Santé

Tabac : pour arrêter, tous les moyens sont bons

Hypnose, acupuncture, groupes de parole, patchs : il n'existe pas de recette miracle pour arrêter de fumer. La personnalité, les expériences de la vie, les tentatives avortées… sont autant de ressources pour identifier la meilleure méthode de sevrage.  

Publié le: 17 avril 2025

Mis à jour le: 17 avril 2025

Par: Julien Marteleur

9 min

un homme en train de fumer se mord les doigts

Photo: (c)AdobeStock // Il existe autant de méthodes pour arrêter de fumer que de fumeurs qui souhaitent mettre un terme à leur addiction...

J'ai fumé pendant 25 ans. Et aujourd'hui, cela fait un an que j'ai enfin arrêté … pour la quatrième fois ! Je ne suis pas seul dans mon cas : ils sont tout autour de nous, ces Sisyphe des temps modernes. Ces amis, collègues ou tontons fumeurs qui poussent péniblement la pierre de leur addiction sur la montagne du sevrage , et qui, au moment d'apercevoir le sommet, voient tous leurs efforts dévaler la pente pour revenir au point de départ. À part une poignée de "happy few", la majorité des fumeurs replongeront plusieurs fois la tête la première dans la tabatière, tantôt avec  soulagement, tantôt avec dégoût ou résignation… "Mais ces essais et erreurs sont autant de portes d'entrée vers un sevrage taillé 'sur mesure'", explique la psychologue Anna Argento, également tabacologue et coordinatrice chez Tabacstop

Derrière la fumée, la souffrance

Pour Anna Argento, il existe autant de méthodes pour arrêter de fumer que de fumeurs qui souhaitent tirer un trait sur leur addiction ! Un point commun cependant : derrière la fumée se cache un être qui souffre. "Quand la nicotine, qui est l'agent addictif du tabac, arrive au cerveau, elle crée un 'shoot' de dopamine, l'hormone du bonheur. L'expérience 'crée' du plaisir, détaille Anna Argento. Quand la dépendance est installée, le cerveau va continuellement rechercher cette sensation. Privez-le de son 'shoot', et c'est la frustration, l'angoisse qui débarque…" La société les considère différemment, mais le fumeur qui va courir en pyjama à 7h du matin à la librairie du coin pour acheter son paquet, est atteint du même mal qui ronge le toxicomane qui erre dans les rues pour trouver son produit…

Tolérances croisées

Qu'on s'allume une pipe ou un cigare, qu'on tire sur une puff ou une Marlboro, on joue avec le même feu : la nicotine est une drogue, elle est d'ailleurs classée comme le troisième produit le plus addictif, derrière la cocaïne et l'héroïne. Et la cigarette s'associe particulièrement bien avec l'alcool, ce qui peut créer des "tolérances croisées" qui vont mutuellement se renforcer, révèle Anna Argento. "Les deux induisent dans un premier temps des sensations de détente, de relaxation. Quand on inhale de la fumée, on prend  une grande inspiration, ce qui calme momentanément le système nerveux. C'est un leurre, bien sûr." Mais ce sont précisément ces courts instants de plaisir que le cerveau va retenir, créant un biais dit "attentionnel", qui va pousser le fumeur à reproduire l'expérience. "Et ce faisant, va désactiver complètement le biais dit 'de réflexion', qui devrait permettre de résister à l'appel de la nicotine."

Ressources humaines

Comme toute "bonne" drogue, la nicotine réduit ses consommateurs à l'esclavage et étouffe toute velléité de résistance. Pour briser le joug de la dépendance, Anna Argento en est convaincue : la clé se trouve d’abord en soi. "C'est ce que proposent des méthodes comme l'hypnothérapie ou les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) : au travers d'un entretien motivationnel, on va d'abord établir un bilan des ressources 'humaines' du patient. Quel est son passif avec la cigarette ? Combien de fois a-t-il tenté d'arrêter ? Qu'est-ce qui déclenche l'envie ou, à l'inverse, le motive à s'arrêter ?" Pour certaines, ce sera un désir d'enfant. Pour d'autres, l'argent dépensé ou la volée d'escaliers qui fait frôler l'apoplexie… "On va placer la personne au centre de ses ressources. On ne va pas la moraliser et l’infantiliser, mais au contraire, lui rendre son autonomie." 
Autre élément thérapeutique important : le stade de la "contemplation", dans lequel la personne dépendante "visualise" un quotidien sans cigarette : s'agit-il d'un futur attrayant, ou la vision s'accompagne-t-elle de crainte et d'appréhension ? "Cette étape est nécessaire dans le processus de sevrage. Elle permet de rassembler assez de courage pour se lancer : car il en faut, pour dire adieu à son addiction !"

Aiguilles, chewing-gum et auto-suggestion

Une fois le courage rassemblé et les ressources identifiées, c'est le moment de passer à l'action. Pour la psychologue et tabacologue Anna Argento, tous les moyens sont bons pour s'arrêter de fumer. "Le sevrage tabagique est bien souvent multidisciplinaire : la consultation avec un tabacologue ou un psy pourra s'accompagner d'une séance d'hypnose, par exemple. Durant celle-ci, on va inciter le cerveau à rompre le lien avec le produit addictif, en orientant son attention vers les ressources internes — désir d’enfant, santé, finances… — plutôt que vers l’idée de plaisir, détaille la spécialiste qui est également hypnothérapeute. Dans les moments de stress intense, on se tournera vers des substituts nicotiniques comme les gommes à mâcher ou les sprays, dont l'action est plus immédiate que celle d'un patch par exemple… Si on le souhaite, on pourra effectuer des séances d'acupuncture en soutien complémentaire (l'acupuncture étant considérée comme une médecine douce non-'evidence-based') pour se détendre… Et pourquoi pas discuter des étapes de son sevrage avec d'autres anciens fumeurs dans un groupe de parole ?" Surmédicaliser à tout prix n'est souvent pas la solution : "Pour traiter efficacement l'addiction, il faut aussi laisser la place à l'humain et à sa complexité. Il s'agit avant tout d'un cheminement personnel, où l'on apprend aussi ce qui est juste pour soi ou pas…"

Se pardonner…

Parfois, malgré tout ce qui est mis en place, le maintien du sevrage reste trop difficile. C'est la rechute… Qui peut s'accompagner de douloureux sentiments d'échec et de découragement. "Le fumeur peut alors penser qu'il n'était pas prêt ou qu'il manque de volonté, que ce n'était peut-être pas le bon moment… Mais battre sa coulpe ne sert à rien : la rechute fait partie du chemin, et on apprend toujours de ses erreurs."

… Et choyer son ex

J'ai soufflé la première bougie de mon sevrage au tabac avec soulagement et fierté. Mais je sais aussi que la prochaine clope m'attend en embuscade, tapie dans l'ombre, prête à me sauter dessus au moindre moment de faiblesse. Fumer, m'a rappelé la tabacologue Anna Argento, est un besoin "superficiel" : contrairement aux besoins "primaires" (respirer, manger, dormir…), on n'en a pas besoin pour vivre. Cela n'efface en rien le fait que l'addiction à la nicotine est réelle, complexe et terriblement puissante. En attendant, je soigne aux petits oignons l'ex-fumeur que je suis devenu. C'est avec lui que je veux continuer ma route…