Culture

Nom d'un prénom

Certains le portent comme un cadeau, d'autres comme un fardeau. Notre prénom nous colle à la peau, de la naissance à la mort. Enfin… pas tout le temps ni partout ! Le prénom est considéré comme une composante de la personnalité. Derrière cet élément identitaire se cachent alors bien plus que quelques lettres.

Publié le: 01 juin 2021

Mis à jour le: 17 septembre 2024

Par: Sandrine Cosentino

7 min

Photo d'un ventre de femme enceinte avec des post-it collés dessus sur lesquels sont écrits des prénoms

Photographie: ©iStock

Comment allez-vous l’appeler ? L'enfant n'est pas encore né que c’est l'une des premières questions posées par l’entourage aux futurs parents. Tenu secret par les uns (pour garder la surprise, par superstition, par peur du jugement…), révélé comme une évidence par les autres, le prénom peut susciter de vifs débats au sein des familles. En témoigne la truculente pièce de théâtre Le prénom d'Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, adaptée au cinéma en 2012.  

Au cours d’une vie, nous sommes interpellés des millions de fois grâce à ce mot, nous reconnaissons sa musicalité depuis l'enfance et nous l'utilisons à de nombreuses reprises sur de simples courriers, des documents officiels, des cartes de vœux…  

Exister 

"Prénommer est un acte de désir et de devoir, accompli par les parents au regard de la société pour le bien-être de leur enfant. Acte de désir parce qu'il émerge du plus intime d'un homme et d'une femme, il est de l'ordre du don. Acte de devoir parce qu'il est exigé par la loi, il donne ainsi à l'enfant le droit de vivre et de mourir”, écrit la sage-femme Anne-Sophie Simonet dans un article intitulé De l'intime à l'extime. 

En quelque sorte, sans avoir été nommé, l'être n'existe pas. C'est en tout cas ce qu'illustre le conte du Monstre mangeur de prénoms (voir encadré). Jonathan veut comprendre pourquoi le méchant monstre dévore toutes les syllabes des prénoms des enfants. La réponse du monstre est désarmante de simplicité : parce que lui n'en a pas !  

Que dire alors lorsque le prénom d'une personne est effacé ? Un acte fort, terriblement destructeur. Dans l'ouvrage Le tour du monde des prénoms (voir encadré), on découvre ainsi que "les Égyptiens condamnaient certains criminels à ne plus avoir le droit de porter un nom, […] le coupable n'était pas tué physiquement mais symboliquement." 

Touche pas à mon prénom ! 

Prononcer ou écrire un prénom correctement est parfois primordial pour se sentir reconnu par l'autre. Déformer un prénom peut aussi engendrer des réactions émotionnelles et impulsives. Dans le livre Comment je m'appelle de Dominique Costermans (voir encadré), le témoignage de Carol illustre l'importance d'écrire le mot juste : "Cela m'agace profondément lorsque je reçois une réponse à un courriel, que mon prénom soit mal écrit : pourquoi rajouter un e là où il n'y en a pas ?" 

Avoir un prénom difficilement prononçable peut être vécu comme une difficulté, comme le décrit Rachel Hausfater, dans un roman jeunesse drôle et touchant à la fois (voir encadré). Le jeune Wlodjimyerz porte le prénom de son grand-père polonais. Un enfer. Les autres enfants se moquent de lui, les enseignants le montrent du doigt pour éviter de l'appeler.  Ignoré par une institutrice, il n'avait pas besoin d'apprendre ses leçons car il n'était jamais interrogé. "J'aurais dû être content, mais en fait, pas tant que ça. […]. J'avais l'impression de ne pas exister", se plaint l'enfant qui se demande s'il ne devrait pas en changer… L'arrivée de madame Ravalomanana, originaire de Madagascar, fera prendre conscience au jeune garçon qu'il n'y a pas de prénom ridicule ou anormal. Tout dépend d'où l'on est, d'où l'on vient… L'institutrice est fière de ses origines et partage avec sa classe les traditions de son pays. "Elle corrige les parents qui l'appellent madame Ravalon ou Ramola et les fait répéter patiemment, sans jamais s'énerver […]." 

Selon les siècles et les pays, un prénom peut aussi changer avec l'âge. Au Japon, par exemple, une personne peut porter trois prénoms successifs (un de petit enfant, un d'écolier et un d'adulte) qui ne se ressemblent pas forcément, apprend-on dans le livre Le tour du monde des prénoms.  

De la tradition à la modernité 

Preuve d'une tradition chrétienne forte, dans tous les pays d'Europe, Marie (et toutes ses variantes) a été le prénom féminin le plus donné pendant 700 ans ! Et Jean (et ses équivalents) a été le plus fréquemment attribué aux garçons de 1300 à 1940. Autre habitude ancrée dans certaines familles : utiliser le même prénom de génération en génération. Chez les Wathelet, par exemple, le prénom Melchior est donné de père en fils depuis huit générations. Selon Françoise Zonabend, auteure d'un article intitulé Prénom, temps, identité, "donner à un nouveau-né le prénom d'un parent, ce n'est pas seulement accomplir un acte de piété filiale, c'est prédestiner l'enfant à perpétuer son aïeul éponyme et, au-delà, prolonger une lignée."

Bernard Vernier, anthropologue, a mené des recherches sur les structures familiales. Sur l'île de Karpahtos en Grèce, l'ainé des garçons recevait le prénom de son grand-père paternel, l'aîné des filles, celui de sa grand-mère maternelle. En plus d'accomplir un devoir sacré (ressusciter les ancêtres), "le système d'appellations avait pour fonction essentielle de légitimer aux yeux de tous, […] les droits exclusifs des ainés sur l'héritage." Le prénom jouait alors un rôle politique et économique.  

Depuis 1987 en Belgique (1993 en France), la loi n'impose plus aux parents de choisir des prénoms du calendrier ou des personnages connus de l'histoire ancienne. Il reste néanmoins interdit d'affubler son nouveau-né d'un prénom péjoratif ou injurieux.  

"Certains parents seront soucieux inconsciemment de donner un prénom très singulier ou très commun à leur enfant en fonction de leur propre positionnement dans leur famille, leur groupe ou leur appartenance en général", détaille Rita El Khayat dans son article L'apposition du prénom au Maroc. Le choix du prénom reste soumis à différents facteurs : la culture d'origine, le genre de l'enfant, les considérations esthétiques, l'harmonie avec le nom de famille, l'héritage familial, la tradition… Les parents peuvent inventer un mot qui n'existe pas, imposer une orthographe différente de celle habituellement utilisée ou choisir un prénom de l'autre bout du monde. La mode joue également un rôle dans ce choix. Par exemple, la longueur du prénom varie selon les époques (prénoms composés dans les années 1950, prénoms très courts dans les années 2010). Les sons changent également (terminaisons en -ette dans les années 1920-30, en -ine dans les années 1980, en -o ou en -a dans les années 2000).  

De nombreuses recherches en psychologie tendent à montrer que le prénom est une composante de la personnalité et qu'il est susceptible d'influencer l'estime de soi. Romain Gary, né Roman Kacew en 1914 dans l'Empire russe, diplomate et écrivain français, déclarait ainsi dans un entretien radiophonique : "Avec un prénom comme le mien, ma voie était toute tracée : ce serait le roman." 

Mieux connaitre ses origines et ce qui a influencé ou non le choix du prénom permet certainement de mieux appréhender cet élément de notre identité. Quel que soit le prénom choisi, il transmet une valeur symbolique, la valeur que chacun veut bien lui attribuer. L'accepter, se l'approprier, en changer, y rester fidèle malgré les difficultés, y trouver du sens… chacun est libre de choisir.