Familles

Harcèlement scolaire : regarder, parler ou se taire

Au moins un enfant sur dix serait touché par le harcèlement scolaire. Moqueries, violences morales ou physiques, actes délibérés et répétés, le harcèlement existe dans tous les milieux et il dépasse aujourd'hui l'école avec l'utilisation des réseaux sociaux. En parler reste le meilleur moyen d'amorcer un changement.

Publié le: 29 novembre 2022

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Sandrine Cosentino

7 min

Scène d'harcèlement scolaire

Photographie: ©AdobeStock

"C'est la première fois que je viens dans une école où il n'y a pas de harcèlement." Thomas Delvaux commence son spectacle "C'était pour rire" devant quatre classes de première secondaire au Collège Saint-Michel à Etterbeek. Cette petite phrase n'est pas si anodine car elle renvoie au refus de certains établissements de regarder la réalité en face. Parmi les formes de mal-être à l’école, le harcèlement est la plus courante chez les adolescents. En 2018, le harcèlement scolaire et le cyber-harcèlement étaient plus répandus en fin de primaire que dans le secondaire, selon l’enquête "Comportements, bien-être et santé des élèves" menée par le Sipes auprès des élèves scolarisés de la 5e primaire à la 7e secondaire en Belgique francophone. Un élève de 5e et 6e primaire sur dix a déclaré être victime de harcèlement à l’école et 2 % de cyber-harcèlement, tandis que respectivement 5 % et 1,5 % des élèves du secondaire en étaient victimes.

Après quatre ans et près de 400 représentations derrière lui, Thomas Delvaux maitrise les codes pour attirer l'attention du public scolaire et il n'hésite pas à interpeller les élèves de manière directe. Son spectacle met en scène quatre profils de jeunes : Kimberley, une jeune fille qui vit au travers de son écran ; Aldo, le fan de foot à qui personne n'ose dire non ; Pascal ayant une maladie dégénérative de la vue et souffre-douleur d'Aldo et enfin, Doudou, subissant des moqueries sur sa couleur de peau et son mode de vie. Le personnage de Kimberley apostrophe une jeune fille du public sur ses cheveux et une autre sur sa tenue vestimentaire. En début de spectacle, les rires accompagnent les vannes lancées par le comédien. "Un peu de harcèlement dans votre vie pimentera votre quotidien", essaie de convaincre Pascal, le plus timide de la bande.

Relation triangulaire

Pour Emmanuel Debecker, pédopsychiatre à l'UCLouvain, dans son article "Le harcèlement scolaire : un phénomène maltraitant particulier", le harcèlement en milieu scolaire se définit comme un comportement agressif, intentionnel et répétitif à l’encontre d’un enfant qui ne parvient pas à se défendre efficacement. Il se caractérise donc par des violences répétées souvent peu visibles aux yeux des adultes.

Un autre élément très important doit être pris en compte. Dans le livre "Harcèlement et brimades entre élèves, la face cachée de la violence scolaire", Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette s'attardent également sur le rôle des pairs dans la constitution de ce harcèlement : "Il se distingue des autres formes de harcèlement – comme celui existant dans le cadre professionnel ou familial – par le fait qu’il est presque toujours un phénomène de groupe. […] La présence du groupe semble même être l’une des conditions nécessaires à son existence."

"Toi qui es à côté, tu es témoin, tu es spectateur", répète Thomas Delvaux dans son spectacle "C'était pour rire". Le public devient, malgré lui, témoin des remarques racistes de Pascal envers Doudou ou des insultes machistes d'Aldo envers Kimberley. Mais les jeunes spectateurs s'opposent aussi à Aldo lorsqu'il leurs demande de le soutenir face aux accusations de Pascal. Alors Aldo s'énerve : "C'est quoi ce collège de merde !" Un jeune du premier rang se lève, prêt à en découdre, alors que ses copains le rattrapent par la veste. "Le but de mon spectacle est de les faire réagir et j'ai vraiment cru que ce jeune allait régler son compte à Aldo, car le personnage provoque le public tout au long du spectacle, confie Thomas Delvaux. Il arrive aussi que certains élèves quittent la salle car les propos font trop écho à leur réalité." La conseillère principale en éducation (CPE) du Collège Saint-Michel, Julie Stasse, insiste : "Le spectacle permet aux élèves de se rendre compte de l'impact des mots sur leur personne." En forçant le trait des personnages, le comédien, seul en scène, aborde les différentes formes de harcèlement : les violences verbales et physiques, le racket, le racisme, le cyberharcèlement.

De la prévention et des interventions

La prévention est importante et le spectacle proposé par Thomas Delvaux est un outil parmi d'autres pour parler de cette thématique et révéler certains non-dits. Mais lorsque la parole se libère, il est primordial que les victimes sentent qu'elles sont soutenues et qu'il y a des actes forts de la part de la direction pour régler la situation. "Il y a une injonction très forte à agir qui pèse sur les profs. Mais nombreux sont celles et ceux qui ne savent pas comment intervenir, faute de formation", précise David Plisnier, coordinateur du centre de référence et d'intervention sur le harcèlement à La Louvière, dans l'article "Harcèlement scolaire : au bout du tunnel, une éclaircie" du Ligueur. "Dans l'école, c'est tolérance zéro, assure Julie Stasse, CPE au collège Saint-Michel. Je fais des formations et j'ai des outils parfois opposés. Un va prôner la médiation et l'autre pas du tout car cela peut mettre les élèves dans des positions compliquées. Je dois m'adapter à chaque situation et il n'y a pas d'outil parfait. Je fonctionne aussi avec mon feeling et j'utilise souvent la médiation car je constate que cela fonctionne dans de nombreux cas."

Plus d'infos : Spectacle "C'était pour rire" écrit par Bou Bounoider et joué par Thomas Delvaux • de la 5e primaire à la 3e secondaire • 45 minutes + 15 minutes de questions-réponses • thomasdelvaux.be/cetait-pour-rire • 0476 57 52 30