Consommation
Pour garder une trace sonore des lieux importants pour les habitants d'un quartier, l'asbl Urbanisa'son propose des balades sonores. Une alternative aux promenades historiques et touristiques classiques, ancrée dans une démarche humaine de rencontres et de transmission.
Publié le: 13 janvier 2022
Par: Sandrine Cosentino
4 min
Photographie: ©Urbanisa'son
"Tournez à gauche, place Quetelet, et arrêtez-vous devant le numéro 2. Vous êtes devant mon endroit de coeur !" Mariama Camara a quitté la Guinée en septembre 2016. Elle évoque le Refuge à Saint-Josse-Ten-Noode où elle et son petit-fils ont passé plusieurs années avant d'être régularisés. La balade "Ici et là-bas, un peu de moi" est un voyage à travers les récits de vie de personnes issues de l'immigration. Perna, originaire de Syrie, se rappelle du jardin de sa maison à Homs, ornée de fleurs et d'arbres fruitiers : oliviers, citronniers, cerisiers… Elle aime la nature et se rend régulièrement au Square Marie-Louise pour observer la faune et la flore. C'est aussi l'occasion d'écouter les raisons qui poussent les riverains à venir se ressourcer autour du plan d'eau. Entre deux points d'arrêt, le promeneur est tantôt invité à enlever son casque et à "écouter les bruits de la ville au présent", tantôt à écouter une histoire en marchant.
"L'idée de base des balades sonores est de garder une trace sonore, une mémoire des lieux et de comment ils résonnent pour les habitants", révèle Céline Wayntraub, cofondatrice de l'asbl Urbanisa'son. La première balade sonore (réalisée en 2007 dans le cadre du mémoire de fin d'études d'Émilie Bergilez, cofondatrice) dans le quartier Malibran, près de la place Flagey, donne la parole aux riverains qui, depuis 2003, subissent de lourds travaux. "Depuis ses premiers enregistrements, plusieurs lieux importants pour les personnes ont disparu, se souvient Céline Wayntraub. Comme le petit parc rue de la Digue où les enfants jouaient au foot."
Un homme, qui connait le quartier depuis sa naissance, évoque le Maelbeek, ruisseau qui prend sa source à Ixelles et traverse trois communes avant de se jeter dans la Senne (cours d'eau vouté depuis la seconde moitié du 19e siècle). "La rue et les environs sont construits sur des marécages, ce qui inondait régulièrement les caves. Depuis les dernières inondations de 1978, de gros travaux ont été réalisés au niveau des égouts et des bassins d'orages." Ces aménagements ont considérablement changé la vie du quartier.
Au numéro 108 de la même rue, le jardin collectif Gray démontre que même en milieu urbain, il est possible de préserver la biodiversité avec un potager, des arbres fruitiers, un compost, un muret aux plantes aromatiques, une mare. Larbi est un citadin sans jardin, mais aimant mettre ses mains dans la terre. "Dans un jardin collectif, il n'y a pas de parcelle privée. Les gens se rencontrent, se transmettent des savoir-faire en matière de jardinage et se partagent la récolte."
Depuis 2018, l'asbl travaille le son avec des adultes issus de l'immigration. "On collabore avec des asbl qui donnent des cours de français langue étrangère ou qui accueillent des primo-arrivants, détaille Céline Wayntraub. Le groupe va apprendre, pendant les ateliers, à utiliser les enregistreurs et les micros. On va partir de leurs histoires, leurs besoins et leurs envies pour aller à la découverte du quartier qu'ils connaissent, soit parce qu'ils y habitent, soit parce qu'ils le fréquentent."
Un objectif social soutient cette démarche : "Nous voulons permettre aux individus à qui on ne donne pas souvent la parole de s'exprimer et d'être entendus. Nous espérons une rencontre auditive avec des personnes qui ont des réalités différentes pour qu'elles se comprennent mieux."
Les balades sonores peuvent aussi être l’occasion d’explorer une thématique, comme dans le podcast "Écoute l'histoire de mon logement". À travers les rues d'Anderlecht et de la ville de Bruxelles, on y rencontre deux associations : le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat et le Community Land Trust Bruxelles, qui proposent des modèles solidaires de logement abordables pour répondre à des enjeux sociétaux tels que le vieillissement de la population, le besoin de soins médicaux ou les situations précaires. Une participante confie : "À la prochaine réunion du Community Land Trust, ils vont exposer les nouveaux projets de logements. Maintenant, je peux rêver qu’un jour je deviendrai propriétaire." Le promeneur est aussi invité à partager quelques minutes du quotidien des habitants de la Savonnerie Heymans, un "village" durable de 42 logements pour des personnes ayant un revenu moyen, initié dans le cadre d'un projet de quartier.
Deux balades sonores ont également été réalisées à Charleroi : "Sur les traces d’Ysabeau Lebarte", accusée de sorcellerie, et "Charliequeen/Balade des héroïnes." D'autres projets, dans d'autres lieux, sont en cours de réalisation.