Consommation
Depuis des millions d'années, les abeilles assurent la pollinisation de 80 % des plantes à fleurs, formant ainsi un partenariat idéal. Les butineuses prélèvent le pollen et le nectar pour se nourrir et produire le miel. Un tiers de l'alimentation mondiale résulte de la pollinisation des insectes butineurs. Les abeilles sont donc indispensables à l'équilibre de notre planète.
Publié le: 09 mars 2022
Par: Sandrine Cosentino
7 min
Photographie: ©AdobeStock
Dans la province chinoise du Sichuan, aussi incroyable que cela puisse paraitre, les arboriculteurs effectuent manuellement le travail de pollinisation nécessaire pour obtenir des fruits. Au début des années 1980, l'utilisation non contrôlée des pesticides dans cette zone a anéanti toutes les abeilles de la région et tué toutes les plantes à pollen qui subvenaient à leurs besoins (le documentaire "Le silence des abeilles" de Doug Shultz aborde ce phénomène). Depuis, au printemps, des hommes et des femmes fécondent une à une les fleurs des arbres fruitiers pour garantir la production de fruits. Une solution laborieuse et couteuse, autrefois effectuée gracieusement par les butineuses.
Les abeilles vivent sur la planète depuis 120 millions d'années en bonne entente avec les autres êtres vivants. À partir de la sédentarisation d'homo sapiens sapiens, l'humain a commencé à avoir un impact de plus en plus grand sur la nature et a déséquilibré l'environnement, ce qui a affecté les insectes pollinisateurs.
Contrairement aux idées reçues, les abeilles ne vivent pas dans des ruches, elles sont cavernicoles, elles font leur nid dans une cavité naturelle. Il existe environ 370 espèces d’abeilles en Belgique et plus de 20.000 espèces dans le monde. L'abeille solitaire construit et approvisionne son propre nid, pond ses oeufs et meurt. L'abeille mellifère (appelée à tort domestique, voir encadré) est élevée dans le monde entier et vit en colonie. L'humain a inventé, il y a plus de 150 ans, l'apiculture moderne en fabriquant des ruches mobiles.
La société fascinante formée par une colonie d'abeilles fonctionne selon ses propres lois : "Une colonie d'abeilles, c'est un super organisme très organisé, raconte Hubert Gorgemans, apiculteur depuis 15 ans. La reine est un organe de reproduction et de cohésion indispensable. Les abeilles ouvrières sont la force de travail du groupe. Elles défendent, nourrissent, butinent, fabriquent de la cire, du miel, de la gelée royale. La colonie, c'est le logis, la maternité et la réserve de nourriture. Quand la période de fécondation de la reine est terminée, les abeillauds ou faux-bourdons sont mis dehors - car leur travail consiste exclusivement à féconder la reine - et ils meurent."
Au printemps et en été, ce sont pas moins de 60.000 à 80.000 abeilles ouvrières qui, en fonction de leur âge, sont occupées aux travaux d'intérieur, à l'alimentation des larves, de la reine, des mâles, à la fabrication de la cire et à la recherche de pollen et de nectar à l'extérieur. Pour obtenir un kilo de miel, les spécialistes estiment qu'il faut environ 6.000 abeilles travaillant pendant 15 jours, ce qui représente 160.000 km de vol (quatre fois le tour de la Terre) pour l'ensemble des butineuses.
Le miel, conservé dans les alvéoles de la ruche, est fabriqué à partir du nectar des fleurs et de la salive des abeilles. Il s'agit de leur réserve de nourriture en saison hivernale. Les apiculteurs et apicultrices récoltent le surplus de miel produit par la colonie, leur laissant une quantité suffisante pour passer l'hiver, sans quoi la colonie mourrait de faim. Les êtres humains consomment du miel depuis des milliers d'années. Sur les parois de tombes égyptiennes, 2.400 ans avant Jésus-Christ, on peut déjà observer des scènes de récolte de miel.
Partout dans le monde, les populations d’abeilles sont en déclin. Plus de 70 % des cultures (fruits, oléagineux et protéagineux, épices, café et cacao) dépendent fortement ou totalement d'une pollinisation des insectes butineurs. L'effondrement des colonies d'abeilles aura un impact considérable sur notre alimentation : disparition de certains fruits, rareté des produits, augmentation des prix… Des chercheurs ont également découvert que la qualité de la pollinisation a un effet sur la qualité des productions et pas seulement sur la quantité.
"Chez nous, la biodiversité autant que la biomasse sont en danger dans toutes les représentations du vivant, alerte Hubert Gorgemans. La biodiversité désigne le nombre d'espèces différentes. La biomasse représente le poids du vivant de chaque espèce. Si on prend tous les vers de terre de Belgique et qu'on les met sur une balance, on obtient la biomasse de vers de terre de Belgique. Il y a 50 ans, dans un hectare de terre agricole française, il y avait deux tonnes de vers de terre. Aujourd'hui, on est à moins de 100 kilos."
Les scientifiques pointent une multitude de causes, qui se renforcent l'une l'autre, pour expliquer la raréfaction des insectes butineurs. Toutes sont cependant liées à l’activité humaine.
Les pesticides sont une des sources principales du déclin. "Nous utilisons des produits de mort (le suffixe '–cide' signifie abattre, tuer, NDLR ) pour favoriser la vie, déplore l'apiculteur. Nous plantons des graines et nous cherchons à ce que 100 % d'entre elles donne des fruits en éliminant tout ce qui nous dérange : les insectes, les limaces, les rongeurs…" Les insecticides à base de néonicotinoïdes, par exemple, perturbent l'orientation des insectes et leur capacité à retrouver la ruche.
La prédominance de fermes en monocultures a également un impact sur le système immunitaire des abeilles, lié à une nourriture appauvrie. Des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique d’Avignon par exemple, ont démontré dans une étude publiée en 2010 l’importance de la variété des pollens sur la santé des abeilles. Le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution affectent également le bien-être des butineuses.
Introduit accidentellement dans le sud de la France en 2004, le frelon asiatique, espèce invasive, est arrivée en Belgique en 2016. C'est un prédateur redoutable qui mangent les abeilles à la sortie de la ruche. "Les frelons asiatiques sont des régulateurs d'insectes mais ici ils n'ont pas de prédateurs, excepté l'être humain. Il faut absolument les éradiquer chez nous. Un combat qui n'est pas près d'être gagné…", affirme Hubert Gorgemans.
Un acarien parasite de l'abeille, appelé le varroa, est également une cause de la diminution des insectes. À ce jour, le parasite est présent sur la quasi-totalité du globe. Plus il y a de varroas dans la colonie, plus sa multiplication est exponentielle. La colonie s'affaiblit, jusqu’à finalement dépérir.
L’abeille est une sentinelle précieuse de l’état de notre environnement. Mieux nous comprenons son fonctionnement, mieux nous pourrons la protéger. Hubert Gorgemans en est intimement persuadé : éducateur de formation, il a conscience que les enfants n'ont pas tous la possibilité d'entrer en contact avec la nature. C’est pourquoi il a fondé l'asbl Terre@air, association d'éducation à l'environnement, pour sensibiliser les jeunes à la protection de la nature. Par diverses animations, les bénévoles de l'association transmettent des enseignements nécessaires à la compréhension globale de la nature. "Il est urgent d'expliquer aux enfants de manière positive et utile que nous devons respecter le support sur lequel on vit. La planète Terre est très fragile, elle a ses lois, qu'on ignore ou qu'on boycotte totalement pour plein de raisons (bonnes ou mauvaises)."
L'asbl propose à des groupes d'adultes et d'enfants d'observer les ruches les week-ends d'avril à septembre. Toujours dans la sensibilisation et non dans la culpabilisation, l'éducateur veut rester optimiste : "Il y a beaucoup de menaces mais aussi des pistes de solutions : apprendre, comprendre, respecter, s'émouvoir."
Apiculteur passionné et formateur en apiculture, Hubert Gorgemans tient à rappeler que les abeilles ne sont pas des animaux domestiques, comme le sous-entend l'utilisation erronée du terme "abeille domestique". "La domestication, c'est vivre avec un animal et le sélectionner au point de le transformer. Je ne vis pas avec mes abeilles. Ces insectes peuvent être dangereux et même mortels. Une partie des abeilles sont utilisées par les êtres humains car elles font du miel. Les apiculteurs ont inventé non pas l'abeille domestique, mais la ruche domestique. Leur habitat a été domestiqué en fabriquant des boites dans lesquelles tout est mobile afin de pouvoir récolter facilement le miel." L'utilisation du terme mellifère est plus adéquate pour désigner les abeilles productrices de miel.
Pour observer le monde fascinant des abeilles en toute sécurité, rendez-vous devant les ruchers didactiques : une liste non exhaustive de lieux à découvrir.
Rucher de la Maison de l'abeille noire à l'Aquascope de Virelles : 060/21.13.63 • maisonabeillenoire.be • 8 € pour l'entrée à l'Aquascope
Rucher de l'Herboristerie à Ath : 068/64.53.73 • herbioristerie.be • infos sur demande
Rucher de BeeTasty à Denée : 0486/63.19.71 • beetasty.be • 5 € par personne (min. 4 pers.) • d'avril à septembre • sur réservation
Les abeilles et leur ruche au parc Maximilien à Bruxelles : 02/201.56.09 • lafermeduparcmaximilien.be • à partir de 35 € pour moins de 7 personnes • sur réservation
Le jardin des abeilles à Jette : api-bxl.be • un samedi par mois de 13h à 17h de mai à septembre • au croisement de l'avenue du Laerbeek et de la rue au Bois à Jette • gratuit
Le sentier des abeilles à la ferme Nos Pilifs à Neder-Over-Heembeek : 02/672.14.27 • apisbruocsella.be • sentier didactique accessible toute l'année.
L'asbl Terre@air organise une visite des ruchers à Ganshoren le dimanche à 14h sur réservation uniquement.
0486/41.11.11 • terreatair.be • nombreuses animations scolaires sur les abeilles, la fabrication du jus de pommes, la vie du sol, la ferme mobile…