Environnement

Funérailles : rester vert jusqu'au bout

Que l'on choisisse l'inhumation ou la crémation, notre mort aura un impact sur l'environnement. Quand on a été attentif aux questions écologiques durant sa vie, est-il également possible de "mourir écolo" ? C'est ce que propose, à ceux dont c’est la dernière volonté, une nouvelle génération d'entrepreneurs de pompes funèbres.


 

Publié le: 28 octobre 2022

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Julien Marteleur

7 min

Une plante pousse dans un pot

Photographie: (c)AdobeStock

Cléo Duponcheel est à mille lieues de l'image que l'on se fait habituellement du "croque-mort". À 32 ans, la jeune femme fait partie de cette nouvelle génération d'entrepreneurs de pompes funèbres, qui n'est pas née dans la profession – à l'instar des notaires, l'entreprise se transmet souvent de "père en fils" - et entend bien donner un coup de jeune au secteur. Cléo aborde son métier avec sérieux mais légèreté. "Me présenter raide comme un piquet en murmurant 'sincères condoléances', ce n'est pas mon truc. Quand j'arrive chez les gens, je ne suis pas habillée en noir, j'ai le sourire, je pose des questions sur le défunt car je veux savoir de qui je vais m'occuper. Le fait que je sois jeune et de sexe féminin surprend parfois les familles, mais je pense que cela leur permet aussi de se sentir plus à l'aise." Avec "Croque-madame", Cléo offre des funérailles "classiques" mais aussi personnalisées : célébrer l'être disparu dans un lieu atypique, en présence d'artistes… Des obsèques qui ont toutes un point commun : elles sont éthiques et écologiques !

L'utopie du "100 % vert"

        
"J'essaye de réduire l'impact écologique des funérailles par une foule de petits gestes, qui peuvent paraître anodins mais qui, mis bout à bout, vont dans la bonne direction : je limite les trajets en voiture au maximum, je n'imprime que ce qui doit impérativement l’être, j'essaie de proposer des fleurs de saison, même si c'est parfois compliqué… Au niveau des cercueils, je fais attention aux essences utilisées et surtout, à leur provenance : certains cercueils sont meilleur marché car fabriqués en Asie ou dans les pays de l'Est. Mais par qui et dans quelles conditions de travail ?" Cléo Duponcheel a également cessé de pratiquer des soins de conservation sur les défunts. Ces soins, dits de thanatopraxie ou d'embaumement, permettent de conserver le corps pendant plusieurs jours jusqu'à la mise en bière. Concrètement, on injecte dans la dépouille jusqu’à dix litres d’un produit stérilisant contenant en grande partie du formaldéhyde (ou formol) - mais aussi du méthanol ou de l’éosine - pour ralentir le processus de décomposition. Des composés qui, lorsque le corps se décompose enfin, s’infiltrent dans la terre et polluent le sol et les eaux environnantes. "Ces produits sont aussi dangereux pour ceux qui les manipulent”, précise Cléo. J'ai d'ailleurs perdu une partie de mon odorat à cause d'eux…"
Pour Cléo Duponcheel, "le meilleur cercueil est celui qui n'existe pas. Mais pour le moment, il est impossible de proposer des funérailles 100 % vertes, les deux seuls modes de sépulture autorisés par la loi belge étant l'inhumation et la crémation”. Deux procédés qui impactent l’environnement chacun à leur manière, selon la jeune entrepreneure. La crémation, de plus en plus courante, consiste à soumettre la dépouille à une température de près de 1.000°C. 
Mais atteindre une telle chaleur est coûteux en énergie fossile et la combustion du corps et du cercueil dans lequel il doit obligatoirement être placé génère des rejets toxiques dans l'atmosphère (C02, métaux lourds, particules fines, dioxines si le corps a été embaumé…). Chaque année, environ 20.000 m3 de bois, dont la provenance est parfois loin d’être durable, sont utilisées pour la crémation et pour l’inhumation. Par ailleurs, dans les cimetières, les pierres tombales – souvent transportées depuis la Chine ou l'Inde, l'utilisation des pesticides et d'eau pour l'entretien du terrain, pèsent aussi dans la balance écologique.       

Carton, osier ou rotin


Cléo se remémore les rites funéraires juifs ou musulmans, auxquels elle a déjà participé : "Le corps est enterré sans cercueil, enveloppé d'un simple linceul (un drap en matière 100% naturelle, NDLR). La dépouille est manipulée par plusieurs porteurs, avec énormément de précautions et de respect. Il y a beaucoup de beauté dans ce type de cérémonies", précise-t-elle. Autorisée sous certaines conditions en Flandre depuis 2004 et plus récemment à Bruxelles (2018) et en Wallonie (2019), l'inhumation en "enveloppe d'ensevelissement" reste néanmoins confidentielle dans le monde catholique. Depuis plusieurs années, Cléo milite pour l'autorisation d'une technique révolutionnaire et résolument écologique : l'humusation. Ce "compostage" du corps, réalisé en le recouvrant d'un mélange végétal, rencontre encore chez nous de nombreux obstacles, notamment législatifs (voir encadré en bas de page).
L'humusation, ce "retour ultime à la terre", intéresse également beaucoup Cédric Vanhorebeke. L'écologie est dans l'ADN de ce jeunes entrepreneur bruxellois : né "dans la pompe funèbre", il a travaillé pour son père avant de lancer sa propre coopérative, Alveus. Cédric fut le premier à proposer des funérailles vertes en Belgique. Il a également mis sur le pied le premier funérarium 100 % écologique de Belgique, fonctionnant à très basse énergie et utilisant notamment des toilettes sèches. Cédric Vanhorenbeke commercialise uniquement des cercueils écologiques, en carton, en osier, en rotin ou en bois certifié durable. Il n’est pas le seul dans le pays, mais il est le seul à proposer exclusivement des modèles écologiques dans son catalogue. "La vente de cercueils en carton reste encore rare, mais les mentalités commencent à changer. Au départ, la Fédération des pompes funèbres n'y croyait pas du tout : elle avait peur que ce type de cercueil ne soit pas assez solide pour supporter le poids d'un corps, qu'il craque en pleine cérémonie, ou encore qu'il laisse passer les odeurs", se souvient-t-il. Lui non plus ne pratique pas de soins de conservation et se contente de soins "de présentation". "Nous conservons le corps au froid, sur une table réfrigérée. Conventionnellement, les funérailles se font trois ou quatre jours après le décès, ce qui ne pose aucun problème de conservation lorsque le corps est préservé de la sorte." Cédric Vanhorenbeke suggère également aux familles qui souhaitent des obsèques respectueuses de l’environnement de garder le corps au domicile lorsque c'est possible, comme cela était fait traditionnellement. “Aujourd'hui, le défunt est tout de suite envoyé dans un funérarium, parfois très loin de son lieu de décès. Pour rendre visite à la dépouille, les familles et les proches doivent avaler les kilomètres."

Envoyer les clichés ad patres


Écologiste convaincu, Cédric se félicite des efforts fournis par la profession pour limiter son impact sur l'environnement. "On commence à bousculer l'immobilisme du secteur, qui ne peut plus ignorer cette demande écologique des familles. Le but n'est pas de faire disparaître complètement les funérailles 'classiques', elles ont une grande valeur, émotionnelle ou traditionnelle, pour de nombreuses familles. Mais il y a 10 ans, la question des funérailles écolo était inexistante. Et, lorsqu'elle était abordée, elle s'accompagnait souvent de clichés : le cercueil en osier, le corbillard électrique ou tiré par des chevaux … Or, de plus en plus, le secteur se penche sur les façons de compenser au quotidien  son empreinte environnementale. Nous avons aussi un rôle d'éducation : il nous revient de sensibiliser les familles, en les informant sur l'impact de certaines pratiques, qui paraissent immuables car elles ont toujours été là." Cléo Duponcheel abonde dans ce sens, elle qui forme également de futurs entrepreneurs de pompes funèbres. "Cette nouvelle génération d'entrepreneurs est consciente qu'il est important d'offrir une alternative écologique à ceux qui le souhaitent. La mort concerne tout le monde. Mais elle est encore étouffée par les tabous qui l'entourent, ce qui l'empêche d'évoluer au rythme de la société. Ce n'est pas parce qu'on parle de la mort qu'elle va nous tomber dessus ! C'est en la dédramatisant, en l'acceptant dans nos vies – comme étant la vie d''après' – que l’on pourra enfin avoir un débat constructif autour d’elle, y compris en matière d’écologie."