Familles

Maternité : entre attentes et réalité

De nombreuses futures et nouvelles mamans ressentent une forte pression face aux injonctions sociales, souvent contradictoires, qui les entourent. Comment s’en libérer ?

Publié le: 24 mars 2025

Mis à jour le: 27 mars 2025

Par: Valentine De Muylder

7 min

Une maman ressent des injonctions sociales pour prendre soin de son bébé

Photo: © AdobeStock // Il est important de parler de la pression sociale que l’on ressent, et idéalement de s'y préparer avant l'arrivée de bébé...

Il ne se trouve pas sur la liste et pourtant il est là, soigneusement plié dans la plupart des valises de maternité. Le sentiment de culpabilité. Cette impression de ne pas y arriver, d’en faire soit trop, soit pas assez... 

"Une fois que le bébé est là, la réalité ne correspond pas toujours à ce que la maman avait imaginé, constate Manon Gobeaux, sage-femme libérale et chargée de projets en Prévention et promotion de la santé pour la MC. En même temps, elle se retrouve confrontée aux témoignages, aux publicités, aux films, aux réseaux sociaux qui lui vendent un après-naissance épanoui, un allaitement qui fonctionne super bien, un papa et une famille aux petits soins…"

Elle qui accompagne des femmes et des couples depuis leur désir d’enfant jusqu’à ce que leur bébé ait un an est bien placée pour observer la manière dont une certaine pression sociale s’installe dans leurs vies. Parfois alimentée par les conseils bien intentionnés de l’entourage: "Pas plus tard qu’hier, j’ai accueilli une femme enceinte qui m’a dit : 'Je sens toute cette pression qu’on met sur moi, du côté de ma famille et de ma belle-famille, j’aurais besoin d’en parler.'

Si je choisis de donner un biberon…

L’allaitement est le sujet par excellence qui cristallise les jugements, continue la sage-femme. "J’ai été très interpellée par une femme qui m’a dit un jour : 'Si jamais je change d’avis et que je choisis de donner un biberon, est-ce que vous continuerez à m’accompagner ?' Oui, évidemment ! Si une patiente  me demande ce qui est le mieux entre le lait maternel et le lait artificiel, je dois répondre que d’un point de vue scientifique c’est le lait maternel. Mais si elle hésite, on discute ensemble des points positifs et négatifs de chaque choix pour lui permettre de prendre une décision qui sera la bonne pour elle."

La pression sociale ne s’arrête pas là. Certaines mamans s’inquiètent d’allaiter en public. "Je ne compte plus le nombre de mamans qui me demandent : 'Est-ce que je vais pouvoir allaiter en dehors de chez moi ? Est-ce qu’on va me regarder ?'" Sans compter qu’au sein de leurs familles, certaines femmes se sentent jugées parce qu’elles allaitent, et d’autres parce qu’elles donnent le biberon… "Quoi que vous fassiez, il y aura toujours quelqu’un pour voir les choses différemment et porter un jugement. Ce qui importe, c’est ce qui est juste pour vous et votre bébé."

Un monde de contradictions

Car les injonctions sociales autour de la parentalité ont l’art d’être contradictoires. Un couple hétérosexuel sans enfants, se verra sans cesse demander : "C’est pour quand ?". Mais s’ils ont plus que deux enfants, on se met à les prendre pour des inconscients… "Et c’est comme ça dans presque tous les domaines de la parentalité", poursuit la sage-femme. Notamment dans le rapport au travail : "De manière générale, et c’est très fort ici en Europe centrale, on attend des femmes qu’elles travaillent comme si elles n’avaient pas d’enfants, et qu’elles élèvent leurs enfants comme si elles n’avaient pas de travail."

Comment rester sereine quand on se sent tiraillée entre des attentes inconciliables ? Manon Gobeaux en est intimement convaincue : il est important de parler de la pression sociale que l’on ressent, et idéalement d’y préparer les parents avant le passage de la "tornade" de fatigue et d’informations en tous genres que représente l’arrivée d’un bébé. "Dans le cadre de la préparation, je discute avec le couple de comment on prend soin de soi, comment on se respecte quand on devient parent. Plus on gagne en confiance en soi, mieux on arrive à poser des limites. Avec soi, mais aussi vis-à-vis des autres. Et ça, c’est souvent une clé pour rétablir un peu l’équilibre."

Dialogue des générations

Les remarques des parents ou des beaux -parents peuvent être une source de tensions supplémentaires. "Tu (ne) devrais (pas) faire ça", "Tu verras, ce sera comme ça"…  "On revoit ensemble le principe que les futurs parents seront les adultes responsables du bébé, et comment initier le dialogue afin d’éviter que la 'cocotte-minute' explose." Chacun, chacune a son vécu et il peut y avoir un "choc des générations", rappelle-t-elle : "Ce qu’on faisait il y a trente ans n’est plus ce qu’on préconise maintenant."

Son conseil ? Pouvoir dire à ses proches : "J’entends ce que tu me dis et je t’en remercie. Mais j’ai besoin de faire ma propre expérience. Par contre, si j’ai besoin d’aide, je serai ravie que ta porte soit ouverte pour que je puisse te solliciter." Et d’ajouter que les choses peuvent se corser quand la pression ressentie émane de la belle-famille : "Ce n’est pas toujours facile à exprimer face à son ou sa partenaire, qui peut le vivre comme un jugement au sujet de sa famille, le terreau qui l’a vu grandir. Cela demande beaucoup d’écoute. En cas de conflit, je conseille de  parler toujours en 'je': parler de soi, de ce qu’on ressent, de ce qu’on perçoit, sans basculer dans le jugement."

Plus de place pour le coparent

Les pères ou coparents peuvent être des alliés face à la pression sociale ressentie par les mamans, ajoute-t-elle. Mais cela implique de leur donner une place pour s’intégrer dans le début de vie de leur bébé : "Pour le moment, les mères restent trois mois à la maison, et les pères ou coparents ont droit à vingt jours ouvrables de congé, si tant est qu’ils ou elles les prennent. Les mères restent donc longtemps seules, en journée, avec leur bébé. Elles multiplient les efforts, augmentent leurs connaissances… Et la pression de la réussite — lorsqu’il s’agit de faire accepter un biberon au bébé pour aller à la crèche, par exemple — finit par reposer majoritairement sur leurs épaules. Offrir la possibilité aux deux parents d’aménager un congé de naissance plus long permettrait de soulager cette pression."

Une autre piste d’action, au niveau sociétal, réside à ses yeux dans l’éducation aux médias, et aux réseaux sociaux en particulier : "En matière de périnatalité, on trouve pléthore d’informations en ligne, avec des choses qui ne sont pas forcément vraies et potentiellement culpabilisantes." On y est également confronté à une image très idéalisée de la maternité : "Des corps sublimes de femmes enceintes, des maisons impeccablement rangées au retour de la maternité, des petits plats incroyables quand on a un bébé de trois semaines… Hormis sur les réseaux sociaux, je n’ai jamais vu ça !"

"Ne regardez pas, ce n’est pas rangé"

Les femmes qu’elle accompagne ont beau ne pas être dupes, "quand elles sont dans leur bazar chez elles, avec des tasses de thé qui trainent partout, les couches, et tout ce qu’on peut imaginer,… ça peut alimenter chez certaines le sentiment de culpabilité, constate Manon Gobeaux. La première chose qu’on me dit lors de mes visites à domicile en post-partum c’est : 'Ne regardez pas, ce n’est pas rangé'. Je les rassure : une maison où il y a un nouveau-né n’est pas rangée. C’est comme ça. Mais il y a un peu cette pression à déconstruire."