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On les croise lors des manifestations pour le climat, contre les violences faites aux femmes, pour la justice sociale... Les chorales militantes résonnent dans l'espace public et portent les voix de celles et ceux qu’on n’entend pas.
Publié le: 15 décembre 2022
Par: Soraya Soussi
6 min
Photographie: © CNCD 11.11.11
"Una matina (un matin), mi sono svegliato (je me suis réveillé), O bella ciao (O ma belle au revoir), bella ciao, bella ciao, ciao, ciao..." Ce chant de révolte des résistants italiens contre les troupes allemandes de la Seconde Guerre mondiale (1944) a été repris partout dans le monde, lors de manifestations et symbolise aujourd’hui la lutte contre l'envahisseur ou l'oppresseur. De nombreux militants écologistes, féministes et d'autres luttes socio-politiques, se sont emparés de ce type d'hymne révolutionnaire, neuf ou ancien, sous forme de chorale pour faire entendre leurs voix et leurs combats.
"Le chant est un médium de protestation et son usage pour la cause politique est très ancien. Les premiers chants révolutionnaires marquants l'Histoire datent du 18e siècle en Europe, comme la Marseillaise après la Révolution française", rappelle Benoit Rihoux, professeur de sciences politiques à l'UCLouvain, spécialisé dans les nouveaux mouvements sociaux en Europe. Les révoltes ou révolutions nationales, les mouvements de grève ouvriers, les manifestations sociales qui surviennent durant les siècles suivants font également naître pléthore de chants et hymnes engagés : Le temps des cerises (1867 : les révoltes de la commune de Paris), Le chant des Canuts (1894 : des ouvriers tisserands de Lyon), Ni dieu, ni maître (1965 : un chant anarchiste de Léo Ferré), Saigon Bride (1967 : une chanson contre la guerre au Vietnam de Joan Baez),etc. "À l'époque, ces chants étaient représentés par une figure de proue, porteuse d'un combat révolutionnaire. Au Chili (1973 – 1990) ou en Grèce (1967 – 1974), durant la période de la dictature militaire, ce sont des chanteurs ou des poètes qui incarnaient la lutte."
Mais le chant a également été utilisé par les pouvoirs en place, à des fins de propagande. "Les chœurs de l'Armée rouge dans le régime soviétique, par exemple, servaient à personnifier la puissance de l'empire. Tous les régimes communistes ont utilisé ce medium", relate le professeur. Au fil des époques, les luttes sociétales sont reprises par les nouvelles générations qui mettent au goût du jour les chants révolutionnaires d'antan. Dans les années 2000, les chorales militantes composées de bénévoles s'approprient l'espace public et sont développées comme outil de communication par des associations et organisations de la société civile pour transmettre un message engagé (antiracisme, droits des personnes migrantes, climat, féminisme...).
Toutes les chorales militantes ne ressemblent pas. Si elles ont comme point commun de chanter des textes engagés, elles ne s'organisent pas de la même façon. En 2015, une manifestation est organisée dans les rues de la capitale pour renforcer la protection sociale. Le CNCD 11.11.11 organise sur place une chorale éphémère, la "Buena Vida Social Band" (BVSB), pour sensibiliser le public sur un sujet a priori "peu attractif". L'idée séduit. Depuis, d’autres chorales ont vu le jour au CNCD comme la "Mili-chœur" dans le Brabant wallon ou "LalaLiège" à Liège. Cette année, une nouvelle chorale se lance à Namur. "Chaque chorale du CNCD a sa propre manière de fonctionner, précise Léa Gros, responsable de la chorale bruxelloise. Elles n'ont pas toutes un chef de chœur, par exemple et les choristes bénévoles ne se voient pas à la même fréquence. Ce qui compte, c'est de chanter autour de valeurs communes et partagées par l’organisation."
D'autres chorales sont formées par de plus petits collectifs et fonctionnent en auto-gestion. Depuis 2018, le Réseau Ades, centre communautaire qui promeut une société plus juste socialement et rejette toute forme d'exploitation et de domination, milite également à travers la musique et le chant. Composé essentiellement de jeunes, le groupe a mis en place un système d'organisation inclusif. Il ne faut ni savoir chanter, ni forcément militer, mais avoir l'envie de partager des valeurs en lien avec celles du Réseau, précise Merlin, cofondateur de la chorale Ades. "Tout le monde peut organiser une chorale, les nouveaux venus compris (qui sont alors accompagnés par les anciens). C'est un système de roulement en collectivité qui permet aussi de maintenir les énergies."
Si les chorales séduisent, elles n'en restent pas moins relativement homogènes, avouent la plupart des choristes interrogés. Il s'a git généralement d'un public engagé, déjà sensibilisé aux causes, aisé socialement, avec un niveau d'éducation élevé et "blanc". Et qui s’adresse, majoritairement, à un public tout aussi militant. "Il faudrait sans doute chanter dans des lieux qui brassent des publics plus divers", confie Léa Gros. S'il reste des améliorations à apporter en termes de sensibilisation et d’accessibilité, les choristes bénévoles se félicitent de changements notoires. "Quand les luttes sont au cœur de l'actualité comme le féminisme ou le climat, le public présent aux répétitions est plus diversifié et nombreux. Il y a un besoin de faire quelque chose de concret et chanter le permet, tout en vivant un moment de solidarité fort, observe Merlin. Pour des militants, la chorale permet de souffler tout en restant engagé. Pour d’autres, elle sert de porte d'entrée vers un engagement plus important. Les choristes entendent qu'il y a une action sur unethématique qui les touche, ils y vontet c'est parti."
Outils de transmission, les chorales favorisent également les liens au sein des collectifs militants. "Militer peut être intense et éreintant. Se rassembler, échanger, dans une ambiance conviviale et chanter des chants puissants est très ressourçant. On se voit deux fois par mois, ça crée des liens d'amitié", confirme Lisa, artiste militante et choriste de la chorale militante du Réseau Ades. Au sein même du réseau, il existe divers"fronts" qui mènent différents combats (justice climatique, féminisme, solidarité avec les migrants, etc.). La chorale permet de soutenir les différentes actions des autres fronts. Cela crée des ponts entre nous."
À l'occasion de la Marche pour le climat, le CNCD 11.11.11 a lancé un appel national pour fédérer toutes les chorales militantes de Belgique en une seule. Le projet, la "Rue des chorales", a rassemblé une douzaine de chorales, soit une centaine de personnes venues chanter en chœur un répertoire commun de textes engagés sur une thématique. "Les chorales permettent de rencontrer d'autres personnes, de continuer les luttes de façon ludique, renchérit Léa Gros du CNCD 11.11.11. Le chant unit les voix et crée un sentiment de solidarité autour de valeurs communes. On se sent moins seul dans les combats que l'on mène au quotidien. C'est une forme de militance joyeuse qui donne du souffle dans une époque parfois anxiogène."
À (ré)écouter : une playlist (non-exhaustive) de chansons engagées à retrouver sur Youtube
2.Combien de temps encore - GETCH, Rise for Climate
3.All you fascist bound to lose – Rihannon Giddens
7.Vivir Quintana, Cancion sin miedo
8.Barayé – Shervin (soutien au soulèvement iranien 2022)
Envie de rejoindre et essayer une chorale militante ? Voici les adresses des chorales mentionnées dans cet article :
Bruxelles : Buena Vida Social Band • 02 250 12 60 • [email protected]
Liège : LalaLiège • 04 290 57 00 • [email protected]
Louvain-La-Neuve : Les Mili-chœurs • 02 250 12 43 • [email protected]
Namur : "Chorale du CNCD de Namur" • 081 39 17 10 • [email protected]
Plus d'infos : cncd.be/chorale
Bruxelles : [email protected] • ou rejoindre le groupe "Chorale militante ADES" sur Facebook