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Qu’est-ce qui pousse certains jeunes à en harceler d’autres ? Comment savoir si mon enfant est victime de harcèlement ? Comment l’aider ? Le psychologue Benoit Galand a répondu à ces questions, qui taraudent de nombreux parents.
Publié le: 15 janvier 2025
Par: Barbara Delbrouck
8 min
Photo: © Adobe Stock // Si le jeune évoque un conflit, quelques questions clés peuvent aider à détecter les situations de harcèlement : depuis quand ça dure ? Comment ça se passe ? Comment as-tu réagi ? Qu’est-ce que ça te fait ?
Face aux chiffres inquiétants de sa prévalence, le harcèlement fait peur et questionne. Plus d'un élève sur 10 y serait confronté en tant qu’auteur ou victime (1). Une problématique qui ne se limite pas à l’adolescence, précise Benoit Galand, docteur en psychologie à l’UCL et auteur du livre "Le harcèlement à l’école, mythes et réalités". Ce phénomène peut survenir dès la maternelle, tout au long de la scolarité et même au travail ! Mais les formes d’agression évoluent avec l’âge. Chez les petits, ce seront des coups, du vol de collations... En grandissant, les agressions deviennent plus insidieuses : on joue sur la réputation, la mise à l’écart, le "vol" d’un ami, des attaques en ligne…
Le harcèlement est une dérive de certaines dynamiques de groupe, souligne le chercheur. Si éradiquer ces dérapages collectifs paraît illusoire, recadrer au plus vite est essentiel. La réaction des témoins — élèves ou enseignants — est cruciale : ignorer le problème revient à le valider, ce qui pousse l’auteur à poursuivre, alors qu’un désaveu public peut freiner l’auteur et améliorer le ressenti de l’élève visé. D’où l’importance pour les éducateurs et enseignants d’être très attentifs à ce qui se passe en classe et dans la cour. Travailler sur le climat et les dynamiques de groupe au sein des classes est en outre la première des préventions (lire en p.8).
(1) Les chiffres varient entre 10 à 30%, selon les études.
Un changement d’humeur, une perte d’envie d’aller à l’école, d’appétit, de sommeil peuvent, comme n’importe quelle expression de mal-être, alerter sur le fait qu’un enfant subit du harcèlement, mais il n’existe pas de "symptôme" spécifique. Favoriser des moments de partage réguliers va permettre à l’enfant de ventiler ses problématiques, conseille Benoit Galand. S’il évoque un conflit, plusieurs éléments doivent nous alarmer. Les agressions se répètent et s’installent dans la durée. Et la relation est déséquilibrée, non réciproque. L’un souhaite que cela stoppe et l’autre continue. Contrairement à l'idée reçue selon laquelle la victime serait passive, celle-ci a souvent essayé différentes stratégies pour que cela s’arrête, tels que riposter, jouer sur l’humour, l’ignorer, en parler… Mais rien n’a fonctionné et elle finit par se résigner devant l’autre qui revient à la charge, encore et encore. Enfin, la relation harceleur-harcelé s’inscrit dans un groupe. D’autres élèves sont témoins de ce qui se passe sans réagir, rigolent, voire participent… Depuis quand ça dure ? Comment ça se passe ? Comment as-tu réagi ? Qu’est-ce que ça te fait ? Sont autant de questions que vous pouvez poser à votre enfant s’il se confie à vous.
La détresse émotionnelle ressentie par un élève harcelé n’est pas anodine. Être la cible de rejet et de mauvais traitements entraine de réels symptômes anxieux et dépressifs, des plaintes psychosomatiques (maux de ventre, etc.) et une augmentation du risque d’automutilation et d’idées suicidaires, avec un risque parfois de passage à l'acte. C’est pourquoi Benoit Galand invite à sonder le niveau de souffrance du jeune et à réagir sans tarder. S’il évoque un scénario (du type "je devrais me jeter d'un pont"), c'est un signe de grand danger. Au-delà des risques à court terme, faut-il craindre que son enfant soit marqué à vie ? "Généralement, les jeunes récupèrent assez bien une fois que le harcèlement s’arrête, rassure Benoit Galand. Toutefois, plus le harcèlement est long et intense, plus les effets seront durables."
Les témoins ressentent également beaucoup de stress. "Souvent, ils ont de l’empathie pour la personne visée mais ne savent pas comment réagir ni comment s’interposer, sans que cela leur retombe dessus". Quant aux auteurs, les études montrent un risque accru de développer d'autres comportements violents et délinquants et de consommer des psychotropes. Certains élèves sont à la fois auteurs et victimes et cumulent les deux types de problématiques.
Est-ce le manque d'empathie qui pousse certains enfants à se comporter en harceleurs ? Benoit Galand réfute. "Les études scientifiques ne confirment pas cette idée reçue. La plupart des auteurs ne manquent pas de compétences sociales et émotionnelles. Ils sont tout à fait capables de se mettre à la place d’autrui mais se trouvent des raisons de ne pas se soucier du ressenti de cette personne. Pour se désengager moralement, ils minimisent l’impact de leurs actions (c’est juste pour rigoler, je ne suis pas le seul...) ou les justifient en reportant la responsabilité sur l’autre (il le mérite car son comportement est dérangeant, il est faible...).Mais alors, qu’est-ce qui incite certains élèves à en harceler d’autres ? "L’occasion fait le larron, répond Benoit Galand. Souvent, ce sont des enfants qui ont tenté quelques moqueries sur une différence quelconque et personne ne les a arrêtés, ni désapprouvés. Et l’élève se rend compte du sentiment de puissance et d’influence qu’il ressent et du nouveau statut social que cela lui confère au sein du groupe. Les gens le respectent, le craignent un peu… Face à ces bénéfices, pourquoi arrêterait-il ?"
De l'autre côté de la barrière, le harcèlement entraîne celui qui en est la cible dans un cercle vicieux où détresse émotionnelle et persécution s’auto-alimentent, analyse Benoit Galand. Plus la personne est persécutée, plus elle perd confiance en elle, en ses compétences sociales, plus elle est vulnérable et s’isole socialement. Plus la persécution s’intensifie… Pour briser ce mécanisme, aider le jeune à renforcer son tissu social peut l’aider à reprendre confiance, suggère le spécialiste, qui a rencontré de nombreuses victimes et leurs parents. Par exemple inviter à une activité quelques copains de la classe pour renforcer les liens, afin de pouvoir compter sur des alliés dans la cour et être moins isolé face au harceleur. Mais aussi développer d’autres lieux de socialisation, pour réaliser qu'il y a d'autres contextes où cela se passe bien pour lui.
"Parce qu'on est dépendants de la réaction du harceleur, des témoins, de l'école… Il n’y pas malheureusement pas de solution miracle pour faire stopper le harcèlement, observe Benoit Galand. Mais réfléchir avec l'enfant sur ce qu'il a testé et sur les attitudes qu'il pourrait adopter la prochaine fois qu'on l'ennuie peut se révéler utile. Pourquoi pas avec les frères et sœurs". Autres points d'attention : lui rappeler que le problème ne vient pas de lui, que ce qu'il subit n’est pas normal. Le rassurer sur l’aide qu’on peut lui apporter sans pour autant le déposséder de la situation. Expliquer concrètement ce qu'on compte faire, avec son accord. Notamment contacter l’école pour voir s’ils sont au courant et demander ce qu’ils ont prévu. "Si l'école ne semble pas prendre les choses suffisamment au sérieux et que l'enfant est en souffrance, il ne faut pas hésiter à aller frapper à d’autres portes !", insiste le psychologue. On peut se tourner vers le PMS ou les AMO, des services d'aide à la jeunesse.
Si on a des preuves, telles que des traces de coups (à faire attester par un médecin) ou des captures d'écran, aller porter plainte et en informer l'école peut aider à faire bouger les choses. Face à un cyberharcèlement, la justice a également un pouvoir d'injonction sur les plateformes pour faire retirer des contenus rapidement. "Il est bon d'agir à divers niveaux car on ne sait pas prédire ce qui va fonctionner. Parler à d'autres enfants harcelés et leurs parents, via une association, peut aussi aider", encourage Benoit Galand.
Benoit Galand, psychologue
Dans son livre "Le harcèlement à l’école, mythes et réalités", Benoit Galand a analysé les nombreuses études scientifiques tentant de décrypter ce phénomène depuis la fin des années 70. En s’appuyant sur les résultats des travaux de recherche, il déconstruit ou nuance dix idées reçues. Deux exemples :
"Les filles sont davantage victimes que les garçons"
> La proportion d'élèves victimes est identique parmi les filles et les garçons. Mais les garçons sont proportionnellement plus nombreux à être auteurs.
"Le harcèlement à l'école est lié à l'origine sociale ou ethnique”
> La proportion de harceleurs est la même dans tous les milieux sociaux. Néanmoins les élèves issus de milieux défavorisés semblent avoir un peu plus de risques d'en être victimes.
"Le cyberharcèlement est plus répandu et plus grave"
> Le harcèlement en face à face est nettement plus répandu. Le cyberharcèlement n’a pas forcément plus d’impact. C’est souvent plutôt un prolongement d'un harcèlement à l’école, où l’enfant connaît le responsable.