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Des femmes sans logement ou mal logées ont trouvé un lieu de sécurité et d'émancipation après avoir essuyé de multiples violences : Circé, le premier et seul centre d'accueil de jour pour femmes, à Bruxelles et créé par l'asbl L'Ilot, a soufflé sa première bougie. Reportage.
Publié le: 21 novembre 2024
Par: Soraya Soussi
5 min
Photo : © Marie Thion - Ancienne femme sans abri, Cindy exerce la fonction de pair-aidante depuis la création de Circé.
Sur le Parvis de Saint-Gilles, une voix attire l'attention. Devant la maison d'accueil de jour Circé dont la porte imposante en fer forgé est coincée entre une friterie et un bar, une femme en interpelle une autre. Elles parlent fort, rient aux éclats, fument ensemble. À l'intérieur, des collages et des pancartes aux slogans féministes arborent les murs. Circé, la sorcière de la mythologie grecque, a donné son nom à ce "centre communautaire inclusif révolutionnaire et créateur d'émancipation féminine". Un véritable refuge pour les femmes ou personnes se considérant comme femme, sans logement ou en situation de grande précarité. C'est le premier et le seul dans son genre à Bruxelles où elles peuvent cultiver l'estime de soi et se reconstruire après avoir subi de multiples violences.
Un escalier mène au sous-sol où se trouvent les douches, la laverie et la "boutique" de vêtements. Ici, les femmes accèdent librement aux commodités et disposent de produits de toilette, de maquillage, de vêtements, de serviettes hygiéniques, etc. Lola, travailleuse sociale du centre précise : "On ne surveille pas ce que prennent les femmes. On les laisse choisir ! C'est très important car on promeut l'autonomie. Contrairement à certaines structures qui distribuent tout cela, nous les laissons gérer. C'est une relation de confiance qu'on a instaurée avec elles et ça marche", se félicite-t-elle.
Lorsque Circé a été pensé, des expertes du vécu (des femmes sans-abri ou très précarisées) et des professionnelles des secteurs du sans-abrisme, des assuétudes et des droits des femmes ont mis en place, ensemble, un programme d'émancipation. Une série d'activités pensées par et pour les futures usagères ont été proposées. Exemple : des ateliers d'art-thérapie pour regagner en estime de soi. "Pour pouvoir reprendre sa vie en main, il faut croire qu'elle en vaut la peine, insiste Lola. Notre boulot est de les accompagner sur ce chemin." La plupart des activités sont organisées à la demande des usagères, ce qui rend Circé encore différent d’autres centres d'accueil. "Elles nous font part de leurs envies, des activités qu'elles souhaitent faire et nous les écoutons. Nous avons, par exemple, organisé une journée à la mer." Se sentir vivante à nouveau, créer des liens, être accompagnée permet cette reconstruction de l'estime de soi.
Lisette Lombé, poétesse et marraine de Circé anime de temps à autre des ateliers d'écriture et de slam. Un autre moyen de poser des mots sur ses maux. Vient ensuite le moment de les proclamer à haute voix. Parfois une participante n'ose pas. Elle est alors encouragée par ses paires et c'est en chœur que les femmes clament avec puissance : "Je ne suis pas seule. J'ai confiance en moi !" L'émotion et la sororité sont alors palpables dans la salle.
Lola, travailleuse sociale chez Circé
La précarité ne cesse de gonfler les rangs de la population vivant en rue ou n'ayant pas de "chez soi", c'est-à-dire sans logement à soi mais ne vivant pas à la rue pour autant. À Bruxelles, on dénombre 7.134 personnes sans logement en 2022 (1). Et en Wallonie, elles sont près de 19.000. Selon les chiffres officiels (2), les femmes représentent près de 21 % des personnes qui vivent en rue. Mais pour Ariane Dierickx, directrice de L'Ilot, ce pourcentage est totalement sous-estimé pours raisons : de nombreuses femmes dorment dans leur voiture, chez des amis, des connaissances… Souvent, "en échange d'un repas chaud, d'une douche et d'un lit, on 'accepte' des rapports sexuels avec celui qui nous héberge", confie une usagère. Certaines marchent toute la nuit pour ne pas risquer de se faire violer ou voler. Parce que l'espace public est dangereux, elles se rendent invisibles.
Isabelle, la cinquantaine, fait partie des femmes "expertes du vécu", à l'origine de Circé. Son histoire est édifiante et représentative de la situation des femmes qui passent par Circé. "Pendant 6 ans, j'ai vécu dans un buisson du Jardin Botanique. C'était ma maison. J'ai pris de la drogue pour supporter la vie en rue et les violences que j'ai subies de la part de mon ex-mari, souffle-t-elle la gorge serrée. On n'a pas accès à des toilettes, se soigner est quasiment impossible. Aujourd'hui, je dépends la mutuelle car j'ai développé une maladie cardiaque très grave. La rue m'a rendue malade."
Ces situations de violence sont systémiques, structurelles et spécifiques aux femmes, dénonce Lola, travailleuse de Circé. Pour ces raisons, les structures d'accueil classiques, non équipées et formées à ces questions, ne sont pas adaptées. Malgré tout, les femmes n'ont souvent pas d'autres choix que de s'y rendre.
14h. L'équipe se mobilise, téléphone en main et au taquet pour tenter de trouver une place au Samu pour la nuit à quelques femmes. "Je n'ai pas de téléphone, commente Sarah, usagère régulière du Circé Et demander aux passants de me prêter le leur pour rester parfois 20 minutes en attente n'est pas possible".,. Le centre offre un service d'accompagnement psycho-social. L'équipe soutient les femmes dans leurs démarches administratives ou les oriente vers des structures adaptées à leurs besoins.
L'émancipation des femmes passe aussi par la lutte pour leurs droits ! Les usagères se mobilisent lors des manifestations féministes (8 mars, 25 novembre contre les violences faites aux femmes…), anti-racistes, etc. Le jeudi 7 novembre, c'est pour les travailleuses qu'elles ont battu le pavé lors de la manifestation du secteur non-marchand. "Les conditions de travail sont de plus en plus difficiles dans le secteur du social et des soins, déplore Lola. Nous ne sommes pas épargnées à Circé et les premières qui en subissent les conséquences, ce sont les usagères."
Pour l'instant, l'équipe se bat pour assurer un accompagnement essentiel aux femmes. Depuis sa création en septembre 2023, Circé a ouvert ses portes à près de 200 femmes sans abri sur les 1.500 que compte Bruxelles, selon les estimations. Isabelle qui est sortie de la drogue il y a un an et vit dans son propre appartement depuis un mois soutient les équipes et le projet car, c'est aussi grâce à ces travailleuses qu'elle a pu reprendre soin d'elle. Aujourd'hui, elle "rend" ce qu'elle a reçu en étant volontaire pour une association d'aide et de soutien aux personnes sans abri.