Familles

La Rilatine, une consommation interpellante chez les enfants

Le service d'étude de la MC s'est penché sur le suivi des enfants et adolescents qui recourent au traitement médicamenteux du trouble de l'attention. Malgré de longues durées de traitement, la moitié ne bénéficie d'aucun suivi par un professionnel de la santé mentale.

Publié le: 18 janvier 2024

Mis à jour le: 26 septembre 2024

Par: Joëlle Delvaux

10 min

Un élève sur son smartphone dans une classe de cours

Photo: Dans leur classe, les garçons les plus jeunes (nés entre octobre et décembre) sont plus nombreux à consommer de la Rilatine que les plus âgés. Une différence qui ne s'explique pas médicalement et questionne le système éducatif. © AdobeStock

Depuis presque 50 ans, le méthylphénidate est prescrit pour la prise en charge du trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Ce psychostimulant influence de manière substantielle le fonctionnement cognitif et affectif ainsi que les comportements. En Belgique, deux spécialités – la Rilatine® et l'Equasym XR® – sont remboursées par l'assurance obligatoire soins de santé (AO) (sous conditions) aux enfants de 6 à 17 ans diagnostiqués TDAH.
 

Le service d'études de la MC a analysé les données de facturation de ces deux psychostimulants chez ses membres depuis 2013. Les résultats de la recherche sur La prise en charge médicamenteuse du TDAH en  Belgique, publiés en janvier 2024 sont interpellants à plusieurs égards, 
Premer constat : en 9 ans, le recours à ces substances – en grande majorité la Rilatine – a augmenté de 20 % chez les 6-17 ans. Globalement, 2,4 % des enfants et adolescents reçoivent des prescriptions. Les garçons sont trois fois plus nombreux que les filles.

Des risques de surmédicalisation

Deux constats interpellent d'emblée. D'une part, c'est dans la tranche d'âge des 12 à 15 ans et chez les garçons les plus jeunes de la classe (nés entre octobre et décembre) que le traitement au méthylphénidate est le plus prescrit. "Des facteurs non médicaux semblent influencer la pratique médicale, avance Svetlana Sholokhova, chercheuse au service d'études de la MC. Cela peut résulter d'une pression scolaire accrue sur les ados, et questionne le système éducatif. Le recours à la Rilatine est parfois présenté comme une solution aux comportements perturbateurs alors qu’il s’agirait d’une moindre maturité par rapport aux camarades plus âgés dans la classe."
D'autre part, le recours aux psychostimulants est beaucoup plus élevé en Flandre (2,9 %) qu'en Wallonie (1,1 %) et qu'à Bruxelles (0,6 %). Des différences peu explicables du point de vue médical. Une hypothèse serait qu'au nord du pays, on suit plus volontiers le "modèle" anglo-saxon qui psychiatrise et médique davantage les problèmes psychiques. La pression familiale et scolaire sur le plan de la réussite peut être aussi un facteur explicatif.

Un usage loin d’être anodin

Le psychostimulant est prescrit durant sept ans en moyenne chez les enfants qui débutent leur traitement à six ans. Dans un quart des situations, le renouvellement s'étend sur au moins 11 années… Une partie de ces jeunes poursuivent très probablement le traitement à l'âge adulte, mais nous n’en avons pas de trace dans les données de nos membres puisque le médicament n’est plus remboursé après 17 ans.
"La longue durée de la consommation de méthylphénidate est problématique car on manque cruellement d'études cliniques sur les effets de son usage prolongé, analyse Svetlana Sholokhova.Or, ce médicament est consommé par de jeunes enfants dont le corps et le cerveau sont en plein développement." En outre, ce psychostimulant entraîne des effets secondaires fréquents comme des troubles du sommeil, une diminution de l’appétit, des maux de tête. Ces problèmes réduisent significativement la qualité de vie.

Cette durée extrêmement longue n'est hélas pas surprenante. Il n'existe pas de recommandation médicale explicite à ce propos. Dans le trajet officiel du suivi du TDAH, on ne dit pas grand chose sur l'usage prolongé du traitement. On n'explique pas non plus comment accompagner l'arrêt de la médication ni ce qu'il faut faire à l'âge de 18 ans. "Pour le jeune et ses parents, la tentation est grande de poursuivre une médication qui a des effets immédiats sur le comportement", admet la chercheuse. Toutefois, une étude récente sur l’efficacité du traitement au-delà de deux ans montre que pour la plupart des patients, l’arrêt de la médication ne s’accompagne pas d’une détérioration de la situation ni de l’aggravation des symptômes.

Un cocktail de psychotropes

L'étude met également en lumière une tendance alarmante à faire usage de plusieurs psychotropes en même temps. "Pour soigner les effets secondaires des psychostimulants, les enfants se voient prescrire de plus en plus souvent d’autres médicaments, par exemple un anxiolytique pour les troubles de sommeil. On constate aussi la prescription d'antipsychotiques ou d'antidépresseurs", s'émeut l'auteure de l'étude. En 2022, 1 enfant sur 13, traité pour le TDAH, s'est vu prescrire des antipsychotiques au cours de la même année. C'est deux fois plus qu'en 2013. Quant aux antidépresseurs, 1 adolescent sur 20 en consomme. Les enfants défavorisés (statut BIM) sont davantage concernés que les enfants aisés, "sans doute parce qu'ils accèdent plus difficilement aux soins psychologiques".
L'usage de la clonidine questionne aussi. Prescrit habituellement en cas d’hypertension, ce médicament semble être utilisé pour traiter des effets secondaires du méthylphénidate comme l’insomnie. Même si le pourcentage d’enfants concernés est très bas, le fait qu’il ait doublé en dix ans est préoccupant. En effet, ce médicament ne peut pas être administré aux moins de 18 ans !

Un manque de suivi psy

Pour que la Rilatine et l’Equasym soient remboursés, le diagnostic du TDAH doit avoir été posé par un (pédo)psychiatre ou un neurologue (pédiatrique). Souvent, il est précédé d'un (coûteux) bilan neuropsychologique réalisé chez un psychologue. Le médecin spécialiste doit établir un rapport écrit assurant que les "symptômes sont insuffisamment contrôlés par des mesures psychologiques, éducatives et sociales appropriées" et que "le traitement médicamenteux fait partie d'un plan de traitement global qui comprend les mesures précitées". Il est en effet recommandé que la prise en charge du TDAH soit d'abord non médicamenteuse, avec notamment de la psychoéducation et un suivi psychologique.
Le premier remboursement est autorisé par le médecin-conseil de la mutualité pour maximum 6 mois. L'autorisation est renouvelable par période d'un an maximum. Chaque fois, le spécialiste doit soumettre un rapport qui démontre que la poursuite du traitement est médicalement justifiée.
Ces conditions pourraient laisser à penser que l'enfant qui se voit prescrire des substances psychoactives soit suivi par un médecin spécialiste. Pourtant, 14 % des enfants n’ont rencontré ni psychiatre ni pédiatre ni neurologue au cours de l’année 2022. Seulement la moitié des enfants ont vu un psychiatre. Certes, la toute grande majorité ont consulté un médecin généraliste au moins une fois cette année-là. Mais rien ne dit que le suivi du TDAH (notamment le bon développement de l’enfant et la gestion des effets secondaires) a été réalisé à cette occasion.

Le suivi psychologique des enfants TDAH reste également très limité : seulement 15 % en ont bénéficié en 2022 (qu'il s'agisse des soins psychologiques de première ligne remboursés par l'AO ou des consultations chez un psychologue, remboursées via l'assurance complémentaire de la MC). Or, une étude américaine publiée en 2007 prouve qu'à partir de trois ans de traitement médicamenteux, l'efficacité de la prise en charge psychologique est comparable. "Il est nécessaire d'améliorer l’accès aux soins psychologiques pour permettre aux enfants précarisés d'y recourir", commente la chercheuse. On peut donc se réjouir de voir les soins psychologiques de première ligne entièrement pris en charge par l'AO (donc sans ticket modérateur) jusqu'à l'âge de 23 ans inclus. C'était une des revendications majeures exprimées par la MC dans son mémorandum politique au chapitre consacré à la santé mentale. Mais il faut veiller à garantir aussi la disponibilité des services et l'adéquation des soins psychologiques au TDAH.