Environnement

Eau : sous les pavés, la ville de demain

Comment rendre les villes plus résilientes face aux inondations et aux vagues de chaleur liées au changement climatique, tout en limitant la pollution des rivières ? Exemple à Bruxelles, où les citoyens se mobilisent pour libérer le cycle de l'eau.

Publié le: 23 octobre 2024

Mis à jour le: 25 octobre 2024

Par: Valentine De Muylder

7 min

Enfants et adultes végétalisent la ville

Photo: (c)Beata Szparagowska // L'association Less Béton mène des projets de végétalisation dans différentes communes bruxelloises, avec la participation des habitants du quartier.

9 juillet 2024. En fin d’après-midi, une pluie torrentielle s’abat sur Bruxelles. Et ce n’est pas une façon de parler : en quelques minutes à peine, dans certains quartiers, l’asphalte disparaît sous les flots. Celles et ceux qui ont la chance d’être à l’abri se pressent aux fenêtres, ahuris. Les autres pataugent dans leurs chaussures trempées, tout aussi étonnés. 

Plus de pluie et de béton

Cette journée, la plus pluvieuse de l’été dans la capitale, est à l’image des dernières saisons, qui n’ont cessé de battre des records d’humidité. "On mesure la pluie à Bruxelles depuis 1833 et on remarque que les précipitations ont augmenté de 15 % en moyenne, confirme Sophie Vanderschueren, médiatrice scientifique au Musée des égouts, qui consacre actuellement une expo au sort de l’eau de pluie à Bruxelles (voir encadré). En parallèle, on voit également une augmentation de la température, d’environ 2.1°C depuis le milieu du 19e siècle."

En cause, le changement climatique. "Ce n’est pas un lien très évident, reconnaît-elle. Beaucoup de personnes pensent que 'réchauffement = sécheresse'. Mais c’est plus complexe que ça. Le réchauffement climatique, qui est un phénomène global, impacte également les pluies. Non seulement le fait que l’air se réchauffe crée plus d’évaporation, mais l’air chaud peut contenir plus de vapeur d’eau. Et cette vapeur va inéluctablement devoir retomber sous la forme de précipitations. C’est physique." 

En ville, cette hausse des températures et des fortes pluies va de pair avec un autre phénomène : la "bétonnisation". Constructions, routes, trottoirs, parkings… Avec le temps, le sol urbain est devenu une véritable dalle imperméable, où le minéral a largement pris le pas sur le végétal. Un exemple parlant : dans une analyse récente sur la place de la nature en ville, Greenpeace Belgique constate qu’à Molenbeek-Saint-Jean, seuls 55 % des bâtiments ont une vue sur au moins trois arbres.

Une ressource, pas un déchet

Lorsqu’une goutte de pluie tombe sur un quartier densément peuplé, ses chances d’atterrir dans un petit coin de nature sont donc limitées. "Cela empêche deux processus très importants du cycle naturel de l’eau, poursuit Sophie Vanderschueren. D'abord l’infiltration de l’eau dans le sol, qui est cruciale parce qu’elle permet de recharger les nappes phréatiques et de nourrir un sol vivant. Ensuite l’évapotranspiration, c’est-à-dire l’évaporation de l’eau contenue dans le sol et les végétaux."

À défaut de pouvoir s’infiltrer dans la terre ou s’évaporer dans l’air, une part très importante des eaux de pluie est condamnée à ruisseler en surface. Avec pour conséquence d’augmenter les risques d’inondations et de surcharger le réseau d’égouts, où les eaux pluviales se mélangent aux eaux usées provenant de nos toilettes, cuisines, ou encore de nos industries… Cette dilution des eaux usées complique le travail des stations d’épuration. En outre, en cas de fortes pluies, elles ne parviennent plus à suivre et la pollution retourne dans les cours d'eau. 

Peut-on inverser cette tendance aussi réjouissante qu’un ciel gris, et rendre nos villes plus résilientes face aux changements climatiques ? Oui, répond Sophie Vanderschueren, qui invite à considérer l’eau de pluie comme une ressource plutôt que comme un déchet à évacuer : "À Bruxelles, l’administration en charge de ces questions (Bruxelles-Environnement), souhaite gérer la goutte de pluie là où elle tombe. C’est-à-dire lui permettre de s’infiltrer dans le sol, de s’évapotranspirer, ou éventuellement d’être collectée pour un usage domestique". Cette stratégie, qui vise à restaurer le cycle naturel de l’eau pour sortir du "tout-à-l'égout", porte le nom évocateur de "ville éponge" : une ville plus verte, donc plus perméable. 

 

Vers une "ville éponge"

Pour y arriver, de nombreux aménagements sont nécessaires. Certains sont basés sur la nature et reposent sur le trio plantes - sol - eau. Il s’agit de revégétaliser la ville en créant par exemple des toitures vertes, ou encore des jardins de pluie (des petits coins de verdure conçus pour collecter l’eau des voiries ou toitures environnantes). "On ne peut évidemment pas les mettre en place partout, mais ce sont vraiment les solutions à favoriser, explique cette biologiste de formation. Elles favorisent la biodiversité, elles amènent de la fraicheur en ville, ce qui est de plus en plus demandé avec le réchauffement climatique, les plantes vont également stocker le CO2 "  

À côté, des solutions plus techniques permettent également l’infiltration ou le stockage de l’eau. "À Jette, par exemple, il y a des pistes cyclables qui sont conçues en revêtement perméable", illustre la spécialiste. On peut aussi citer l’installation de citernes d’eau de pluie pour récolter les eaux de toiture, ou encore l’utilisation, pour les parkings, de dalles de béton en forme d’alvéoles, avec du gazon au milieu, qui permettent à l’eau de pluie de s’infiltrer. 

"Il y a beaucoup de solutions qui existent et de plus en plus d’entreprises qui se spécialisent dans ces alternatives", conclut Sophie Vanderschueren. Qui signale que le règlement régional d’urbanisme (RRU ou "good living") est en cours de réforme et qu’en attendant, il n’existe pas ou peu d’obligations. Les choses bougent donc en fonction du "bon vouloir des porteurs de projets". Ce qui pousse de plus en plus de citoyens et citoyennes à se mobiliser pour une meilleure gestion des eaux de pluie, partant du principe qu’il s’agit d’un enjeu collectif. 

Burins et brouettes

C’est ainsi qu’il y a quelques années, une habitante de Saint-Gilles, interpellée par le phénomène d’îlot de chaleur qui se créait dans son quartier en période de canicule, a créé l’asbl Less Béton. Cette petite association mène des projets de déminéralisation et de végétalisation dans différentes communes bruxelloises, avec la participation directe des habitants du quartier, et en dialogue avec les pouvoirs publics ou privés. 

Cet automne, plusieurs chantiers sont en cours, dont un aux abords de l’école saint-gilloise 4 saisons, où trois espaces ont été créés ou agrandis pour accueillir de la végétation. Pour les concevoir et les creuser, un groupe d’enfants de 9 et 10 ans, ainsi que leur prof d’éveil, leurs parents et des volontaires ont été directement impliqués. "Il y avait trois groupes, raconte Didier Vander Heyden, architecte et membre de l’asbl. Les 'dépaveurs', les 'brouetteurs' et les 'containeurs'. Les enfants ont travaillé à la main, avec des burins, toujours supervisés par les adultes. Ils ont adoré. Au total, nous avons rempli deux containers."

Les premiers plants viennent d'être mis en terre et déjà les liens sociaux se cultivent autour du projet : "Les gens autour de la place se sont intéressés au chantier. C’est un de nos buts, que les citoyens se réapproprient l’espace public." Et des améliorations concrètes sont perceptibles. "Les bords de la nouvelle fosse sont à fleur, pour que l’eau puisse y ruisseler", fait remarquer Didier Vander Heyden. Et de signaler que de nombreux arbres, en ville, sont encore entourés d’un rebord en béton. 

Sous les pavés, ajoute-t-il, les volontaires ont découvert… d’autres pavés, plus anciens. Qu’à cela ne tienne, ils ont continué à creuser, déterminés à mettre la main sur la ville de demain.