Soins de santé
Pour 1 à 5% d'enfants et de jeunes, l'école suscite une anxiété telle qu'ils n'arrivent plus à s'y rendre. Une source de souffrance peu connue mais bien réelle, y compris pour les parents.
Publié le: 23 février 2022
Par: Valentine De Muylder
7 min
Photographie: (c)AdobeStock
"Du jour au lendemain, mon fils n'a plus voulu aller à l'école, confie une maman. Il n'avait jamais eu de problème avant, et ne parvenait pas à exprimer ce qui n'allait pas. J'ai d'abord essayé de le pousser à y aller, jusqu'à ce que je comprenne que ça ne servait à rien".
Cette famille est loin d'être la seule dans cette situation. Entre 1 et 5% des enfants en âge scolaire souffriraient de refus scolaire anxieux, selon Mouna Al Husni Al Keilani, pédopsychiatre à l'Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola. "On parle de refus scolaire anxieux quand un enfant ou un jeune n'arrive plus, ou plus complètement, à aller à l'école", explique-t-elle. Les symptômes varient fortement: "Il peut avoir des crises de pleurs, de panique, d'agitation, ou encore de colère quand ses parents essayent de l'y emmener". Souvent, c'est le corps qui s'exprime. On retrouve alors des plaintes "somatiques" comme des maux de tête ou des maux de ventre inexpliqués.
Si ces jeunes présentent souvent une personnalité ou des troubles anxieux préexistants observe la pédopsychiatre, il n'existe pas de facteurs de risques spécifiques au refus scolaire anxieux. Mais "des facteurs de stress peuvent le favoriser, comme des difficultés d'apprentissage, du harcèlement ou des difficultés relationnelles avec les pairs".
Le problème touche autant les enfants que les adolescents, même s'il est plus fréquent de le rencontrer en fin de primaire et en début de secondaire. "La différence, c'est que chez les enfants, en général, le refus scolaire arrive de manière assez brutale. Du jour au lendemain, ils ne veulent plus aller à l'école. Alors que chez les ados, cela s'installe de manière plus insidieuse, les absences s'aggravent progressivement".
Précision importante: "le refus scolaire n'est pas forcément conscient, ce n'est pas quelque chose que les enfants ou les jeunes qui en souffrent ont décidé", précise la Dr Al Husni. En ce sens, le terme de "refus" peut prêter à confusion. C'est pourquoi l'expression "phobie scolaire", moins "médicalement correcte", reste très utilisée.
Si l'anxiété de ces enfants se manifeste en général avant d'aller à l'école, le dimanche soir ou le lundi matin, elle a tendance à s'apaiser pendant les vacances, les week-ends et les périodes d'absences. C'est le propre des troubles anxieux, explique la pédopsychiatre : "On ressent de l'anxiété quand on est confronté à ses difficultés. On peut donc développer ce que l'on appelle des stratégies d'évitement."
Les confinements et fermetures de classes liées à la crise sanitaire ont d'abord soulagé les enfants et les jeunes qui souffraient ou risquaient de souffrir de refus scolaire. Mais le contrecoup a été rude : "le problème, c'est que plus on l'évite, plus l'anxiété ressentie au moment de retourner à l'école est dure à surmonter". En fin de compte, la crise du covid a donc eu pour effet d'aggraver leurs difficultés.
Chaque situation étant différente, une prise en charge personnalisée est recommandée. Elle variera en fonction du diagnostic, mais aussi du partenariat qu'il est possible de mettre en place avec les acteurs thérapeutiques, l'école, le jeune et sa famille. "Parfois, des aménagements scolaires vont suffire pour que l'enfant se sente rassuré et en sécurité", explique la pédopsychiatre. Cela peut passer par une diminution du temps de fréquentation scolaire. Un mi-temps thérapeutique peut être négocié en accord avec l'école pour soulager le jeune tout en maintenant le lien avec l'établissement scolaire, pour qu'il reste exposé à son anxiété et apprenne à la gérer. "Dans les cas les plus sévères, il arrive qu'une hospitalisation soit nécessaire. Et dans l'entre-deux, il y a les centres de jour et les structures spécialisées".
Parmi ces structures, on trouve des établissements d'enseignement spécialisé de type 5, qui permettent à des élèves malades ou en convalescence de poursuivre leur cursus scolaire dans un cadre adapté, jusqu'à ce qu'ils puissent réintégrer leur école d'origine. Certains accueillent des jeunes en refus scolaire anxieux, comme l'école Léopold Mottet, à Liège, l'école Escale, qui dispose de plusieurs implantations à Bruxelles et dans le Brabant wallon, ou encore Les Ados de Robert Dubois, à Bruxelles. Ce dernier projet a la particularité d'être destiné spécifiquement à ce public. Autre aide possible: celle des services d'accrochage scolaire (SAS), qui accueillent et aident temporairement des élèves en situation d'absentéisme, de décrochage ou de crise.
Chacune de ces structures a ses spécifités et des conditions d'accès qui lui sont propres. Mais dans les SAS comme dans les écoles spécialisées, les places sont limitées et ne suffisent pas à répondre à la demande croissante. À cette période de l'année, les listes d'attente sont longues, nous dit-on de tous côtés. Un constat inquiétant, quand on sait que les services de pédopsychiatrie sont également surchargés et que les délais pour obtenir un rendez-vous peuvent être importants. Le temps est pourtant un allié précieux dans la prise en charge du refus scolaire anxieux. "Les études montrent que plus la durée de déscolarisation est longue, plus le pronostic de retour à l'école est mauvais", avertit la Dr Al Husni.
"Quand ça m'est tombé dessus, je me suis sentie démunie" se souvient Saskia Claes, psychologue clinicienne. La maman du début, c'est elle. "En tant que parent, on cherche de l'aide et de l'information", confirme son amie Fabienne Ellenbecker, assistante sociale et également maman d'un jeune qui n'arrive plus à se rendre à l'école. Fortes de leurs compétences professionnelles et de cette expérience personnelle, les deux femmes ont fondé il y a deux ans L'Anatole, une association qui propose des groupes de parole aux parents d'enfants souffrant de refus scolaire anxieux.
Car dans la tête de ces parents, les questions se bousculent: comment continuer à travailler si son enfant ne va plus à l'école? Et comment faire pour qu'il y retourne? Après tout, aller à l'école est une obligation... Le parent est donc tenu de chercher une solution. "Mais c'est très complexe, il n'y a pas de baguette magique" regrette Fabienne Ellenbecker. "Nos groupes de parole sont un espace pour déposer cette frustration et apprendre à l'accepter, à être plus indulgent envers soi-même."
"Les parents ont également besoin d'être reconnus, plaide Saskia Claes. Beaucoup sont confrontés à la pression sociale de l'entourage, même bienveillant, qui ne comprend pas la situation et dit: 'allez, un peu plus de fermeté et ça ira!' ou 'de mon temps ça n'existait pas'". Les professionnels ne sont pas toujours familiers non plus de la phobie scolaire, et les parents se sentent parfois remis en question dans leurs compétences. "Il y a une forme de culpabilité, en tout cas au début. On se dit: 'mais qu'est-ce qu'on a fait?'"
"Il faut être costaud pour accompagner son enfant le mieux possible", conclut Fabienne Ellenbecker. "Car en tant que parent, on peut répercuter la pression que l'on ressent sur notre enfant, ce qui ne fait qu'envenimer la situation. Se sentir soutenu permet de ne pas rentrer dans l'escalade, par le chantage ou la violence... En cela aussi, je pense que c'est vraiment important que la parole des parents soit entendue".
L'Anatole • [email protected] • 0468/479.349 • lanatole.be
Les Ados de Robert Dubois • ecolerobertdubois.be
École Léopold Mottet • lmottet.be
L'école Escale • ecole-escale.be
Services d'accrochage scolaire • liste et contacts disponibles sur le site de la Fédération Wallonie-Bruxelles: enseignement.be