Soins de santé
La santé est sacrée. Quand les soins ne sont pas assurés comme on le voudrait - il le faudrait-, il arrive qu’on s'en prenne au personnel soignant, la première ligne de notre mal-être. Comment rompre le cercle de la violence dans un contexte où les conditions de travail se dégradent ?
Publié le: 19 septembre 2023
Par: Soraya Soussi
5 min
Illustration: © Daniel Cadre
"Si vous ne me donnez pas cette prescription, je vous attaque en justice !""Ce n'est pas une négresse comme toi qui va me dire si je dois me laver !""Vous êtes bien roulée pour votre âge…" Ces propos, des milliers de soignants et soignantes y sont confrontées au quotidien.
En 2022, 77 agressions ont été recensées via le formulaire en ligne de l'Ordre des médecins. Cette année, le recensement des agressions a déjà atteint 71 cas en quinze semaines... (1) Au total, 434 notifications de faits d'agression ont été enregistrées entre 2016 (année de création du formulaire) et février 2023. D’autres chiffres révélateurs d’une montée des agressions ressortent dans une étude belge à large échelle (3.726 médecins): 84,4 % des participants ont répondu avoir été victime d’une agression ou de violence dans le cadre de la relation médecin-patient : "77.2 % pour la violence verbale, 41.7 % pour la violence psychique, 24.2 % pour la violence physique et 10.1 % pour la violence sexuelle." (2) Sans compter les 190 procès-verbaux pour coups et blessures à l'encontre de membres du personnel médical enregistrés par la police fédérale (3).
La plateforme "Médecins en difficulté" (4) soutient et accompagne les médecins qui rencontrent des problèmes psycho-sociaux sur leur lieu de travail et pouvant influencer les soins qu'ils dispensent. En 2022, elle enregistrait 250 appels de détresse, soit 100 de plus que les années précédentes (3).
À côté des violences verbales et physiques, de nombreux témoignages pointent aussi des violences psychologiques, structurelles et institutionnelles. Le temps où les soignants étaient applaudis et célébrés aux fenêtres semble loin.
Sur le terrain, lors de soins à domicile, à l’hôpital ou dans les cabinets privés, les soignants se heurtent à une forme grandissante d’impatience. "Aujourd'hui, on voudrait être soignés comme si on commandait un produit sur internet. Cela doit être fait de suite, relève Gaëtan Mestag, infirmier à domicile et membre fondateur du syndicat des infirmières et aide-soignantes Union4U, créé il y a deux ans. Nous sommes en première ligne de leurs soucis de santé. S'ils sont insatisfaits, c'est nous, les soignants, qui nous prenons tout à la figure." Le Pr Christian Mélot, vice-président de l'Ordre des médecins, confirme ce sentiment : "Ce n'est plus un patient, mais un impatient ", écrit-il dans le Journal du médecin.
Camille, Julie (prénom d'emprunt) et Marie (prénom d'emprunt) sont ou ont été infirmières. Elles dénoncent, quant à elles, des violences liées au genre. "Je suis bien consciente que le fait d'être une femme menue d’1m65 n'impressionne pas. Quand un patient s'en prend à moi, je suis obligée d'appeler un collègue ou un vigile", confie Marie, infirmière urgentiste. Camille, qui est aujourd'hui enseignante en secondaire pour des futures aides-soignantes et puéricultrices, va plus loin : "Il y a une hiérarchie des victimes. On s'en prend d'abord aux stagiaires, ensuite aux aides-soignantes, aux infirmières et aux médecins. Et plus on descend dans les hiérarchies médicales, plus il y a de femmes."
Une infirmière s'occupe en moyenne de 9,4 patients, pointait une enquête du KCE menée en 2020. Sur base des études menées à l’échelle internationale, les chercheurs s’accordent pour dire que la sécurité des patients est compromise lorsqu'on dépasse le cadre de 8 patients pour une infirmière. Depuis l’enquête du KCE, la création du Fonds Blouses blanches a permis la création de 5.000 emplois dans le secteur des soins. Mais sur le terrain, les effectifs manquent encore (5).
Que ce soit à domicile, à l'hôpital, en maison médicale ou de repos, dans un centre de santé mentale, etc., la pénurie crée un environnement propice à l'agressivité. Exemple emblématique : les urgences. Avec peu d'effectifs et un service à assurer 24h/24, la tension monte rapidement tant du côté des soignants, fatigués et surchargés, que du côté des patients et de leurs proches, pressés et ignorantsdes conditions de travail du personnel. "Les gens peuvent être résilients pour de nombreuses situations dans la vie, mais pas quand il s’agit de leur santé", observe Gaëtan Mestag, d'Union4U.
S’installe alors un véritable cercle vicieux où la pénurie engendre la violence et la violence, la pénurie. "On voudrait prendre soin des gens mais on ne nous donne pas les moyens financiers et humains de le faire. Pire : on devient maltraitant malgré nous", interpelle Adèle, kinésithérapeute dans une maison médicale à Liège et membre du collectif la Santé en lutte.
Certains services et hôpitaux mettent à disposition de leur personnel un suivi psychologique, des espaces de parole et d'écoute. D'autres proposent des ateliers de bien-être, de méditation, de relaxation et de yoga. Des formations de communication et de gestion de la violence sont également proposées au personnel afin de désamorcer les situations tendues. Certains hôpitaux optent plutôt pour des dispositifs de sécurité, installent des vitres blindées, des caméras de surveillance, engagent des vigiles d'agences privées. En 2022, le Code pénal a été réformé pour renforcer les sanctions concernant les agressions envers une personne avec une fonction sociale. Les agresseurs encourraient une peine de trois à cinq ans, au lieu de deux mois à quatre ans comme précédemment prévus dans la loi (6).
Si certains de ces dispositifs sont utiles et plutôt bien accueillis par le personnel, pour d'autres, ils sont jugés superficiels. "Il faut soigner nos soignants", martèle le syndicat Union4U, et s’attaquer aux problèmes de fond : renforcer les effectifs, améliorer les conditions de travail, rendre les professions médicales attractives pour les jeunes... Certains services, en nombre suffisant d'effectifs, parviennent, par exemple, à mettre en place des tournantes pour assurer un meilleur équilibre entre charge de travail et repos. Julie, qui a travaillé 8 ans en oncologie, confirme : "Nous étions suffisamment nombreux dans le service, ce qui permettait de prendre le temps de soigner correctement, d'écouter, d'échanger, de créer du lien. Bref, tout ce qui est au cœur de notre métier."