groupe hospitalier EpiCURA, ne dit pas autre chose : "Le Covid nous a permis d’être plus rigoureux et d’avancer sur de nombreux points, comme l’hygiène (des mains), les trajets de soins ou encore les chiffres. La pandémie nous a contraints à travailler avec des tableaux de bord, ce dont nous n’avions pas l’habitude. Or, la qualité prônée par l’accréditation est basée sur une culture écrite des mesures : on y score tous les paramètres. "
Saadia Lasri
Mais là où la plupart des hôpitaux ont repris leurs travaux dès que possible – tant pour des raisons contractuelles que pour remobiliser le personnel autour d’un projet commun – le CHU de Liège a décidé de suspendre le processus. "Outre le fait que nos équipes étaient épuisées, nous avons fait le constat que les patients ne savent pas ce qu’est une accréditation… et qu’ils ne s’en soucient guère ! estime Saadia Lasri. Ce qui compte pour eux, c’est d’avoir des soins qualitatifs et un hôpital adapté à leurs besoins. L’accréditation est un moyen d’y parvenir – et nous n’excluons pas d’y revenir un jour – mais ce n’est pas le seul !"
Sur le terrain, certains membres du personnel soignant s’agacent aussi de ce qu’ils estiment être une charge administrative supplémentaire au quotidien. Le temps passé à cocher des cases, remplir des formulaires ou encoder des paramètres dans les dossiers informatisés se ferait au détriment du temps passé au chevet du patient. D’aucuns pointent également des différences culturelles entre l’Amérique du Nord – d’où sont issus les deux organismes accréditeurs – et l’Europe, notamment dans l’implication du patient. En effet, dans ces référentiels anglosaxons, plus la patientèle est impliquée, plus vous avez de chance d’obtenir un niveau d’accréditation élevé.
La notion de "patient partenaire/expert" est centrale dans la philosophie de soins prônée par les organismes accréditeurs. Elle comporte deux dimensions :
Le patient partenaire et cogestionnaire de l’hôpital : il s’agit de mettre sur pied des comités de patients qui participent activement aux réflexions et à l’organisation des soins. Ils peuvent même intégrer le conseil d’administration de l’hôpital.
Le patient partenaire de ses soins : fini le temps de la médecine paternaliste et de la patientèle passive ! Aujourd’hui, le personnel soignant accorde de plus en plus de temps au dialogue et à l’éducation thérapeutique. Objectif : responsabiliser le patient et le rendre acteur et actrice de sa santé. Pour ce faire, tout commence par une question : "Qu’est-ce qui est important pour vous ?" Car l’objectif thérapeutique du médecin ne correspond pas toujours à ce qui compte vraiment pour la personne soignée…
Saadia Lasri
Un exemple (véridique) : il y a quelques années, au CHMouscron, une patiente souffrait d’un cancer. Son troisième traitement ne donnait pas les résultats escomptés. Pendant que les médecins discutaient des options thérapeutiques, cette dame n’avait qu’une idée en tête : pouvoir assister, debout, au mariage de sa petite-fille, deux semaines plus tard. "Une fois informée, l’équipe a adapté la stratégie thérapeutique et s’est mobilisée pour l’aider à atteindre cet objectif ", explique Grégoire Lefebvre. L’oncologue, les kinés, le personnel infirmier… tout le monde s’y est mis ! Même les volontaires qui réalisent les soins esthétiques au pôle cancérologie ont pomponné cette patiente… qui a pu se rendre au mariage et en profiter !" Il ne s’agit pas de laisser les patients tout décider seuls ni de les culpabiliser, précise le directeur. La responsabilité et la connaissance médicale restent les prérogatives du médecin. Mais tenir compte du vécu des gens, être à leur écoute, bien leur expliquer les choses leur permet d’être partie prenante de leur(s) traitements(s) et de leur santé en général. " Ce qui, de facto, améliore la qualité des soins, enjeu central de l’accréditation.
(1) Une fois la première accréditation obtenue, l’organisme accréditeur procède à une visite tous les 3 ans.
(2) L’ACI délivre trois niveaux d’accréditation : l’or, le platine et le diamant, le degré d’excellence le plus élevé.
(3) Organiser les hôpitaux d’une région en réseau visait notamment à rationaliser les centres d’expertise, mutualiser certaines ressources et, à terme, mieux répartir les financements.