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Qu'ils soient immédiats comme des inondations ou plus lents, comme la dégradation des sols, les effets dévastateurs du réchauffement climatique jettent sur les routes dangereuses de la migration des millions de personnes... Une fatalité ?
Publié le: 22 mars 2024
Par: Soraya Soussi
5 min
Illustration : : © Marion Sellenet
Incendies, canicules, sècheresses, inondations… Les catastrophes naturelles ont toujours existé mais elles sont aujourd'hui plus fréquentes, plus intenses et plus dévastatrices (1). Les dérèglements climatiques en sont la cause et poussent des femmes, des enfants, des hommes, des personnes fragilisées sur les routes dangereuses de l'exil. "Aujourd'hui, le climat est l'un des principaux facteurs de déplacement des populations dans le monde", relève François Gemenne, directeur de l'Observatoire Hugo de l'ULiège, centre de recherche consacré aux liens entre environnement et migrations. Selon l'Observatoire international de déplacements internes liés aux conflits et aux catastrophes naturelles (IDMC), on comptait 71,1 millions de personnes déplacées en 2022. Parmi elles, 8,7 millions ont dû quitter leur foyer à cause de désastres "naturels" (2). Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des déplacements forcés et liés au climat s’opèrent au sein d’un même pays.
En février 2023, le sud-est de la Turquie et la Syrie sont secoués par des séismes causant des milliers de morts et plus d'un demi-million de personnes sans abri (3). Au mois d'octobre, c'est au tour de l'Afghanistan de trembler. Un séisme de magnitude 6,3 fait 2.000 morts. Au total, 114.000 personnes ont perdu leur maison (4). Si cette région est historiquement sujette aux séismes, les scientifiques convergent pour attribuer au réchauffement de la planète une responsabilité dans l'augmentation de ce type d'événements. La liste des pays dévastés par les catastrophes "naturelles" est longue et concerne également l'Europe (voir ci-dessous).
Les rapports du Giec sont sans appel et détaillent, quantités de données scientifiques à l'appui, les nombreuses conséquences liées aux changements climatiques, dont certaines apparaissent sur le plus long terme : conflits, insécurité alimentaire, violences, perte de revenus, inaccessibilité aux soins de santé et à l'éducation… Et engendrent dans la foulée de graves entraves aux droits humains qui frappent les communautés les plus vulnérables.
Les sécheresses et inondations à répétition dégradent les sols au fil des ans et rendent le travail de récolte et d'élevage difficile, voire impossible. "Les variations climatiques ont un impact direct sur les revenus des ménages qui dépendent de l'agriculture. Les facteurs économiques et climatiques sont étroitement liés", explique François Gemenne de l'Observatoire Hugo. Les agricultrices et agriculteurs sont, par conséquent, obligés de quitter leurs terres et prendre les routes de la migration vers des villes ou des camps de réfugiés.
La famine, les violences et les conflits, autres causes majeures de déplacement des populations, font partie des nombreux effets du réchauffement climatique. La désertification des sols, les sécheresses prolongées sont sources de conflits entre agriculteurs mais aussi entre les populations et leurs gouvernements. "La révolution syrienne a débuté, entre autres, pour ce type de raisons : le pays a connu une longue période de sècheresse qui a provoqué des tensions politiques entre la population et le gouvernement…", rappelle Sylvain Ponserre de l'IDMC.
Dans cette chaîne infernale, ce sont les pays et les populations les plus vulnérables qui trinquent le plus, comme les femmes, les enfants et les personnes en situation de handicap. "Les populations des pays pauvres sont au moins quatre fois plus susceptibles d'être déplacées par des conditions météorologiques extrêmes que les celles des pays riches", révèle un article d'Oxfam international. De plus, les pays les plus défavorisés sont moins équipés contre les conditions extrêmes. L'exode rural déséquilibre ces sociétés : la densité de la population urbaine s'accroît, entrainant précarisation et insécurité. Les camps de réfugiés eux aussi s'agrandissent et voient les conditions de vie se détériorer.
2030 est proche et annonce 260 millions de "réfugiés" climatiques dans le monde et jusqu'à 1,2 milliards à l'horizon 2050, selon Oxfam France. Les pays du Nord, plus riches mais aussi les plus gros émetteurs de CO2, ont une dette colossale envers les pays en développement qui subissent le plein fouet les dégâts du réchauffement climatique. Lors de la COP15 à Copenhague, les États ont convenu que 100 milliards de dollars par an (91 milliards d'euros) allaient être distribués aux pays en développement afin qu'ils puissent respecter leurs engagements climatiques et s'adapter à leurs conséquences. Une promesse non tenue en juin 2023 qui a suscité de vives tensions entre pays du Nord et pays du Sud lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris (5).
En décembre dernier, le premier jour de la COP28 a débouché sur la concrétisation du Fonds "Pertes et dommages" pour venir en aide aux pays touchés par les catastrophes naturelles provoquées par le réchauffement climatique. Car si l'heure est à la réduction des émissions de CO2, il est à présent du devoir des pays du Nord d'assumer leurs responsabilités dans les dommages causés aux pays du Sud. Si cet accord est une avancée, encore faut-il qu'il soit mis en œuvre, pointent Sylvain Ponserre et François Gemenne.
Certains invoquent également la création d'un statut de "réfugiés climatiques" donnant accès à un droit d'asile. Pour François Gemenne le statut ne résoudrait pas toute la problématique autour des migrations liées au climat. La crise climatique soulève des questions cruciales qu'il convient de régler de toute urgence : "Les pays du Nord doivent déployer des moyens financiers pour les régions touchées afin qu'elles puissent gérer les effets immédiats du réchauffement climatique et s'adapter à ses changements", affirme-t-il.
Si les pays du Sud sont les plus touchés par les changements climatiques, l'Europe n'y échappe pas. Des pays généralement peu exposés aux feux de forêt, par exemple, y sont de plus en plus confrontés comme la Lituanie, l'Estonie ou encore l'Autriche. (1) Les pays scandinaves comme la Suède ou la Finlande n'avaient plus connu de feux de forêt depuis plus de dix ans.
En France, on comptait en 2022, 45.000 personnes forcées de quitter leur région pour des raisons liées au climat et 31.000 en Espagne, selon l'IDMC. L'Italie, le Portugal, la Grèce, la Suisse et la Grande-Bretagne recensent également plusieurs milliers de personnes déplacées au sein de leur territoire à cause de catastrophes "naturelles", de températures et d'intempéries extrêmes. Chez nous, on se rappelle les terribles inondations qui ont noyé la Wallonie et mis de nombreuses personnes à la rue.