Environnement

Chevetogne réhabilite une zone humide

Fin mai 2022, le domaine provincial de Chevetogne a officiellement inauguré une zone humide afin de restaurer la nature dans une plaine inondable et valoriser tant le paysage que la biodiversité.

Publié le: 08 juin 2022

Mis à jour le: 13 septembre 2024

Par: Sandrine Cosentino

5 min

Paysage d'une Zone Humide Caillebotis

Photographie: ©Chevetogne

"Il fallait être un peu fou pour concrétiser ce projet, avoue le directeur du domaine, Bruno Belvaux. Déplacer un camping de 80 caravanes pour corriger les erreurs du passé et retrouver l'ancien paysage d'une zone humide nécessitait un budget conséquent et un accord politique. Ce n'était pas gagné." Le directeur ne se laisse pas impressionner par l'ampleur de la tâche, convaincu du bien-fondé de l'initiative. En collaboration avec l'architecte paysagiste anversois Benoît Fondu, il dépose un projet au Fonds européen agricole pour la restauration d'espaces naturels dégradés et obtient une subvention de près d'un million d'euros pour concrétiser la première phase du chantier.

Un domaine, des histoires

Le château atteste du passé bourgeois du domaine de Chevetogne. Construit en 1868 pour le baron Jacques de Wykerslooth de Royesteyn, entouré de forêt, il s'agit d'un lieu stratégique pour les rencontres aristocratiques et la chasse. La Province de Namur rachète le domaine pour l’ouvrir au tourisme social en 1969. C'est dans ce contexte qu'un camping résidentiel est aménagé dans la vallée du Mivau et du Molignat. Les cours d'eau sont déplacés, bétonnés et partiellement voûtés. "L'eau ne s'infiltrait plus dans le sol, elle ne profitait plus à la biodiversité… regrette le directeur, avec des conséquences dramatiques pour l'environnement."

Le domaine est actuellement divisé en deux zones. Dédiée à l'être humain, la zone "anthropique" compte 14 plaines de jeux, 14 jardins, 3 piscines et 2 musées. La zone naturelle occupe la majeure partie du domaine avec ses 400 hectares de forêt.

Depuis une vingtaine d'années, la société a pris conscience que la forêt n'a pas uniquement des fonctions d'exploitation et de production. Elle joue un rôle dans la biodiversité, dans la lutte contre le réchauffement climatique, elle produit de l'oxygène et permet l'infiltration de l'eau dans le sol. Dans le domaine, une centaine d'hectares de forêt bénéficient d'une gestion intégrale de la nature. Il n'y a donc plus d'intervention humaine. Les troncs ne poussent plus droit, les arbres morts sont laissés sur place pour générer un milieu fécond pour les insectes. On y trouve plusieurs générations d'arbres et 15 espèces différentes (cornouiller, chêne, frêne, amélanchier…) alors que la plupart des forêts wallonnes sont monospécifiques.

Les lieux boisés sont des remparts efficaces contre les inondations, rappelle aussi Bruno Belvaux : "Nos 400 hectares de forêt captent et épurent 500.000 m3 d'eau par an."

En période de crue

La zone inondable a été réaménagée au coeur de la forêt. Entre les périodes sèches et les périodes de fortes pluies, le paysage se métamorphose. "Aujourd'hui, 40 litres d'eau coulent à la seconde. Nous sommes dans la période où il y a le moins d'eau dans le ruisseau, cela s'appelle l'étiage, explique le directeur. Quand il y a une crue - une augmentation du débit de l'eau – on peut monter jusqu'à 4.000 litres par seconde." On comprend alors toute l'importance de gérer ces grandes quantités d'eau dans un espace adapté.

Un barrage a été construit pour pouvoir y gérer le débit de l'eau. Pendant les périodes sèches, l'eau des ruisseaux doit être retenue pour alimenter la zone humide. Tandis qu'en période pluvieuse, l'eau est évacuée rapidement vers le lac adjacent. Pour permettre aux voitures de traverser la vallée entre la zone humide et le lac, les concepteurs ont alors imaginé un système ingénieux : un pont immergé combiné à un déversoir en touches piano (non rectiligne), inspiré du Maghreb. La partie visible permet la circulation tandis que la partie immergée peut évacuer 6.000 litres d'eau à la seconde. "Lors des inondations de juillet dernier, nous avons constaté sur place que le dispositif était adapté, confie le directeur. Il y avait beaucoup d'eau mais là où on avait prévu qu'elle soit. Les chemins n'étaient pas inondés."

Toute zone humide devient sèche en 10 ans car les sédiments apportent la végétation. Elle se déplace de manière naturelle. La zone de Chevetogne devra continuellement être entretenue pour éviter ce phénomène et en faire un lieu pédagogique pour stabiliser les espèces.

Le paradis des castors

La zone humide constitue aussi un petit paradis pour la biodiversité. Surnommée "écotone", la zone entre les eaux basses et les eaux hautes est le milieu le plus riche. Tritons, salamandres et crevettes s'y installent, pour le plus grand bonheur des oiseaux. La chaleur et l'humidité favorisent également le développement de la végétation. Sur les berges, on peut aussi croiser des castors.

"Les castors raffolent du cornouiller et du saule", sourit Bruno Belvaux, en désignant des arbustes de 30 centimètres, protégés par des palissades le temps de grandir, pour ensuite servir de garde-manger aux rongeurs. Cinq familles ont élu domicile dans le domaine. Animaux territoriaux, ils construisent leur hutte adossée à une berge. L'accès se faisant sous l'eau, ils érigent un barrage 15 à 20 mètres en aval pour faire monter l'eau et protéger leur habitation des prédateurs. 

"Nous avons souhaité multiplier les circonstances aquatiques pour avoir des eaux dormantes et des eaux courantes. En fonction des milieux, la température est fondamentalement différente, l'acidité également, cela n'attire pas les mêmes espèces." Afin d'observer de près cet écosystème, le directeur, passionné et passionnant, a fait installer des caillebotis en bois serpentant d'une berge à l'autre : une zone de médiation entre le monde animal et les humains. Le prochain souhait de Bruno Belvaux ? Que le domaine devienne une réserve naturelle : "La forêt aurait alors un vrai statut de conservation."