Familles

Travail et famille : les parents sous pression !

Horaires serrés, employeurs pas toujours flexibles, manque de solutions de garde, difficultés financières, inégalités… Les parents peinent à concilier vie professionnelle et familiale. Au point de questionner notre modèle de société. 

Publié le: 14 août 2024

Mis à jour le: 26 septembre 2024

Par: Barbara Delbrouck

8 min

Femme qui peine à travailler alors que son enfant est à côté

Photo: ©Adobe Stock - Beaucoup se sentent écartelés entre l'envie d'être un travailleur performant et un parent investi.

Un sprint constant qui épuise les parents

Lorsque la cloche de l'école sonne, la plupart des parents sont encore au travail. Heureusement, la garderie fait le relais… Mais ça reste serré ! "À la naissance de mon fils, j'ai beaucoup souffert des remarques de mes collègues, raconte Sandra. Avec les trajets, je devais partir à 16h30 pour arriver avant 18h. Et je passais pour une tire-au-flanc au bureau." Pourtant, les parents ne chôment pas ! Une fois les enfants récupérés, la course continue. Devoirs, repas, bain, mise au lit… Ensuite, il ne reste qu’un bout de soirée pour rattraper tout ce qu'ils n'ont pas pu faire. Et c'est reparti le lendemain ! Sans parler des activités parascolaires, des maladies, des réunions de parents, des vacances scolaires à gérer... Un sprint constant qui contribue à l'épuisement de nombreux parents/travailleurs. Ceux-ci sont "en apnée", alerte La Ligue des familles, dans son baromètre 2024. Et les inégalités sociales et de genre pèsent dans la balance… 

Pas tous égaux face à la parentalité  

En tête de liste des difficultés relayées par les parents, le manque de solutions de garde. Un tiers n’ont pas trouvé de places en crèche au moment où ils en avaient besoin ! Ce qui a mené 23 % des répondants — souvent des femmes — à réduire ou arrêter provisoirement le travail. La gestion des maladies s'avère également un casse-tête. Au quotidien, l'équilibre varie beaucoup en fonction des atouts dont les parents disposent pour faire face à leur double casquette : aide des grands-parents, employeur conciliant, soutien d'un co-parent, ainsi que moyens financiers… Les personnes à bas revenus subissent une double peine, analyse la Ligue des familles. Elles ont souvent moins de jours de congés payés et d'absences autorisées pour enfant malade, moins d'accès au télétravail… et moins de ressources pour payer des stages, une crèche privée ou se "permettre" la prise d'un congé parental. Celui-ci est souvent jugé trop peu rémunérés… 

Les femmes en première ligne  

En Belgique, comme dans bien d'autres pays, les femmes sont encore majoritairement en charge des tâches concernant les enfants1. 61 % d'entre elles estiment difficile ou impossible de travailler à temps plein (contre 37 % des hommes). Ce qui se confirme dans les chiffres de Statbel2 : 40,2 % des femmes salariées travaillent à temps partiel, contre 12,1 % des hommes. Avec pour raison première les soins aux enfants ou à d'autres (motif placé en 5e position chez les hommes). Dans un monde où il devient de plus en plus difficile de subvenir à une famille sans deux salaires pleins, la question du modèle sociétal se pose… "Pour comprendre les difficultés actuelles, il faut se rappeler d'où on vient, souligne Bernard Fusulier, professeur de sociologie à l'UCLouvain. Notre société s’est construite sur le modèle de l’homme gagne-pain et de la femme pourvoyeuse de soin." Chacun se consacrait exclusivement à un rôle et un seul salaire suffisait à soutenir la famille. Dans les années 60, grâce aux mouvements féministes et avec le besoin de main d'œuvre, les femmes sont entrées massivement sur le marché de l'emploi. Mais sans qu’on organise comment prendre en charge tout ce que les mères faisaient. D'où la naissance du conflit travail-famille. Et dans les faits, ce cumul des rôles est assuré majoritairement par les femmes. Ce qui les pousse à réduire leur temps de travail, avec à la clé une perte de salaire… 

Quelles solutions pour rééquilibrer ?  

Pour tenter de résoudre ce dilemme et rééquilibrer le partage des tâches, l'Europe a proposé dès 1983 l'introduction d'un congé parental3 pouvant être pris par les deux parents. Mais 40 ans plus tard, celui-ci reste encore pris en majorité par les femmes, surtout pour les formules à temps plein et à mi-temps4. Pour qu'il soit utilisé par tous, le congé parental doit être assez rémunéré et valorisé socialement, martèle Bernard Fusulier. Le terme "congé" est d'ailleurs très mal choisi, s'insurge-t-il, rappelant son utilité à la société. 
Attention toutefois à ne pas imposer aux parents de passer à temps partiel pour s'occuper de leurs enfants, met en garde Isabelle Roskam, co-directrice de la recherche sur le burn-out parental à l'UCLouvain. "Une mise entre parenthèses de sa carrière pour sa famille peut être vécue comme un grand sacrifice." Et vice-versa !  
De son côté, la Ligue des familles évoque l’idée d’une réduction collective du temps de travail hebdomadaire, sans perte de salaire. Elle milite aussi de longue date pour l’instauration d’un congé de paternité/co-parentalité obligatoire et de même durée que la maman (15 semaines au lieu de 20 jours), ainsi que d'un "congé de conciliation", à prendre en heures pour faire face aux impératifs familiaux. Des mesures plébiscitées par environ 80% des parents interrogés.  

Changer les cultures d'entreprises  

Un changement dans la culture des organisations est aussi nécessaire, pointe Bernard Fusulier, qui a enquêté en entreprise5. La demande d'un congé parental ou d'un horaire flexible n'est pas toujours bien vue. Encore moins si elle émane d'un homme… La période covid a toutefois fait évoluer les mentalités : "Avant on considérait que la vie privée devait s'adapter au travail. Maintenant, les employés ont de plus en plus la logique inverse : c'est le travail qui doit s'adapter aux impératifs privés". La flexibilité des employeurs devient d’ailleurs un critère d'attractivité mis en avant par les entreprises. Dans les aménagements proposés, il est crucial de laisser du choix aux travailleurs, précise toutefois Isabelle Roskam. "Pour certains, deux jours de télétravail vont être d'une grande aide, alors que pour d'autres c'est l'enfer car ils n'ont pas de pièce pour s'isoler". 

Sortir du "perfectionnisme parental"

Du côté des travailleurs, le style de parentalité actuel rajoute encore une couche de pression. On veut être un super parent, toujours positif, bienveillant et disponible, donner toutes les chances à son enfant… "Les parents s'imposent beaucoup de contraintes, note Isabelle Roskam. Comme choisir une école ou un parascolaire à l'autre bout de la ville malgré les trajets compliqués… Il y a aussi beaucoup de freins psychologiques à lever : "De nombreuses femmes se sentent coupables si elles ne passent pas à temps partiel ou qu'elles vont chercher leur enfant plus tard", partage la spécialiste. Mais rester à la garderie, contribuer aux tâches, comprendre qu'il ne peut pas participer à tout… ne sera pas mauvais pour l'enfant. C'est même bénéfique pour son apprentissage de futur adulte ! La vie est faite de frustrations…" Il faut veiller à rester bienveillant envers soi-même, résume Isabelle Roskam. Ne pas s'en mettre trop sur le dos, s'épanouir dans son travail et sa vie permettra au final d'être un meilleur parent. C'est comme le masque à oxygène dans les avions ! Il faut d'abord prendre soin de soi, pour prendre soin des autres… 

Sources
[1] Enquête sur l'emploi du temps des Belges, 2015.
[2] Statbel, 2023
[3] Proposition de directive du Conseil relative aux congés parentaux et aux congés pour raisons familiales, Journal officiel des Communautés Européennes, 1983
[4] La dimension de genre de différents congés en Belgique, Institut pour l'égalité des femmes et des hommes, 2023
[5] L'entreprise et l'articulation travail/famille, Bernard Fusulier, 2008