Droits du patient
À la ville, à la campagne, au travail ou chez soi, l'impact du bruit sur la santé n'est pas toujours facile à mesurer. Mais il est néanmoins réel. Comment s'en prémunir ?
Publié le: 10 novembre 2021
Par: Aurelia Jane Lee
8 min
Photographie: © iStock
19 mars 2020, début du confinement : le trafic est à l'arrêt, les activités économiques réduites à l'essentiel, les écoles fermées. Le silence a envahi les rues, en dehors des quelques minutes, à 20 heures, où l'on applaudit le dévouement des soignants. L'occasion pour nombre de citadins de se rendre compte de l'intensité des nuisances auxquelles ils étaient soumis jusqu'alors. Mais aussi, pour certains, des défauts d’isolation de leur logement. Cloîtrés chez eux, les habitants ne sont en effet pas à l'abri d'autres bruits : ceux du voisinage.
"Le bruit est la deuxième cause de morbidité environnementale après la pollution de l'air", signale Marie Poupé, spécialiste du bruit à l'administration de Bruxelles Environnement. "La pollution environnementale cause davantage de dégâts que le tabac et est plus destructrice que certaines maladies infectieuses. Mais comme on ne met pas souvent le doigt dessus en tant que facteur déclencheur, très peu d'études épidémiologiques démontrent ces influences. Il faudrait avoir accès à des données sur la prise de somnifères par exemple, ou aux plaintes exprimées auprès des médecins traitants, pour pouvoir les cartographier en lien avec l'exposition au bruit."
"On parle de pollution dès lors qu'il y a un impact sur la santé. Or le bruit, par son intensité ou à la suite d'une exposition prolongée, a de multiples effets sur notre corps", expose Marie Poupé. Les plus évidents sont auditifs : bourdonnements dans les oreilles, douleurs, acouphènes, hyperacousie (sensibilité accrue aux bruits), surdité… Ces symptômes sont généralement temporaires. Néanmoins, s'ils persistent durant plus de 24 heures, il est recommandé de consulter un spécialiste ORL, car ils peuvent devenir permanents et constituer un véritable handicap social.
Moins visibles, les effets non auditifs n'en sont pas moins fréquents : perturbation du sommeil, stress, difficultés à se concentrer, troubles de l'apprentissage, irritabilité… "Beaucoup de gens se disent habitués au bruit, mais le corps ne s'habitue pas, en réalité ; il réagit toujours. Des recherches ont mesuré l'impact du survol aérien sur le sommeil des personnes qui y sont con frontées : chaque passage d'avion à proximité fait grim per la tension artérielle du dormeur, même si cela ne le réveille pas" (1).
De nombreuses études attestent de l'effet hypertenseur du bruit et de ses conséquences sur la santé cardio-vasculaire. Selon des recherches encore en cours, le bruit jouerait même un rôle dans l'apparition du diabète.
"On ne pense pas souvent à la pollution sonore comme origine potentielle de nos maux, souligne Marie Poupé. Nos oreilles perçoivent en permanence les sons qui nous entourent, elles ne se reposent jamais. Elles constituent notre système d'alarme. En fonction des informations que nos oreilles lui transmettent en continu, notre cerveau déclenche une série de réactions physiologiques, même lorsque nous dormons."
Et ce n'est pas qu'une question d'intensité sonore : une étude a démontré que le risque de souffrir de maladies cardio-vasculaires augmente de 40% si l'on est soumis pendant vingt ans à un bruit routier de 50 décibels, soit l'équivalent d'un quartier résidentiel calme (2).
"Notre sensibilité au bruit est variable, précise la spécialiste. On perçoit plus intensément les bruits si l’on est malade ou fatigué, ou lors qu’on cherche à se concentrer ou à se reposer. Alors qu’on le tolère mieux quand on travaille ou qu'on fait du sport. Les personnes âgées isolées s'en plaignent davantage aussi que les personnes vivant en famille."
"On ne dispose malheureusement pas de recette magique face au bruit, reconnaît Marie Poupé. Il faut agir au cas par cas." Le trafic routier est la principale source de bruit en milieu urbain. En Wallonie, cette nuisance particulière affecte près de 660.600 habitants, soit 18,7% de la population, selon les derniers relevés (3). À Bruxelles, après le trafic, les principales sources de pollution sonore dont se plaignent les habitants sont, dans l'ordre, les avions, les sirènes des services d'urgence, les chantiers et les bruits de voisinage.
Des radars actuellement testés en France devraient permettre, d’ici 2022, de mesurer plus précisément la pollution sonore à Bruxelles et en Wallonie, afin de mieux en identifier les sources. Ce ne sont cependant que des prototypes, il faudra patienter encore avant que leur usage se généralise.
Dans les zones rurales, ce sont les exploitations agricoles et forestières qui génèrent le plus de pollution sonore, ainsi que les entrepôts et véhicules lourds. "Lorsqu'il est impossible d'agir à la source, en atténuant ou en supprimant le bruit, il faut essayer de le contenir en jouant avec les obstacles", poursuit l'experte. Afin d'empêcher la propagation des ondes sonores, les pouvoirs publics peuvent placer des murs anti-bruit le long des voies de transport ou construire des "bâtiments écrans" en bordure des grands boulevards.
L'isolation acoustique n’est utilisée qu’en dernier recours. Cette option doit être réservée aux lieux inévitablement bruyants, à proximité d'un chemin de fer ou d'un aéroport par exemple, précise Marie Poupé, car elle comporte un sérieux désavantage : elle n'est efficace qu'à condition de maintenir portes et fenêtres fermées. "Le bruit suit le trajet de l'air. Il pénètre par les points faibles d'une façade, tels qu'une fenêtre ouverte, une boite aux lettres ou un caisson de volet."
La gestion du bruit en milieu urbain est complexe et exige une approche ouverte, tenant compte des différentes fonctions de la ville. La question de la santé, primordiale, n'évacue pas les réalités du terrain. "On a vu, avec le confinement, que si l'on veut modifier nos déplacements et développer les échanges locaux, il faut repenser cette mixité de façon harmonieuse, soutient Marie Poupé. Disposer d'un magasin en bas de chez soi, c'est pratique, mais cela peut être source de bruit. Même chose pour les écoles. C'est un avantage de pouvoir s'y rendre à pied, mais cela signifie aussi, potentiellement, que la cour de récréation n'est pas très loin. La présence d’un terrain de sport en face de chez soi offre une vue dégagée sur un espace vert, mais implique que l'on devra supporter les inconvénients lors des entrainements et des matchs. Il faut tout peser quand on achète ou loue un bien."
L'installation de zones 30 au 1er janvier 2021 en Région bruxelloise a permis de gagner trois décibels, soit une diminution du bruit de moitié (lire ci-dessous). "D'autres villes pourraient faire de même, suggère Marie Poupé. Non seulement les habitants y gagneraient, mais cela permettrait aussi de conserver un patrimoine tel que les rues pavées, fréquentes en Wallonie. C'est une source importante de bruit si on roule à une vitesse élevée. Or, à 30 km/h, il n'y a plus de souci."
Lutter contre le bruit est en grande partie une question d'aménagement du territoire et relève des pouvoirs publics. Il existe en attendant des solutions que l'on peut appliquer individuellement pour se prémunir du bruit, et éviter d'en produire soi-même (lire ci-dessous "Commencer par chez soi").
(1) "Le bruit fait monter la pression artérielle", 18 février 2008, Sciences et avenir.
(2) "Long Terme Exposure to Road Traffic Noise and Myocardial Infarction. Epidemiology", Selander, J., Nilsson, M.E., Bluhm, G. et al. (2009).
(3) etat.environnement.wallonie.be
En matière de bruit, nous sommes tour à tour gênés... et gêneurs. De petites actions concrètes permettent de réduire les nuisances et facilitent la cohabitation. En tant que consommateur aussi, on peut tenir compte de l’impact sonore parmi ses critères d’achat.
Quelques exemples :
>> Bruxelles Environnement propose une série d’autres astuces dans sa brochure gratuite " Vivre au calme à Bruxelles - 100 conseils pratiques pour se protéger du bruit et éviter d’en provoquer ".
Infos : environnement.brussels • 02/775.75.75
Le bruit se mesure à l'aide d'une échelle logarithmique, où chaque échelon supplémentaire multiplie la valeur au lieu de l'additionner. "Prenons le cas d'une tondeuse à gazon qui équivaut à 60 décibels (dB), suggère Marie Poupé. Si l'on met en marche une deuxième tondeuse à côté, on n'obtiendra pas un niveau sonore de 120 dB, mais de 63 dB. Quand un réaménagement routier permet de gagner 3 dB, cela peut sembler très peu, mais en réalité, la source de nuisance sonore a diminué de moitié !"
Si cette échelle est difficile à appréhender, quelques repères permettent cependant de se faire une idée. 0 dB correspond au seuil d'audibilité, et 120 à celui de la douleur. Le silence absolu n'existe pas dans la nature, même dans le désert, où l'on tourne déjà autour de 20 dB. Dans une pièce très calme, comme une bibliothèque, on se situe aux alentours de 35 dB. Une voirie classique génère entre 65 et 70 dB. Le cap des 120 dB est rarement atteint (il correspond à une piste d’atterrissage) mais c'est aussi parce que la législation y veille. La limite pour les concerts et les discothèques est établie à 90 dB en Wallonie et à 100 dB pendant maximum une heure à Bruxelles. La législation du travail prévoit quant à elle que le bruit ne peut y dépasser 80 dB pendant 8 heures. Au-delà, l'employeur doit fournir une protection auditive à ses employés.