Familles

En classe, la lutte s’organise contre le harcèlement

Face au fléau du harcèlement qui empoisonne la vie de nombreux élèves, des jeunes rassemblent leurs forces pour améliorer le bien-être au sein de leur établissement et proposer des espaces d'écoute à ceux qui en ont besoin. Reportage.  

Publié le: 23 janvier 2025

Mis à jour le: 30 janvier 2025

Par: Sandrine Cosentino

7 min

Un professeur parle de harcèlement avec ses élèves

Photo: © Adobe Stock - Deux fois par semaine, des élèves bénévoles formés à réagir au harcèlement proposent une classe-partage, où les élèves en mal-être peuvent venir se confier..

Pendant que la majorité de leurs camarades profitent de la pause de midi pour se détendre, dans une classe de l'Institut d'enseignement secondaire paramédical provincial de Mons (IESPPM), une dizaine d'étudiants se sont rassemblés pour débattre du harcèlement scolaire.  La Team SeraNoe, composée d'étudiants de 5e et 6e secondaire formés à réagir adéquatement en cas de harcèlement et de cyber harcèlement, gère la classe-partage. Sous la supervision de la professeure de techniques sociales, ces bénévoles assurent une permanence deux fois par semaine pour les élèves en quête d'écoute, en proie à la solitude ou traversant une période de mal-être. La classe-partage offre également un espace pour recevoir des intervenants extérieurs. Aujourd’hui c’est Romain Liénard, 20 ans, fondateur de l'asbl Hope action jeunesse et initiateur du projet de la classe-partage, qui mène le débat. Lors d'un rapide tour de table, sept jeunes évoquent avoir subi du harcèlement en primaire ou en secondaire.  

Un espace pour oser parler 

"J'ai moi-même été victime de moqueries répétées quand j'ai doublé ma 3e primaire, témoigne Romain (voir notre podcast "inspirations"). Je suis resté assez isolé pendant le reste de mon parcours scolaire. J'ai proposé ce projet de classe-partage à l'IESPPM car, il y a quelques années, cela m'aurait fait plaisir de me confier à d'autres jeunes dans un environnement bienveillant." 

"Quand j'étais harcelée, je n'avais personne vers qui me tourner", regrette Laura (nom d'emprunt), 16 ans. "Moi, je ne me livre à personne. Exprimer ce que tu ressens à quelqu'un qui ne sait rien faire pour t'aider, ça ne sert à rien", renchérit sa voisine. "C'est vrai qu'il est difficile de vider son sac, même en tant qu'adulte", abonde la professeure encadrante. D'autres jeunes témoignent néanmoins avoir eu la chance d'être épaulés par un proche. Romain profite de ces échanges pour rappeler l'importance du soutien : "Vous avez vécu des moments compliqués et vous en vivrez encore, c'est la vie. Mais savoir qu'il y a des gens sur qui on peut compter, c'est essentiel pour avancer." 

La question des réseaux sociaux n'est pas éludée. Le cyber harcèlement est une réalité avec laquelle il faut composer. Certains ressentent également le poids des standards de beauté véhiculés en ligne. Les posts mettant en avant des corps "parfaits" créent des complexes qui alimentent un mal-être déjà présent. 

Romain aborde également un sujet qui lui tient à cœur : l'hypersensibilité. "Diagnostiqué" hypersensible tardivement, il a appris à mieux décoder ses sentiments : "Les émotions que je ressens sont décuplées. Quand j'étais renfermé sur moi-même, je voyais d’autant plus les autres comme un danger." Il admet que ce trait de caractère a également joué dans ses relations sociales. 

Former les jeunes et les professeurs

À l'Athénée royale de Koekelberg (ARK) à Bruxelles, la cellule d'écoute Tell me a été créée en 2020 par les étudiants eux-mêmes. Ce groupe met en relation des élèves, qu’ils soient victimes de harcèlement scolaire ou d'autres problématiques, avec des élèves de 5e et 6e formés à l’écoute. Comme à l'IESPPM, ce système de soutien entre pairs permet d'améliorer l'ambiance à l'école. Pour garantir un cadre sécurisant, plusieurs jeunes et professeurs ont suivi une formation à l'Université de Paix, ce qui leur permet d'utiliser des outils comme la reformulation ou d'identifier du stress, de la tristesse dans le comportement non-verbal. Pour le référent climat scolaire de l'ARK et professeur de morale, Raphaël Hennebert, une formation de qualité est cruciale pour gérer le phénomène. "Sans formation, on se sent vite démuni. Et des actions maladroites ou inadaptées peuvent aggraver le problème, prévient-il. Mais la charge de travail des équipes éducatives est telle qu'il est souvent difficile d'y consacrer suffisamment de temps."  

Enseignants : comment réagir ?

Identifié comme "Monsieur harcèlement" au sein de l'Athénée bruxellois, Raphaël Hennebert déploie une grande palette d'outils pour améliorer le bien-être des élèves. Parmi eux, l'écoute active occupe une place centrale : elle permet de prêter une attention totale à son interlocuteur tout en créant un environnement de confiance, sans jugement. "Cela permet déjà d'apaiser les élèves qui vivent des moments difficiles…" 

Lorsqu'une situation conflictuelle lui est signalée - que ce soit par la cellule d'écoute Tell me, un autre adulte de l’école, voire le jeune lui-même - il cherche d’abord à identifier le ou les auteurs. "Souvent, il y a un meneur. Si on arrive à lui faire prendre conscience de la gravité des faits et qu'il change d’attitude, dans la plupart des cas, les autres suivront." 

En parallèle, le professeur de moral met en œuvre des médiations dans un esprit de justice réparatrice. Après s'être assuré en entretien individuel que les protagonistes sont prêts à entamer un dialogue, il invite l'auteur du harcèlement à expliquer ce qui l'a poussé à agir et à présenter des excuses. "Les personnes ciblées par le harcèlement comprennent rarement pourquoi cela leur est arrivé, constate le référent climat scolaire. Obtenir une explication permet de réparer plus facilement le trauma sur le long terme. Et reprendre confiance en l'institution… 

Intervention en classe 

Quand la situation dégrade la vie de groupe, il arrive qu’une intervention en classe soit nécessaire. "Organiser un groupe de parole de ce type doit se manier avec subtilité. L'idée n'est pas de stigmatiser l'élève qui a 'balancé' ou d'en culpabiliser d'autres en pointant 'des méchants'", souligne Raphaël Hennebert, rappelant l’importance d’accueillir, sans juger, les émotions des auteurs de harcèlement. 

Romain Liénard, qui anime la classe partage de l’IESPPM abonde en ce sens : "C'est difficile à entendre pour certains élèves, mais il n'y a jamais un 100 % méchant et un 100 % gentil. Il y a toujours des nuances." Un jeune avoue : "J'ai été harcelé mais également harceleur. Je ressentais un mal-être et c'était ma façon de me sentir mieux, de rejeter mes problèmes sur quelqu'un d'autre, sans me rendre compte du mal que je faisais." 

Tant à Mons qu'à Bruxelles, une direction à l'écoute et consciente de l'importance de former ses équipes assure l'efficacité et la pérennité de ces projets. Initiées par les jeunes et pour les jeunes, ces initiatives démontrent que les étudiants sont aussi capables d'insuffler un vent nouveau pour améliorer le bien-être de tous.